La pyramide est la transformation d'une conception primitive. Chez tous les peuples on a eu l'idée de placer sur les tombes un amas de pierres, et les Égyptiens sont partis de là pour construire la pyramide telle que nous la connaissons. Les rois qui ont vécu dans les premiers temps dont parle l'histoire d'Égypte ont élevé des pyramides de briques à degrés, analogues à celles des Sumériens, des Assyriens et d'autres peuples de la Mésopotamie. Il est hors de doute que l'influence des Sumériens s'exerça, peut-être quatre-vingts ou quatre-vingt-dix siècles avant notre ère, dans une période très obscure, antérieure aux temps les plus reculés que mentionne l'Histoire, et les roitelets de la Basse-Égypte, désireux de rehausser leur majesté, imitèrent avec des briques, c'est-à-dire, avec les matériaux qui étaient le plus à leur portée, les monuments de la civilisation qui existait dans la Mésopotamie, civilisation que quelques historiens font remonter à dix ou onze mille ans avant Jésus-Christ.
Quand les rois d'Égypte furent devenus puissants et maîtres absolus de leurs sujets, ils purent élever les mêmes constructions en pierre, faisant transporter sur des traîneaux et sur des radeaux le calcaire du désert arabique et le granit rouge qu'on extrait des carrières en amont d'Assouan.
Je dois avouer que les Pyramides n'ont rien en elles-mêmes qui soit de nature à émouvoir le touriste au premier moment. Nous les avons vues tant de fois dans des livres, dans des tableaux et même sur des presse-papiers avant qu'elles nous apparaissent en réalité ! Nous ne savons que répéter en nous-mêmes qu'elles sont énormes, absurdement énormes.
En outre, vue de près, la Grande Pyramide semble un simple amoncellement de pierres, formant des assises en retrait de soixante-dix mètres environ les unes sur les autres. Autrefois, ces degrés étaient cachés par des blocs de granit taillés et polis, tellement lisses qu'il était impossible de gravir la pente, et s'adaptant si exactement les uns aux autres qu'on ne pouvait introduire un bâton entre deux d'entre eux. Ce revêtement de pierre polie a été arraché pour être employé à d'autres constructions, et il ne subsiste plus aujourd'hui qu'une énorme masse de maçonnerie entièrement à découvert ; cela fait penser à un être monstrueux dont on aurait arraché la peau."
extrait de Le Voyage d'un romancier autour du monde, 1925, de Vicente Blasco Ibañez (1867-1928), écrivain, journaliste et homme politique espagnol. Il est considéré comme l'un des plus grands romanciers de langue espagnole.
Ouvrage traduit de l'espagnol par Renée Lafont.