Crédit photos : Florence Tran - Bonne Pioche |
Depuis deux ans, caméra au poing, elle suit, avec son équipe, la mission ScanPyramids. De Paris au Caire, de Nagoya à l'Université de Laval (Québec), de Guizeh à Dashour, des bureaux de recherches aux couloirs étroits des pyramides, des conférences de presse aux moments de doute ou d'espoir, Florence restitue l'ambiance d'une mission de recherche qui utilise les moyens du XXIème siècle pour décrypter les techniques de construction d'un monument qui nous éblouit autant qu'il nous questionne…
Un amical merci à Florence d'avoir accepté de répondre à nos questions.
Égypte actualités : Après une projection en avant-première de votre film le 22 novembre dans les locaux de France Télévision, "Kheops, mystérieuses découvertes" a rassemblé 1,4 million de spectateurs sur France 5 le mardi 28 novembre 2017 : que ressentez-vous ?
Florence Tran : Je suis heureuse que le film touche une audience aussi large et que nous ayons pu initier le public à cette technique particulière qu'est la muographie et la physique des particules. Nous avons vraiment besoin de plus de films scientifiques grand public. C'était donc une chance unique de pouvoir suivre la mission ScanPyramids, de rendre compte de cette approche transdisciplinaire de cette alliance entre les technologies du futur mise au service de la résolution de l'un des mystères les plus anciens.
Muographie - pyramide de Kheops - Crédit photo : Bonne Pioche |
ÉA : Des équipes internationales travaillent dans le cadre de "ScanPyramids", mission d'une technicité inégalée jusqu'alors. HIP, initiateur et coordinateur du projet, Nagoya University, KEK Japan, l'Université de Laval au Québec, la faculté des ingénieurs du Caire , le CEA, etc, … : comment restituer justement la place et le rôle de chacun ?
Hany Helal et Mehdi Tayoubi (HIP) - Crédit photos Bonne Pioche |
ÉA : Pour travailler avec ces scientifiques de très au niveau, pour bien restituer leur travail, il vous faut apprendre, comprendre les techniques mises en œuvre, comme les infrarouges, les muons, etc. Non seulement cela demande beaucoup d'attention, mais également une aptitude à ensuite les "vulgariser" et les rendre accessibles… : un exercice difficile ?
FT : Oui cela n'a pas été simple, mais j'ai été aidée dans ce processus par les monteurs, les producteurs et les responsables de la "case" Science Grand Format. Ils avaient plus de recul que moi à un certain moment. Donc j'ai aussi écouté et dialogué avec eux. Si eux ne comprenaient pas, c'est qu'il fallait changer quelque chose. Ce n'est pas le type de film que l'on écrit seule dans son coin, c'est aussi un gros travail d'écoute.
ÉA : Vous avez su admirablement conjuguer images "réelles" et virtuelles : c'est certainement en cela que réside l'originalité de votre film. Il dévoile la mise en œuvre des techniques les plus sophistiquées et les plus pointues pour tenter de comprendre les prouesses techniques de la construction de la grande pyramide et la présence éventuelle d'espaces jusqu'alors non identifiés. Une fois encore, un exercice difficile ?
FT : La 3D du film a été faite en grande partie par Pierre Gable et l'équipe d'Emissive (qui font aussi partie de la mission). Je tiens vraiment à rendre hommage à Pierre Gable pour son travail formidable. Je pense que c'est l'un des meilleurs connaisseurs de l'architecture de la pyramide de Kheops aujourd'hui, tellement il l'a modélisée sous toutes les coutures. On a l'habitude de travailler ensemble mais là, pour ce film, j'ai été avec lui encore plus exigeante. Parfois nous étions vraiment fatigués de refaire une énième "passe" sur les plans 3D. Il fallait arriver à quelque chose de précis architecturalement et scientifiquement parlant mais aussi avec beaucoup de poésie et d'élégance. Je tenais beaucoup à cet aspect un peu magique et lumineux pour les plans 3D.
L'aspect magique et lumineux des plans 3D - Crédit photo Bonne Pioche |
FT : Je dois avouer que plus je passe de temps dans ces pyramides, moins je les comprends. Comme au premier jour où je les ai vues (c'était en 2002) je suis sidérée par la démesure de l'entreprise. Je me demande "mais quelle foi incroyable les a motivés pour construire une telle montagne de pierre ?" J'aimerais me transporter dans le temps et voir comment ils ont fait. En fait je suis fascinée par la façon dont les anciens Égyptiens percevaient le monde, leurs rituels, leur religion, cette obsession pour le monde de l'au-delà et cette quête effrénée d'immortalité. J'aimerais faire un film sur la question un jour. Là ce n'était pas le sujet, mais il y aurait beaucoup à dire…
Après je pense que ma relation avec l'Égypte et les pyramides est de l'ordre du sortilège.
Il y a un vieux dicton égyptien qui dit "une personne qui boit et goûte ne serait-ce qu'une seule fois à l'eau du Nil, cette personne, aussi loin qu'elle parte ou qu'elle voyage, cette personne reviendra toujours sur les bords du Nil." Je me demande si ce n'est pas le cas aussi pour les personnes qui s'approchent de trop près des pyramides, s'il n'y a pas une force magnétique, qui vous ramène toujours à elles. Il faut faire attention, ça peut-être dangereux... Ça peut vous prendre beaucoup de temps dans l'espace d'une vie, c'est extrêmement chronophage. Donc il faut s'éloigner d'elles et faire d'autres choses aussi !
ÉA : Les circonstances du tournage ont-elles été difficiles ? particulières ? Avez-vous pu filmer TOUT ce que vous souhaitiez COMME vous le souhaitiez … et la question que nous nous posons tous, peut-on espérer voir une suite ?
FT : Évidemment je n'ai pas pu tout filmer ni tout raconter. Oui les tournages ont été parfois difficiles. Comme j'ai vécu 3 ans en Égypte, j'ai la chance de bien connaître le terrain, d'avoir une équipe de tournage égyptienne sur place en qui je peux faire confiance, qui m'a protégée de bien des situations compliquées. Les tournages ont été à géométrie variable, parfois j'avais une grosse équipe, parfois j'étais seule, parfois mon équipe égyptienne assurait le suivi sur place, parfois un cameraman français nous rejoignait, parfois c'était l'équipe japonaise qui faisait le suivi et pour l'escalade nous étions là, tous ensemble...
Florence Tran avec le Dr Morishima dans l'encoche arête N-E de la pyramide de Kheops |
Il y a eu un gros travail de coordination entre l'équipe japonaise et l'équipe franco-égyptienne, car nous avions aussi des tournages en France et au Japon. Avec évidemment des habitudes de travail et de styles différents, mais cela s'est très bien passé de ce côté-là. La collaboration a été assez fluide. Nous étions tous d'accord pour respecter au maximum le travail des scientifiques, ne pas être trop invasifs, ne pas les déranger trop. Il fallait d'abord que la mission se passe au mieux ! C'était la priorité ! On était solidaires avec eux, face à l'adversité !
Nous espérons tous qu'il y ait une suite mais là, à l'heure qu'il est, ce n'est plus une question scientifique, c'est une question politique et médiatique. La logique voudrait que la mission puisse continuer et qu'une équipe internationale menée par des Égyptiens puisse passer à l'étape suivante : percer un trou de 3 cm de diamètre et envoyer un minuscule robot faire une reconnaissance dans la cavité détectée derrière les chevrons.
Combien de temps cela va t-il prendre ? C'est une décision politique qui n'appartient qu'aux responsables égyptiens.
Si cela se passe, il faut aussi lever des fonds pour la suite... Il faut savoir que beaucoup de personnes ont travaillé en partenariat de façon bénévole, sans compter leur temps, par passion, par fidélité à ce projet qui a été initié il y a plus de 5 ans. Ce n'est pas du tout une mission qui roule sur l'or, bien au contraire. Et cela rend leur travail à tous d'autant plus honorable.
Propos recueillis par Marc Chartier & Marie Grillot
Revoir le film en vidéo (payante) : cliquer ici
Nous espérons tous qu'il y ait une suite mais là, à l'heure qu'il est, ce n'est plus une question scientifique, c'est une question politique et médiatique. La logique voudrait que la mission puisse continuer et qu'une équipe internationale menée par des Égyptiens puisse passer à l'étape suivante : percer un trou de 3 cm de diamètre et envoyer un minuscule robot faire une reconnaissance dans la cavité détectée derrière les chevrons.
Combien de temps cela va t-il prendre ? C'est une décision politique qui n'appartient qu'aux responsables égyptiens.
Si cela se passe, il faut aussi lever des fonds pour la suite... Il faut savoir que beaucoup de personnes ont travaillé en partenariat de façon bénévole, sans compter leur temps, par passion, par fidélité à ce projet qui a été initié il y a plus de 5 ans. Ce n'est pas du tout une mission qui roule sur l'or, bien au contraire. Et cela rend leur travail à tous d'autant plus honorable.
Propos recueillis par Marc Chartier & Marie Grillot
Revoir le film en vidéo (payante) : cliquer ici