La thermographie infrarouge mise en oeuvre par Jean-Claude Barré (mission courte) est l’une des méthodes les plus prometteuses pour permettre de comprendre, depuis la surface d’un monument, ce qui se passe sous ses faces. Le principe en est simple, mais son application repose sur des instruments sophistiqués et des opérateurs très expérimentés.
Elle repose sur la loi physique suivante : tous les matériaux émettent par rayonnement de l’énergie en fonction de leur température, sous forme d'ondes infrarouges pouvant être mesurées par des caméras équipées de capteurs. Grâce à un modèle numérique, les caméras génèrent des images dont chaque couleur correspond à une température donnée. Intérêt de cette technique largement utilisée pour révéler la déperdition de chaleur dans les habitations mal isolées : elle permet de localiser, grâce aux anomalies de l’image thermique obtenue, la présence de défauts dans le bâtiment. Ainsi, un courant d’air froid à l’intérieur se signalera par une zone bleue, une source de chaleur par une zone rouge. Les caméras sont également capables de quantifier l’"émissivité" des matériaux. Tous, en effet, n’absorbent pas, ne transmettent pas et ne réfléchissent pas les rayonnements de la même manière. "Sous le même soleil, l’habitacle d’une voiture blanche sera moins chaud que celui d’une voiture noire, commente Jean-Claude Barré. De la même façon, sous un soleil identique, granit et calcaire ne renverront pas la même température."
Application pour les pyramides : les différences d’"émissivité" pourront permettre de vérifier si les pierres de surface, qui ont toutes aujourd’hui la même couleur en raison des intempéries, du sable et de la pollution, sont de même nature. "Mais, poursuit Jean-Claude Barré, ce qui nous intéresse surtout, ce sont d’éventuelles zones froides qui pourraient révéler des courants d’air, donc des cavités, des chambres ou des couloirs, à l’intérieur des monuments."
C’est une véritable carte thermique des pyramides de Dahchour et Giza qu’il se propose de réaliser. Une carte dynamique, car les pyramides, comme tout bâtiment, absorbent dans la journée la chaleur du soleil, et en restituent une part la nuit. Le programme de l’opérateur est ainsi le suivant : réaliser des images sur les quatre faces une demi-heure avant le lever du soleil, lorsque le monument, ayant évacué un maximum d’énergie pendant la nuit, sera le plus froid. Et à partir de ce point 0, qui servira d’étalon, renouveler l’opération à midi et le soir. En quelques jours, Jean-Claude Barré enregistrera ainsi des centaines de milliers d’images qui seront comparées entre elles par un programme informatique. Les pyramides dévoileront peut-être alors certains de leur secrets... en bleu ou en rouge !
Les mesures thermiques sont réalisées par une caméra infrarouge. Celle-ci enregistre l’évolution de la température en surface sous la forme d’images thermiques en fonction du temps. Un certain nombre de techniques sont disponibles pour améliorer ensuite les images thermiques obtenues, détecter et caractériser les défauts. De même, différentes techniques de chauffage existent pour stimuler l’objet ou la structure à l’essai. L’une de ces techniques consiste à moduler la source de chauffage de manière répétée suivant un motif donné (par exemple un sinus) et enregistrer la réponse thermique obtenue avec la caméra infrarouge.
Les images enregistrées sont ensuite traitées et réduites à une seule image qui condense toutes les informations reliées aux anomalies internes de l’objet. Dans le cas de grands objets, un immeuble par exemple, le rayonnement solaire constitue une source de chauffage modulée intéressante, offrant des variations périodiques naturelles sur une grande surface (tel le cycle quotidien jour / nuit). Fait intéressant : plus la variation périodique du chauffage est lente, plus l’onde thermique engendrée pourra pénétrer profondément dans le matériau. Ainsi, une onde thermique produite par un cycle jour / nuit est capable de sonder plusieurs centimètres dans un mur en béton, tandis que les variations thermiques causées par le cycle annuel des saisons (température chaude l’été et froide l’hiver) engendrent des ondes thermiques pouvant pénétrer plus profondément encore. Les variations thermiques saisonnières annuelles sont donc l’approche privilégiée pour l’étude de la pyramide en quête de possibles cavités internes proches de sa surface.
Les muons, qui tombent sur le sol presque à la vitesse de la lumière avec un débit permanent d’environ 10.000 par m² par minute, proviennent des hautes couches de l’atmosphère terrestre, où ils ont été créés lors de collisions entre des rayons cosmiques issus de notre environnement galactique et les noyaux des atomes de l’atmosphère. À l’instar des rayons X qui traversent notre corps et permettent de visualiser notre squelette, ces particules élémentaires, sorte d’électrons lourds, peuvent traverser très facilement même des roches de grande épaisseur, telles les montagnes. Des détecteurs, placés aux endroits judicieux (par exemple à l’intérieur de la pyramide, sous une possible chambre encore non détectée), permettent, par accumulation dans le temps des muons, de discerner les zones de vide (que les muons ont traversées sans problème) et les zones plus denses où certains d’entre eux ont pu être absorbés ou déviés.
Tout l’art de la mesure consiste à réaliser des détecteurs extrêmement sensibles - soit des gels de type émulsions argentiques, soit des scintillateurs. Puis à accumuler assez de données (pendant plusieurs jours ou mois) pour accentuer les contrastes.
Le laboratoire de l’équipe japonaise, consacré au développement et à l’analyse des images captées par les muons, a d’ores et déjà été installé au Caire.
Les algorithmes informatiques qui sont à la base de la photogrammétrie, permettent, à partir d’une grande quantité d’images prises de points de vue différents, de reconstruire un objet 3D. Les algorithmes utilisés par Iconem ont été mis au point par l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique). La grande nouveauté - déjà développée par la société Iconem à Pompéi, en Syrie et en Afghanistan, pour reconstituer des sites menacés - est que les appareils photographiques seront embarqués à bord d’engins volants téléguidés.
Pour cette mission, Iconem utilisera deux types de drones. "Tout d’abord, des drones type ailes volantes, avions, détaille Yves Ubelmann. Grâce à leur autonomie, ils nous permettront d’obtenir des données sur de grandes surfaces et de modéliser l’environnement des pyramides à 5 centimètres près." Ils pourront positionner très précisément tous les monuments, repérer les niveaux et pentes, et éventuellement les traces d’anciennes rampes par lesquelles les matériaux auraient été acheminés lors de la construction. Les détails de la micro-topographie fourniront aussi des indices sur la position ou la forme de bâtiments non encore fouillés, qui sont visibles uniquement à travers la forme du terrain.
Les drones du deuxième type ressemblent davantage à des hélicoptères. Ils ont moins d’autonomie mais peuvent réaliser des vols stationnaires, prendre des images à quelques mètres des monuments, du plus haut au plus bas, suivre leurs pentes. Le détail sera, dans ce cas, de l’ordre du centimètre. Une telle définition donnera des informations géométriques, notamment sur l’alignement et l’assemblage des blocs, ainsi que des indications de texture, avec éventuellement des traces d’outils, de gestes de construction.
"La photogrammétrie, conclut Yves Ubelmann, permet de combiner différentes échelles, de les croiser dans le même modèle numérique et de proposer une interprétation globale des sites." Pour parfaire cette vision inédite, son équipe réalisera à l’intérieur des monuments, dans des endroits confinés et sombres où la photogrammétrie est peu opérante, des relevés au scanner laser.
Ces modélisations seront mises à disposition des chercheurs et du public, en open data, par l’Institut HIP.
MC
http://scanpyramids.org