Ayant accompagné Bonaparte lors de la campagne d'Égypte, en 1798-1799, et étant considéré comme un précurseur de l'égyptologie, Dominique Vivant Denon (1747-1825) est l'auteur de quelque quatre cents croquis et relevés archéologiques rapportés d'Égypte.
Dans son ouvrage Voyage dans la Basse et la Haute Égypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799, tome 1, 1807, il complète les faits d'armes du futur empereur par des observations et récits moins spécifiquement militaires, dont la description des pyramides que l'on lira ci-dessous.
Son interprétation des monuments est sans ambiguïté : il n'y voit que la trace de "gouvernements sacerdotalement despotes", à la "démence tyrannique", et de la "stupide obéissance" du peuple qui a travaillé à leur construction.
D'autres "précurseurs de l'égyptologie" auront, est-il besoin de le préciser, une autre lecture de l'histoire...
À noter la pique de l'auteur à l'encontre des savants qui pérorent sur les pyramides sans être jamais allés en Égypte.
"Je crois que pour donner, en peinture comme en dessin, une idée des dimensions de ces édifices [les pyramides de Guizeh], il faudrait dans la juste proportion représenter sur le même plan que l'édifice une cérémonie religieuse analogue à leurs antiques usages. Ces monuments, dénués d'échelle vivante, ou accompagnés seulement de quelques figures sur le devant du tableau, perdent et l'effet de leurs proportions et l'impression qu'ils doivent faire. Nous en avons un exemple de comparaison en Europe dans l'église de S. Pierre de Rome, dont l'harmonie des proportions, ou plutôt le croisement des lignes, dissimule la grandeur, dont on ne prend une idée que lorsque rabaissant sa vue sur quelques célébrants qui vont dire la messe suivis d'une troupe de fidèles, on croit voir un groupe de marionnettes voulant jouer Athalie sur le théâtre de Versailles : un autre rapprochement de ces deux édifices, c'est qu'il n'y avait que des gouvernements sacerdotalement despotes qui pussent oser entreprendre de les élever, et des peuples stupidement fanatiques qui dussent se prêter à leur exécution.
Mais, pour parler de ce qu'ils sont, montons d'abord sur un monticule de décombres et de sables, qui sont peut être les restes de la fouille du premier de ces édifices que l'on rencontre, et qui servent aujourd'hui à arriver à l'ouverture par laquelle on peut y pénétrer ; cette ouverture, trouvée à peu près à soixante pieds de la base, était masquée par le revêtissement général, qui servait de troisième et dernière clôture au réduit silencieux que recelait ce monument : là commence immédiatement la première galerie ; elle se dirige vers le centre et la base de l'édifice ; les décombres, que l'on a mal extraits, ou qui, par la pente, sont naturellement retombés dans cette galerie, joints au sable que le vent du nord y engouffre tous les jours, et que rien n'en retire, ont encombré ce premier passage, et le rendent très incommode à traverser.
Arrivé à l'extrémité, on rencontre deux blocs de granit, qui étaient une seconde cloison de ce conduit mystérieux : cet obstacle a sans doute étonné ceux qui ont tenté cette fouille ; leurs opérations sont devenues incertaines ; ils ont entamé dans le massif de la construction ; ils ont fait une percée infructueuse, sont revenus sur leurs pas, ont tourné autour des deux blocs, les ont surmontés, et ont découvert une seconde galerie, ascendante, et d'une raideur telle qu'il a fallu faire des tailles sur le sol pour en rendre la montée possible. Lorsque par cette galerie on est parvenu à une espèce de palier, on trouve un trou, qu'on est convenu d'appeler le puits, et l'embouchure d'une d'une galerie horizontale, qui mène à une chambre, connue sous le nom de chambre de la reine, sans ornements, corniche, ni inscription quelconque. Revenu au palier, on se hisse dans la grande galerie, qui conduit à un second palier, sur lequel était la troisième et dernière clôture, la plus compliquée dans sa construction, celle qui pouvait donner le plus l'idée de l'importance que les Égyptiens mettaient à l'inviolabilité de leur sépulture.
Ensuite vient la chambre royale, contenant le sarcophage : ce petit sanctuaire, l'objet d'un édifice si monstrueux, si colossal en comparaison de tout ce que les hommes ont fait de colossal. Si l'on considère l'objet de la construction des pyramides, la masse d'orgueil qui les a fait entreprendre paraît excéder celle de leur dimension physique ; et de ce moment l'on ne sait ce qui doit le plus étonner de la démence tyrannique qui a osé en commander l'exécution, ou de la stupide obéissance du peuple qui a bien voulu prêter ses bras à de pareilles constructions. Enfin le rapport le plus digne pour l'humanité sous lequel on puisse envisager ces édifices, c'est qu'en les élevant, les hommes aient voulu rivaliser avec la nature en immensité et en éternité, et qu'ils l'aient fait avec succès, puisque les montagnes qui avoisinent ces monuments de leur audace sont moins hautes et encore moins conservées.
Nous n'avions que deux heures à être aux pyramides : j'en avais employé une et demie à visiter l'intérieur de la seule qui soit ouverte ; j'avais rassemblé toutes mes facultés pour me rendre compte de ce que j'avais vu ; j'avais dessiné, et mesuré autant que le secours d'un seul pied-de-roi avait pu me le permettre ; j'avais rempli ma tête : j'espérais rapporter beaucoup de choses ; et, en me rendant compte le lendemain de toutes mes observations, il me restait un volume de questions à faire. Je revins de mon voyage harassé au moral comme physique, et sentant ma curiosité sur les pyramides plus irritée qu'elle ne l'était avant d'y avoir porté mes pas.
(…) Je repassai de nouveau devant les pyramides de Saccara, devant ce nombre de monuments qui décoraient le champ de mort, ou la Nécropolis de Memphis, et bornait cette ville au sud, comme les pyramides de Giséh la terminaient au nord. On chercherait encore le sol de cette cité superbe, qui avait succédé à Thèbes et en avait fait oublier la magnificence, si ces fastueux tombeaux n'attestaient son existence, et ne fixaient irrévocablement l'étendue de l'emplacement qu'elle occupait. Toutes les discussions publiées à cet égard, et qui rendent sa situation incertaine, ont été faites par des savants qui ne sont pas venus en Égypte, et qui n'ont pas pu juger combien les descriptions faites par Hérodote et Strabon sont évidemment exactes. Si cette discussion n'est pas encore terminée, c'est que jusqu'à notre arrivée en Égypte, quelque près du Caire que soient les pyramides, il avait toujours été difficile d'y séjourner, parce que les Arabes avaient conservé la possession des environs comme une propriété imprescriptible."
Dans son ouvrage Voyage dans la Basse et la Haute Égypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799, tome 1, 1807, il complète les faits d'armes du futur empereur par des observations et récits moins spécifiquement militaires, dont la description des pyramides que l'on lira ci-dessous.
Son interprétation des monuments est sans ambiguïté : il n'y voit que la trace de "gouvernements sacerdotalement despotes", à la "démence tyrannique", et de la "stupide obéissance" du peuple qui a travaillé à leur construction.
D'autres "précurseurs de l'égyptologie" auront, est-il besoin de le préciser, une autre lecture de l'histoire...
À noter la pique de l'auteur à l'encontre des savants qui pérorent sur les pyramides sans être jamais allés en Égypte.
Vivant Denon : autoportrait (Wikimedia commons)
"Je crois que pour donner, en peinture comme en dessin, une idée des dimensions de ces édifices [les pyramides de Guizeh], il faudrait dans la juste proportion représenter sur le même plan que l'édifice une cérémonie religieuse analogue à leurs antiques usages. Ces monuments, dénués d'échelle vivante, ou accompagnés seulement de quelques figures sur le devant du tableau, perdent et l'effet de leurs proportions et l'impression qu'ils doivent faire. Nous en avons un exemple de comparaison en Europe dans l'église de S. Pierre de Rome, dont l'harmonie des proportions, ou plutôt le croisement des lignes, dissimule la grandeur, dont on ne prend une idée que lorsque rabaissant sa vue sur quelques célébrants qui vont dire la messe suivis d'une troupe de fidèles, on croit voir un groupe de marionnettes voulant jouer Athalie sur le théâtre de Versailles : un autre rapprochement de ces deux édifices, c'est qu'il n'y avait que des gouvernements sacerdotalement despotes qui pussent oser entreprendre de les élever, et des peuples stupidement fanatiques qui dussent se prêter à leur exécution.
Mais, pour parler de ce qu'ils sont, montons d'abord sur un monticule de décombres et de sables, qui sont peut être les restes de la fouille du premier de ces édifices que l'on rencontre, et qui servent aujourd'hui à arriver à l'ouverture par laquelle on peut y pénétrer ; cette ouverture, trouvée à peu près à soixante pieds de la base, était masquée par le revêtissement général, qui servait de troisième et dernière clôture au réduit silencieux que recelait ce monument : là commence immédiatement la première galerie ; elle se dirige vers le centre et la base de l'édifice ; les décombres, que l'on a mal extraits, ou qui, par la pente, sont naturellement retombés dans cette galerie, joints au sable que le vent du nord y engouffre tous les jours, et que rien n'en retire, ont encombré ce premier passage, et le rendent très incommode à traverser.
Arrivé à l'extrémité, on rencontre deux blocs de granit, qui étaient une seconde cloison de ce conduit mystérieux : cet obstacle a sans doute étonné ceux qui ont tenté cette fouille ; leurs opérations sont devenues incertaines ; ils ont entamé dans le massif de la construction ; ils ont fait une percée infructueuse, sont revenus sur leurs pas, ont tourné autour des deux blocs, les ont surmontés, et ont découvert une seconde galerie, ascendante, et d'une raideur telle qu'il a fallu faire des tailles sur le sol pour en rendre la montée possible. Lorsque par cette galerie on est parvenu à une espèce de palier, on trouve un trou, qu'on est convenu d'appeler le puits, et l'embouchure d'une d'une galerie horizontale, qui mène à une chambre, connue sous le nom de chambre de la reine, sans ornements, corniche, ni inscription quelconque. Revenu au palier, on se hisse dans la grande galerie, qui conduit à un second palier, sur lequel était la troisième et dernière clôture, la plus compliquée dans sa construction, celle qui pouvait donner le plus l'idée de l'importance que les Égyptiens mettaient à l'inviolabilité de leur sépulture.
Ensuite vient la chambre royale, contenant le sarcophage : ce petit sanctuaire, l'objet d'un édifice si monstrueux, si colossal en comparaison de tout ce que les hommes ont fait de colossal. Si l'on considère l'objet de la construction des pyramides, la masse d'orgueil qui les a fait entreprendre paraît excéder celle de leur dimension physique ; et de ce moment l'on ne sait ce qui doit le plus étonner de la démence tyrannique qui a osé en commander l'exécution, ou de la stupide obéissance du peuple qui a bien voulu prêter ses bras à de pareilles constructions. Enfin le rapport le plus digne pour l'humanité sous lequel on puisse envisager ces édifices, c'est qu'en les élevant, les hommes aient voulu rivaliser avec la nature en immensité et en éternité, et qu'ils l'aient fait avec succès, puisque les montagnes qui avoisinent ces monuments de leur audace sont moins hautes et encore moins conservées.
Nous n'avions que deux heures à être aux pyramides : j'en avais employé une et demie à visiter l'intérieur de la seule qui soit ouverte ; j'avais rassemblé toutes mes facultés pour me rendre compte de ce que j'avais vu ; j'avais dessiné, et mesuré autant que le secours d'un seul pied-de-roi avait pu me le permettre ; j'avais rempli ma tête : j'espérais rapporter beaucoup de choses ; et, en me rendant compte le lendemain de toutes mes observations, il me restait un volume de questions à faire. Je revins de mon voyage harassé au moral comme physique, et sentant ma curiosité sur les pyramides plus irritée qu'elle ne l'était avant d'y avoir porté mes pas.
(…) Je repassai de nouveau devant les pyramides de Saccara, devant ce nombre de monuments qui décoraient le champ de mort, ou la Nécropolis de Memphis, et bornait cette ville au sud, comme les pyramides de Giséh la terminaient au nord. On chercherait encore le sol de cette cité superbe, qui avait succédé à Thèbes et en avait fait oublier la magnificence, si ces fastueux tombeaux n'attestaient son existence, et ne fixaient irrévocablement l'étendue de l'emplacement qu'elle occupait. Toutes les discussions publiées à cet égard, et qui rendent sa situation incertaine, ont été faites par des savants qui ne sont pas venus en Égypte, et qui n'ont pas pu juger combien les descriptions faites par Hérodote et Strabon sont évidemment exactes. Si cette discussion n'est pas encore terminée, c'est que jusqu'à notre arrivée en Égypte, quelque près du Caire que soient les pyramides, il avait toujours été difficile d'y séjourner, parce que les Arabes avaient conservé la possession des environs comme une propriété imprescriptible."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire