En 1860, à son retour de Paris, où il passa neuf années pour perfectionner ses connaissances scientifiques, il fut nommé astronome du vice-roi, le khédive Said, fils de Méhémet-Ali. À la demande de son souverain, il étudia l'âge et l'orientation des pyramides de Guizeh à la lumière de l'astronomie, notamment dans leurs rapports avec l'étoile Sirius. Il "remarqua (ainsi) que Sirius, à son passage au méridien de Gizeh, lance ses rayons directement sur la face méridionale des pyramides, et en tenant compte des changements de position de l'étoile, il arriva à découvrir que ces rayons étaient perpendiculaires à cette face, à une époque qui remonte a 33 siècles avant l'ère chrétienne". (Revue britannique, 1863)
Le texte ci-dessous est extrait de l'Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles, 1863.
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"L'impression indéfinissable que l'aspect des pyramides m'avait toujours produite dans les visites réitérées que je leur avais faites, l'orientation exacte aux quatre points cardinaux de tous ces monuments funéraires et des simples tombeaux qui les environnent, l'inclinaison constante de leurs faces, tout enfin m'avait toujours inspiré l'idée qu'elles ont été élevées dans un but religieux, et que ces masses colossales, bien faites pour représenter la puissance terrestre, ont dû avoir quelque relation secrète avec les puissances du ciel.
J'avais toujours choisi pour mes visites aux pyramides l'époque des équinoxes, et je me proposais d'y retourner au mois de mars dernier, quand précisément, à ce même moment, notre auguste vice-roi, comme s'il eût été inspiré, m'appela dans son château de Gizeh , et me chargea l'aller déterminer l'orientation des pyramides et de tâcher de déduire quelques conséquences de ces observations. J'allai donc dresser ma tente au pied de la grande pyramide et passer là quatre jours et quatre nuits, accompagné de mes amis Ahmed-Effendi Faïde et Mustapha-Effendi Schercaice, venus complaisamment pour m'aider dans le travail du mesurage.
L'aspect des astres qui, rayonnant de toute leur splendeur dans ces belles nuits sans nuages, éclairaient la terre et semblaient venir successivement saluer ces immortels monuments de la gloire humaine, ainsi que l'observation contemplative de leurs mouvements, m'amenèrent naturellement à regarder, d'une manière attentive la plus brillante des étoiles, Sirius.
Quelle ne fut pas ma surprise de voir Sirius, dans son point culminant, rayonner presque perpendiculairement sur la face (sud) des pyramides.
Je me rappelai aussitôt mes anciennes conjectures ; je les repassai dans ma mémoire, j'en déroulai successivement les chaînons et m'arrêtai bientôt à une idée fixe : il devait y avoir une relation, jusque-là inaperçue, entre le ciel et les pyramides. Celles-ci étaient des monuments voués à quelque divinité astrologique, et Sirius devait être l'étoile à laquelle elles avaient été consacrées.
Telles furent les pensées qui m'amenèrent à une série d'observations et qui vinrent confirmer l'opinion, d'abord vaguement entrevue, que l'âge et le but des pyramides devaient se trouver écrits dans Sirius.
principe du théodolite (Wikimedia commons)
Après avoir tracé, à côté de la pyramide, la méridienne par un théodolite et par des hauteurs correspondantes du soleil, je fus assuré que deux des quatre côtés de la base sont bien parallèles à cette méridienne et que les deux autres côtés sont perpendiculaires sur les premiers ; c'est-à-dire que les quatre côtés de la base sont exactement dirigés vers les quatre points cardinaux. Un plan levé à la planchette des pyramides de Memphis et de ses environs m'a prouvé que tous les tombeaux et pyramides ou monuments funéraires qui remplissent cette enceinte ou vaste cimetière sont bien orientés de la même façon. Le sphinx même regarde le point est : il est rigoureusement dirigé de l'ouest à l'est. Le jour de l'équinoxe du dernier printemps, j'ai voulu m'assurer de cette orientation d'une autre manière ; car le soleil doit se lever et se coucher ce jour-là dans la direction du côté est-ouest. L'instant de l'équinoxe devant avoir lieu trois heures après le coucher du soleil, j'ai préféré observer le coucher de cet astre ; je montai avec un de mes compagnons sur une même assise, moi à l'est et lui à l'ouest, de manière qu'aucun objet de ces décombres qui environnent la pyramide ne pût venir me masquer le soleil couchant. La ligne ou assise sur laquelle nous étions placés est horizontale et parallèle au côté est-ouest de la base ; elle allait, par conséquent, rencontrer le ciel sur l'horizon juste dans le point ouest.
Au moment du coucher du soleil, le plus beau spectacle s'offrit à mes yeux : ses rayons dorés se rapprochaient peu à peu de la tête de mon compagnon comme une couronne divine que des anges, formés de petits nuages répandus autour de l'astre rayonnant, allaient porter juste sur sa tête, et je le vis insensiblement se dérober à mes regards sous l'horizon. Ce phénomène curieux pourrait bien, jadis, avoir attiré l'attention et conduit à se servir des pyramides comme des gnomons, afin de connaître les commencements du printemps et de l'automne, hors desquels ce phénomène n'a pas lieu ; mais comme ce n'est pas là le but de ce travail, je ne veux pas insister sur cette hypothèse et je passe outre.
J'ai mesuré les quatre côtés de la grande pyramide et je les ai trouvés de 227m,5 chacun. Les mesures ont été prises entre les points de rencontre des quatre arêtes avec le plan horizontal de la première assise taillée dans le rocher; et comme tout porte à croire que cette pyramide était couverte de pierres unies, comme on le voit dans la partie supérieure de la seconde pyramide, et que cette couche devait avoir en haut 1m,5 d'épaisseur et 1m,8 en bas, ainsi que l'a jugé M. Jomard, eu égard à la couche de la seconde pyramide, il faut donc ajouter le double de 1m,8 ou 3m,6 à 227m,5, et l'on aura 231m,1 pour le côté de la base compté sur le socle taillé dans le rocher. La plateforme ou la base de la partie tronquée de la pyramide est un carré dont le côté s'est trouvé être de 10 mètres. Or nous avons admis que l'épaisseur de la couche était de lm,5 en haut ; le côté de la plate-forme aurait donc été de 10 mètres plus deux fois 1m,5 ou de 13 mètres.
Pour la hauteur, je l'ai déterminée par des observations barométriques ; après avoir placé le baromètre à deux décimètres au-dessus de la première assise et laissé le mercure prendre la température ambiante, j'ai lu la hauteur barométrique 762mm,2 et la température 18°,1 centigrades. Ensuite le baromètre fut monté au haut de la pyramide et placé à deux décimètres au-dessus de la plate-forme, et la moyenne de plusieurs lectures fut 750mm,3 avec 22° de température. Le baromètre a été descendu de nouveau et placé sur la première assise, et la lecture de la colonne mercurielle était de 76lmm,9 avec une température de 21°, 4 ; la moyenne des deux lectures d'en bas ou 762mm,05 avec 19°,7 de température, combinée avec la lecture de la position supérieure, m'a donné, d'après la formule de Laplace, 137m,2 pour la hauteur de la plate-forme de la grande pyramide au-dessus de la première assise taillée dans le rocher. Or, la hauteur de cette assise ou socle au-dessus du rocher sur lequel la pyramide est établie étant de 1m,1, la hauteur totale de la plate-forme sera de 138m,3. Cela étant, la partie qui manque au sommet de la pyramide au-dessus de la plate-forme se trouve, par un petit calcul, égale à 8m,2, et la hauteur totale et primitive de la grande pyramide sera de 146m,5.
Ces deux éléments (la hauteur et le côté de la base) étant déterminés, j'ai calculé le tableau suivant :
Pour la seconde pyramide, la hauteur est de 139m et le côté de la base de 208m, d'après M. Jomard.
Par ces deux éléments, j'ai calculé l'inclinaison des faces de cette pyramide sur la base horizontale, et j'ai trouvé 53°12'. Or l'inclinaison dans la première pyramide étant de 51°45', nous aurons, en moyenne, pour les deux pyramides, 52°29' d'inclinaison. En comparant cette inclinaison moyenne avec celle des autres petites pyramides que voici, d'après Dunsen :
on voit qu'on a voulu faire un angle constant dont la valeur se trouvât comprise entre 52 et 53 degrés.
Nous pouvons donc admettre, en moyenne, une inclinaison constante de 52 degrés et demi.
Ce ne sont pas seulement les deux grandes pyramides qui se trouvent bien orientées vers les quatre points cardinaux, mais toutes les autres petites pyramides et tous les monuments funéraires (...). Il faut donc qu'il y ait en pour cela un but religieux semblable à celui qui a dû guider les modernes dans la construction de leurs monuments funéraires. Chez nous autres musulmans, par exemple, la fosse qui nous reçoit après la mort est, comme le mausolée, perpendiculaire à la direction de la Mecque, où se trouve la maison sacrée de Dieu ; de sorte que, quand nous y serons couchés sur le côté droit, notre figure se trouvera dirigée vers la sainte Caâba.
Ce principe religieux se manifeste encore davantage dans les pyramides ou monuments funéraires des anciens, quand on remarque que les faces de toutes ces pyramides se trouvent inclinées sur l'horizon d'un angle constant de 52° et demi environ ; car la constance de cet angle, dans les six pyramides qui apparaissent encore autour de la grande, ne saurait être attribuée au hasard.
La réunion de ces deux témoignages place au ciel, dans quelque astre divin, le principe religieux qui a engagé les Égyptiens à construire de la sorte ces monuments funéraires ; car un objet terrestre, un temple posé quelque part sur la terre, ne peut avoir de rapport avec un angle de hauteur ou l'inclinaison de la face des pyramides. C'est donc dans un rapport avec la position d'un certain astre divin que toutes les pyramides de Memphis ont été bien orientées, et qu'elles ont les faces inclinées sur l'horizon d'un angle constant de 52 degrés et demi.
Or, les anciens Égyptiens n'adoraient au fond qu'un seul être suprême, Ammon-Ra, sous des formes différentes. Ils en faisaient émaner une infinité de dieux (plus ou moins grands), suivant l'infinité d'attributs par lesquels se manifestaient sa puissance divine et sa volonté suprême. Les astres étaient les demeures de ces êtres divins, ou plutôt ils en étaient les âmes.
Ces anciens peuples de l'Égypte croyaient à l'immortalité de l'âme et à une autre vie de peines ou de récompenses. Un dieu devait les juger et inscrire le résultat de la pesée de leurs âmes ou de leurs actions. Les animaux qui ont été vénérés ou adorés chez eux n'étaient que les images vivantes des divinités célestes : ainsi le bœuf Apis était l'image vivante du taureau céleste, et le chien, celle du chien céleste. Une seule et même divinité pouvait avoir plusieurs formes, comme on le voit figuré sur les monuments.
Le chien céleste, Sothis, jugeait leurs âmes en se présentant sous la forme d'un cynocéphale ou homme à tête de chien. Il prenait la forme d'un chacal pour condamner les méchants à une peine éternelle ou aux enfers. Il est alors le même dieu infernal que Typhon. Ce dieu s'appelle Ceth en langue égyptienne, et il est le sixième ou le septième dans la première dynastie divine qui gouverna l'Égypte, comme l'attestent les monuments. Ceth veut dire astre ou chien dans l'ancienne langue de l'Égypte, et c'est le même Soth, que les Grecs prononçaient Sothis, et dont ils firent leur Sirius. Ainsi, Sothis, Cynocéphale et Ceth, c'est toujours le chien céleste, dont l'âme et l'intelligence est l'étoile Sirius. Cette identité se sent même dans ces noms et dans la forme de l'animal qu'ils désignent : le cynocéphale, c'est le chien sous une autre forme. Le chien Anubis, ou le Mercure égyptien ; Toth,ou le grand Hermès, sont également des manifestations du chien céleste. Le symbole qui désigne Sothis sur les monuments égyptiens se trouve souvent joint à la figure de la déesse Isis, l'une des grandes divinités égyptiennes, à laquelle Sirius était de tout temps consacré.
Les dieux de l'Égypte se partageaient les villes ; chacun en avait une sous son patronage. Les monuments mêmes et leurs formes géométriques étaient voués à des divinités. Les pyramides ou les formes pyramidales durent avoir été consacrées au chien céleste Sothis ; quoique Dupuis, qui réduit tout au culte du soleil, les prétende vouées à cette dernière divinité...
Le chien céleste, ou Sothis, avait, du reste, joué le rôle le plus important dans l'antiquité égyptienne : il présida à la création du monde ; il commença la grande année de Dieu (période sothiaque) ; il annonçait la crue du Nil par son lever héliaque et le printemps par son coucher héliaque ; il était le gardien du ciel, le roi des astres et, par sa position, il empêchait le soleil d'aller s'enfoncer dans l'abîme de la région sud. Les auteurs anciens ou modernes, ainsi que les astrologues en disent déjà trop pour que j'insiste davantage. Il ne faut pas toujours dédaigner les idées astrologiques, car c'est l'astrologie qui enfanta l'astronomie en Égypte ; et elle peut nous fournir quelques renseignements sur le sujet que nous traitons. Mais pour ne pas nous écarter, résumons en ces deux mots les résultats auxquels nous sommes parvenu :"La forme pyramidale était consacrée à Sothis ou Sirius."
De là je déduis que l'angle constant de 52° et demi entre les faces des pyramides de Memphis et l'horizon, aurait été pris intentionnellement en rapport avec la position de Sirius dans le firmament.
(L'auteur dit en terminant) : La connaissance de l'âge des pyramides se réduit à chercher entre les années 2250 et 3250 l'époque qui doit correspondre à une déclinaison de 22 degrés et demi.
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Or une interpolation par une simple proportion suffit pour cela, et nous donne 3303 ans pour l'époque cherchée. Les pyramides ont donc été construites 3303 ans avant l'ère chrétienne. Ce chiffre peut cependant être affecté d'une certaine erreur qui peut monter à un, ou même à deux siècles ; car une erreur de quelques minutes, soit dans l'évaluation de l'inclinaison des façades, soit dans la construction même, peut, avec ce que produirait l'erreur probable que j'aurais commise dans la détermination du mouvement propre de Sirius en déclinaison, nous laisser dans ce même degré d'incertitude ; mais ce résultat se trouve bien conforme à l'opinion des meilleurs historiens arabes, tels que EI-Kodây, Ebn-Abdel-Hakam, Almasoudi, Almakrizi, etc , qui placent, d'après les déductions que j'ai faites de leurs récits, le déluge au trente et unième siècle avant l'ère chrétienne, et la construction des pyramides trois ou quatre siècles avant le déluge. Ces historiens, aussi bien qu'Ebn-Jounis (l'astronome), paraissent avoir fondé leur opinion sur une tradition très répandue d'ailleurs, et qui dit qu'un papyrus a été trouvé dans le couvent d'Abou-Hermès, tout près des pyramides, qu'un vieux Kopte , appartenant au couvent de Kalamoun , en avait expliqué le contenu en l'an 225 de l'hégire, laquelle année, ajoute la tradition, se trouvait la 4331ème de la fondation des pyramides, et la 3941ème du déluge, d'après le papyrus même. La traduction des passages arabes touchant les pyramides se trouve, du reste, dans l'excellent mémoire de M. Jomard-Bey sur les pyramides de Memphis, inséré dans le grand ouvrage sur l'Égypte.
Cet accord justifie déjà le but astrologique et religieux dans lequel les pyramides ont été construites.
Voyons maintenant le résultat de l'archéologie sur l'âge le ces mêmes pyramides : Bunsen, se basant sur les fragments de Manéthon, sur Ératosthène, les papyrus de Turin, les tablettes des rois et d'autres monuments, trouva, avec le général Wyse, d'après la plus saine critique, qu'il y avait 3555 ans entre Ménès et Alexandre le Grand, et que la durée des règnes des quatre premières dynasties a été de 570 ans ; de sorte que la quatrième dynastie de Manéthon finit en l'an 2985 avant Alexandre ou en l'an 3310 avant l'ère chrétienne. Or, les deux plus grandes pyramides de Memphis ont été construites par Chéops et Chephren, rois de cette quatrième dynastie, qui n'a duré que 155 ans d'après le même archéologue. Ainsi les pyramides auraient été construites dans le trente-quatrième siècle avant Jésus-Christ, résultat qui s'accorde, à moins d'un siècle près, avec le mien et avec celui des historiens arabes.
Je conclus donc, en terminant, que les pyramides ont été positivement construites pour remplir un but astrologique et religieux concernant l'astre divin Sirius, et qu'elles sont âgées maintenant de cinquante-deux siècles."