mercredi 2 février 2022

Le sarcophage de Mykérinos : porté disparu

Le sarcophage de Mykérinos - Ebers, Georg. "Egypt: Descriptive, Historical, and Picturesque." Volume 1. Cassell & Company, Limited: New York, 1878

Mykérinos "la divine". Cette pyramide, troisième par ordre de construction, de dimensions et de préséance sur le plateau de Guizeh, n’a rien à envier à ses deux aînées au chapitre des "mystères". Elle recelait en effet dans ses entrailles un sarcophage qui, près de deux siècles après sa découverte, est toujours porté disparu. Une énigme qui a suscité et continue d’inspirer maintes interrogations, supputations, hypothèses… Même la BD est de la partie, avec les "Aventures du Professeur Baltimont" (éditions Clair de Lune, 2015), imaginées par Jean-Louis Aguila (JAL), sous le titre précisément "Le sarcophage de Mykérinos".

Pénétrant en 1837 dans la pyramide par sa face Nord, le colonel britannique Richard William Howard Vyse (1784-1853), accompagné de l’ingénieur égyptologue John Shae Perring (1813-1869), découvre deux chambres superposées. 

Dans la première, à 6 m de profondeur, il trouve dans une fosse un sarcophage en bois. Voici le récit que donne Maspero de cette découverte : "Le cercueil en bois de cèdre avait la tête humaine et le corps en gaine : il n'était ni peint, ni doré, mais une inscription en deux colonnes, incisée sur le devant, contient le nom du Pharaon et une prière à son intention : 'Osiris, roi des deux Égyptes, Menkaourî, vivant éternellement, enfanté par le ciel, conçu par Nouît, chair de Sibou, ta mère Nouît s'est étendue sur toi en son nom de Mystère du Ciel et elle a accordé que tu sois un dieu et que tu repousses tes ennemis, ô roi des deux Égyptes Menkaourî, vivant éternellement.' Les Arabes éventrèrent la momie, pour voir si elle ne renfermait pas quelque bijou précieux, et n'y découvrirent que des feuilles d'or, probablement un masque ou un pectoral chargé d'hiéroglyphes. Lorsque Vyse rouvrit le caveau en 1837, les ossements gisaient dispersés au hasard dans la poussière, pêle-mêle avec des amas de chiffons salis et de bandelettes en laine jaunâtre." ("Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique").

Le cercueil est d’une époque tardive (XXVe ou XXVIe dynastie) et les ossements, ayant fait l’objet d’une datation au radiocarbone, sont encore plus récents (moins de 2.000 ans). Vyse décide de faire transporter les éléments du sarcophage, dont quatre grandes planches du couvercle avec des hiéroglyphes, et les ossements au British Museum de Londres.
Dans l’autre chambre funéraire, située en dessous de la précédente, une autre découverte attend les archéologues : un magnifique sarcophage en basalte, vide et sans la moindre inscription, mais orné de motifs sculptés en forme de façade de palais. "Le sarcophage, précise Maspero, était un seul bloc de basalte bleu noir, poli et sculpté en forme de maison, avec une façade percée de trois portes et de trois fenêtres à claire-voie, encadrée d'un tore, surmontée de la corniche saillante à laquelle les temples nous ont accoutumés."

Les débris du couvercle jonchent le sol, à côté du sarcophage.
Et Vyse de prendre, sans consulter qui que ce soit, au nez et à la barbe de Méhémet Ali, la décision de l'envoyer et de l’offrir au British Museum. "J’étais convaincu, écrit-il, que vu la nature fragile de la pierre dont il était composé, il aurait été rapidement entièrement détruit si on l’avait laissé dans la pyramide ouverte." Pour ce faire, Vyse ordonne de faire démonter les parois de granite qui tapissent le couloir d'accès à la chambre funéraire du roi, le sarcophage étant trop large pour passer par ce chemin. Pour la même raison, il fait enlever les jambages de la porte d'accès à la chambre des herses dont seuls le linteau et la partie basse d'un des jambages subsistent aujourd'hui. Le sarcophage est finalement tiré hors de la pyramide par la descenderie au prix d'efforts considérables, son volume occupant presque tout l'espace du couloir. Il est alors emballé dans une caisse, acheminé jusqu'à Alexandrie et embarqué pour l'Angleterre. (source : Wikipedia)

Une autre histoire commence alors.

Le bateau "Beatrice", un brick marchand battant pavillon anglais, quitte le port d’Alexandrie dans le courant de l’automne 1838, avec son précieux chargement. Mais pour une raison non élucidée, il ne parviendra jamais à destination. A-t-il été intercepté sur son parcours ? A-t-il sombré au cours d’une violente tempête sur les côtes du Portugal ou d’Espagne ? Dans son "Loss and Casualty Book", la compagnie d'assurance de la Lloyd mentionne, à la date du jeudi 31 janvier 1839, que le navire marchand Beatrice : "a appareillé d'Alexandrie le 20 septembre et de Malte, le 13 octobre, pour Liverpool. Puis plus aucune autre nouvelle." Le précieux sarcophage gît-il encore dans l’obscurité de quelque fond marin ? 

L’histoire semble s’arrêter ici, même si quelques questions restent en suspens. Que s’est-il réellement passé entre le départ d’Alexandrie et le départ de Malte ? Sans aller pour autant jusqu’à l’accusation de "crime archéologique" que d’aucuns suggèrent, de quel droit Vyse s’est-il réclamé pour vouloir exporter le sarcophage, en prétextant qu’il s’agissait d’un objet "fragile" nécessitant un traitement spécial impossible en Égypte ? 

Pour tenter d’élucider ce qui reste en effet un mystère, l’idée d’une exploration sous-marine aurait été émise avec pour but de rechercher le lieu précis du naufrage et, pourquoi pas, de repérer le sarcophage de Mykérinos. Les explorateurs sous-marins Robert Ballard, qui a découvert l'épave du Titanic, et Franck Goddio auraient été pressentis pour cette opération placée sous la responsabilité du ministère des Antiquités égyptien, dans le cadre d’une mission conjointe égypto-espagnole. Puis un événement majeur est venu s’interposer dans le déroulement de ce projet : la Révolution de janvier 2011. Et, à notre connaissance, ledit projet est actuellement au point mort, si ce n’est qu’il semble être la source d’un bel imbroglio juridique concernant la propriété des "trésors" enfouis dans les fonds sous-marins. Avec les spécificités de ce cas précis : une antiquité égyptienne, sur un navire britannique, dans les eaux espagnoles....

Vue perspective du sarcophage de Mykérinos d'après Perring

Tome I de "l'histoire de l'art dans l'antiquité", Perrot et Chipiez, 1882


Il ne nous reste aujourd’hui, comme seul témoignage du sarcophage de Mykérinos, qu'un dessin établi par Perring qui assistait alors Howard Vyse dans ses travaux d'exploration des pyramides pour le compte du British Museum. 

Marc Chartier

sources :
Jean-Jacques Fiechter, Mykérinos : le dieu englouti, Maisonneuve & Larose, 2001
Egyptos.Net - L'Égypte des pharaons Actualité Égypte (archives 2008
Gaston Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique