Ces monuments, destinés à perpétuer à travers les siècles les noms des princes qui les avaient fait élever et à raconter aux races futures la puissance des premiers souverains de l'Égypte, seraient restés des témoins muets de ce glorieux passé, si les découvertes les plus récentes n'avaient révélé leur âge relatif, leur antiquité et les principaux événements qui accompagnèrent ou suivirent leur construction.
Les pyramides sont beaucoup plus anciennes qu'on n'aurait pu le supposer jusqu'à ces derniers temps : on peut affirmer avec certitude que celle qui fut construite à Saqquarah par le Pharaon Ouénéphès, date de plus de sept mille ans, et que les plus récentes furent bâties sous la XIIe dynastie, trois mille ans avant notre ère. Quant aux célèbres pyramides de Gizeh, élevées par les rois Khoufou, Khafra et Menkéra de la IVe dynastie, et illustrées à la fin du siècle dernier par la victoire du général Bonaparte sur les Mameluks, elles seraient âgées de soixante à soixante-cinq siècles environ ; ce sont les plus septentrionales de la région des pyramides, qui s'étend jusqu'à Meidoum sur une longueur de 60 kilomètres. Des fouilles et des études nombreuses, entreprises sur cette vaste superficie, ont prouvé que les pyramides avaient abrité des momies royales ; et si leur volume était variable, c'est que les règnes des Pharaons, dont elles gardaient les dépouilles, n'avaient pas eu une durée égale et n'avaient pas permis à ces princes d'accroître, dans une même mesure, les dimensions de leur monument funéraire. Commencées à l'avènement au trône de chaque roi, par le noyau central, au milieu ou au-dessous duquel était ménagée la chambre du sarcophage, elles étaient effectivement agrandies pendant toute la durée du règne, au moyen de couches concentriques de 4 à 5 mètres d'épaisseur ; de telle sorte qu'il suffisait, à la mort du souverain, de compléter l'enveloppe commencée, pour terminer en même temps le monument funéraire. La maçonnerie de chaque couche était elle-même montée en escalier, afin que l'on pût élever les pierres de taille et les amener au lieu d'emploi, en leur faisant franchir, au moyen de quelques madriers et de leviers en bois de sycomore, la hauteur qui séparait chaque marche. Une dernière enveloppe, en pierre dure et polie, faisait disparaître les gradins et dissimulait à tous les yeux l'entrée de la galerie conduisant à la chambre du sarcophage. Les rois attachaient à la grandeur et à la majesté de leur dernière demeure une telle importance, que ce fut un honneur réservé aux plus puissants fonctionnaires de la monarchie, de diriger, en qualité d'ingénieur, l'armée d'ouvriers employée à ces travaux, après avoir présidé, dans les carrières, au choix des bancs de pierre qui devaient être exploités.
Il est difficile de concevoir aujourd'hui la puissance de ces souverains qui, pour élever un monument indestructible rappelant aux générations futures leur puissance et leur fol orgueil, arrêtaient tous les travaux d'utilité publique, écrasaient le peuple, pendant toute la durée de leur règne, de corvées et d'impôts, et faisaient converger toutes les forces de la nation vers un seul but : la construction de la pyramide royale. On peut se rendre compte des sacrifices demandés à l'Égypte pendant cette période, en calculant ce que coûterait aujourd'hui, si on utilisait l'outillage perfectionné de l'industrie moderne, la construction de la pyramide de Khoufou. Elle ne saurait être évaluée à moins de 600 millions ; mais on dépenserait un milliard, si les maçons et les tailleurs de pierre étaient réduits à travailler avec les outils imparfaits des Égyptiens. Ainsi donc, les six pyramides de Gizeh, de Saqquarah et de Dachour, coûtèrent à l'Égypte, comptant à peine, à cette époque reculée, quatre à cinq millions d'habitants, une somme supérieure à l'indemnité de guerre exigée par les Allemands après nos désastres, et à peu près équivalente à celle que nous avons consacrée à la construction des 22.000 kilomètres de chemins de fer qui sillonnent la France."
par Marcel Dieulafoy (1844-1920), ingénieur des Ponts et Chaussées, archéologue
extrait de Revue générale de l'architecture et des travaux publics - journal des architectes, des ingénieurs, des archéologues, des entrepreneurs, des industriels du bâtiment, etc. ; histoire, théorie, pratique, mélanges · Volume 39, 1882
par Marcel Dieulafoy (1844-1920), ingénieur des Ponts et Chaussées, archéologue
extrait de Revue générale de l'architecture et des travaux publics - journal des architectes, des ingénieurs, des archéologues, des entrepreneurs, des industriels du bâtiment, etc. ; histoire, théorie, pratique, mélanges · Volume 39, 1882