L'interview
que l'on lira ci-dessous est au confluent de plusieurs rencontres.
Tout
est parti d'une fructueuse collaboration entre les techniciens de
Dassault
Systèmes et une entité de l'Université de Harvard,
The Giza Archives Project, dirigé par Peter Der
Manuelian, pour la
reconstitutionen 3D du Plateau de Guizeh et
l'exploitation de cette technologie à des fins d'enseignement.
Rus
Gant est l'un des artisans du Giza Archives Project, en tant que
« technology consultant » et « virtual reality
designer ».
Keith
Payne, webmaster du blog EmHotep, et
moi-même avons eu l'opportunité, en mai 2012, d'assister à Boston
à la première de Giza 3D. A cette occasion, nous avons pu faire la
connaissance de Rus Gant et, déjà, d'esquisser l'interview
ci-après. Celle-ci a été finalisée et réalisée récemment par
Keith, qui a eu l'amitié de m'y associer virtuellement.
On
pourra lire l'interview dans sa version originale
ICI.
La
traduction en français a été réalisée par Estelle Dennery, de
Dassault Systèmes. Je lui renouvelle mon merci le plus cordial pour
cette précieuse collaboration.
M.C.
Em
Hotep/Pyramidales : Giza 3D est le fruit de la rencontre
entre des temps très reculés et la technologie de pointe. Ce que
l’on appelle l’« archéologie par satellite » est
certainement l’une des plus manières les plus intéressantes
d’utiliser la technologie moderne. Quelle est l’importance de
cette imagerie satellite dans le projet Giza 3D ?
Rus Gant |
Rus
Gant : Afin de réaliser notre modèle, nous avons besoin
des meilleures photographies aériennes et satellite existantes. Nous
avons accès à une très riche collection de photographies satellite
de la NASA et provenant d’autres sources, comme ce satellite
allemand capable de fournir des vues stéréoscopiques d’ensemble à
50 cm de résolution.
Em
Hotep/Pyramidales : Votre imagerie satellite est donc
meilleure que celle de Google Earth ?
Rus
Gant : Oui, bien meilleure. La résolution est largement
supérieure et qui plus est, disponible dans différentes longueurs
d’onde – infrarouge, lumière invisible, tout un domaine qui
n’est pas accessible avec Google Earth. Outre la photographie
satellite, nous avons des photos aériennes et notre base de données
de cartes SIG réunissant plus de cent cartes historiques de Gizeh.
Et c’est donc à l’aide de toutes ces ressources que nous
construisons notre modèle.
Em
Hotep/Pyramidales : En cette ère de la photographie
satellite, quelle est l’importance de la photographie aérienne
dans la construction de Giza 3D et dans l’étude du plateau de
Gizeh en général ?
Rus
Gant : La photographie aérienne joue un rôle tout-à-fait
essentiel car elle est maintenant utilisée depuis plus d’un
siècle. De fait, nous recevons tous les deux ou trois ans une
nouvelle photographie aérienne qui nous permet d’observer les
fouilles, de voir le plateau changer : les routes apparaissent
et disparaissent, et le plateau évolue au fil du temps. La
photographie aérienne est vraiment une ressource extraordinaire.
Em
Hotep/Pyramidales : Les photographies aériennes tant
anciennes que nouvelles sont donc utiles ?
Rus
Gant : Tout-à-fait. Nous avons même des photos prises
depuis le dirigeable allemand Graf Zeppelin, qui a fait le voyage
jusqu’aux pyramides en 1931. Nous possédons des clichés provenant
de deux albums réalisés par des passagers qui ont pris des photos
tandis que le dirigeable tournait autour des pyramides. Du fait de
leur faible résolution, elles ne sont bien sûr pas aussi utiles que
d’autres photographies aériennes, dont les meilleures demeurent
les prises de vue militaires. Nous utilisons des photos de la RAF, de
la Luftwaffe, de l’American Air Force et de l’armée de l’air
égyptienne. Pendant la Première Guerre Mondiale, les militaires
possédaient d’ailleurs les meilleurs appareils photo, de très
grands formats permettant d’obtenir une résolution optimale.
Em
Hotep/Pyramidales : Pour vous, quelles sont les parties les
plus intéressantes de Giza 3D ?
Rus
Gant : La zone de peuplement autour du temple de la vallée
de Mykérinos est pour moi l’un des secteurs les plus intéressants,
et ce à plusieurs titres. On y trouve notamment certaines des
représentations les plus précises de la vie quotidienne dans
l'Égypte antique au temps des pyramides.
Em
Hotep/Pyramidales : On ne pense généralement pas aux
environs d’un temple comme à une zone de peuplement. Comment se
fait-il qu’on trouve d’aussi bonnes représentations du quotidien
dans le temple de la vallée de Mykérinos ?
George Reisner |
Rus
Gant : Pendant la majeure partie de son histoire, les
prêtres qui étaient affectés à ce temple avaient leurs quartiers
d’habitation dans la cour, qui était donc une sorte de dortoir
sommaire pour prêtres. Lorsque George Reisner a découvert le temple
de la vallée, celui-ci avait quasiment toujours été enterré, si
bien que la zone de peuplement n’avait pas été érodée. En
dehors du village des constructeurs que Mark Lehner est en train de
fouiller et de documenter, la zone de peuplement du temple de la
vallée de Mykérinos constitue l’un des meilleurs témoignages
d’architecture et offre certaines des informations les plus
complètes que nous puissions avoir sur Gizeh. En fait, à certains
égards, elle est même mieux préservée que le village de Mark. Et
à mesure que Mark reprend les fouilles, il redécouvre les zones du
site que Reisner avait naturellement ré-enterrées.
Dans
un passage de ses notes, Reisner explique qu’ils ont réenfoui la
zone afin de protéger les vestiges du monument et parce que 100 ans
plus tard, les techniques de fouilles seraient plus au point, et que
l’on y reviendrait. Il avait vu juste : Reisner a terminé ses
fouilles en avril 1910, et l’équipe de Mark Lehner y est revenue
exactement 100 ans plus tard, en 2010. Lorsque Mark fermera le
chantier, il sera prévu qu’une équipe y revienne 100 ans
plus tard.
Le Zeppelin survolant les pyramides |
Em
Hotep/Pyramidales : Le réenfouissement fait-il partie de
l’héritage de Reisner ? N’est-ce pas une pratique courante
aujourd’hui ?
Rus
Gant : Absolument, le remblaiement est un mécanisme de
sauvegarde, tout particulièrement utile lorsque nous avons affaire à
une architecture de brique en terre crue, et pour tous les matériaux
susceptibles de s’éroder, qui sont ainsi protégés contre les
éléments. Par ailleurs, il est désormais courant de réserver de
10 à 40 % d’un site en vue de futures fouilles. La norme
consiste de plus en plus à ne pas fouiller l’intégralité d’un
site et à la place, à prélever des échantillons, trouver les
éléments spécifiques que l’on recherche, puis laisser de grandes
zones intactes pour les archéologues qui nous succèderont. En ce
sens, Reisner était donc plutôt en avance sur son temps avec sa
méthodologie – pas seulement par ses techniques d’enregistrement,
mais aussi de par sa clairvoyance sur la préservation du site pour
les générations futures.
Em
Hotep/Pyramidales : Peut-on dire que Reisner était en
avance sur son temps sur d’autres plans?
Rus
Gant : Oui, par son recours à des équipes pluriscientifiques.
En réunissant ces différentes disciplines, il a défini un standard
qui sera suivi par la suite : un mélange d’égyptologues et
de spécialistes – des experts en poterie et en botanique, des
architectes, des artistes… Il a été le premier à constituer une
grande équipe de ce type. Et c’est aujourd’hui devenu la norme.