L'explorateur et égyptologue français Émile Prisse d'Avennes (1807-1879), fondateur de la Revue orientale et algérienne, a parcouru l'Égypte et la Nubie de 1827 à 1844, mêlant son attrait pour les découvertes archéologiques à une propagande pour l'influence française.
Le texte ci-dessous est extrait de son Histoire de l'art égyptien d'après les monuments depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine, Paris, 1868-1877.
J'en relève plus particulièrement les points suivants :
- perfection et simplicité de l'architecture, reposant sur des proportions "régies par le triangle rectangle" ;
- incertitude sur la fonction des "conduits d'air" de la Grande Pyramide ;
- bien que représentant les "premiers pas dans l'architecture monumentale en pierre", la pyramide offre l'avantage de la simplicité et de la stabilité.
L'auteur souligne aussi le rôle primordial du prince Merhet, surintendant général des bâtiments royaux, grand architecte royal, avec cette affirmation qui relègue Hémiounou aux oubliettes de l'histoire :"Il y a tout lieu de conjecturer que c'est lui [le prince Merhet] qui dirigea la construction de la grande pyramide".
Je n'ai malheureusement trouvé aucune information concernant ce prince (*), sinon cette citation de Richard Lepsius, dans ses Lettres d'Égypte, d'Éthiopie et de la Péninsule du Sinaï, amplement reprise par Prisse d'Avennes :" (...) a sepulchral chamber, which I myself discovered beneath the sand (...). It belongs to a Prince Merhet, and as he was a priest of Chufu (Cheops), and as he had called one of his sons Chufu-mer-nuteru, and possessed eight villages, the names of which are combined with that of Chufu, and as the situation of the tomb is on the western side of the Pyramid of Chufu, and the style of the representations are in perfect keeping with it, it is more than probable that Merhet was a son of Chufu, from which circumstance all the representations become still more interesting. This prince was at the same time superintendent of all the royal buildings, therefore he filled the office of "Chief of the Board of Works" (Oberhofbaurath), a high and important position at that period of most magnificent buildings, which we have frequently seen occupied by princes and royal relatives. We may therefore conjecture that he also himself superintended the building of the largest Pyramid."
(...) quelques mots sur certaines opinions erronées, qui ont encore cours, à propos des tombeaux. On a cherché à expliquer l'usage des conduits d'air ménagés dans les pyramides de Gizeh (...). On a prétendu qu'ils avaient été établis uniquement pour donner de l'air aux ouvriers : cela ne peut être (...). Ces conduits ont été ménagés, selon quelques-uns, dans l'espoir de conserver à l'âme du mort une communication avec le monde extérieur. Ne pourrait-on pas même supposer, dans ce cas, que ces issues auraient été établies, dans la croyance que l'âme pourrait ainsi parvenir plus facilement au corps, lorsqu'au bout de trois mille ans obligatoires elle viendrait le ressusciter ? Quoi qu'il en soit, nous ne le croyons pas, parce que les triples cercueils de pierre, de bois et de carton, hermétiquement fermés, contredisent cette opinion.
Le véritable motif nous échappera probablement toujours : chaque peuple, en s'éteignant, emporte avec lui le secret de la plus notable partie des idées qui lui étaient propres. On sait que ces sortes d'ouvertures avaient disparu dans la période qui suivit l'édification des premiers sépulcres, et qu'on ne les rencontre plus à partir de la XIIe dynastie ; ils reparurent, cependant, sous le nouvel empire (...).
Nous avons cru pouvoir classer, comme l'ont fait la plupart de nos devanciers, les pyramides parmi les sépultures, afin de ne pas paraître viser au paradoxe ; puis aussi, parce qu'en admettant que ces monuments aient été édifiés pour des fins astronomiques ou même agronomiques, ils n'en ont pas moins servi de cénotaphes, sinon de tombes véritables.
(...) En présence de ces témoignages d'une civilisation et d'une science aussi avancées, quand l'art de la sculpture était déjà supérieurement développé dans les tombeaux qui entourent les pyramides et qu'on sait en être les contemporains ; quand on est forcé de constaté l'admirable emploi qu'on y a fait des blocs de granit (en même temps que la perfection de l'appareil de leur intérieur, qui n'a jamais été surpassé, ce qui prouve le degré d'habileté auquel étaient parvenus les Égyptiens bien avant la construction des murs de Tyrins), comment ne serait-on pas frappé de la simplicité de leur forme, de l'absence d'ornementation architecturale qui les caractérise (tant à l'extérieur qu'à l'intérieur) (...).
Si les pyramides ne furent pas des œuvres artistiques, si leur destination comme tombeaux des pharaons (ce qu'on croyait avoir été leur principal, sinon leur seul but) n'a été que l'intérêt secondaire, tandis que leur érection aurait été due à une pensée d'utilité publique inspirée par la science, c'est à M. Fialin de Persigny que reviendraient et la découverte et la démonstration scientifique de cette grande vérité.
D'un autre côté, c'est à Daniel Ramée qu'on doit la théorie de leurs proportions, seconde découverte confirmée depuis par les travaux de Perring ; car celui-ci, en prouvant que la même loi de proportion se répète dans toutes les pyramides de Gizeh, aurait fourni, à l'appui, assez d'éléments de certitude pour qu'on pût constater l'exactitude d'une aussi grande découverte d'après laquelle, les proportions de ces édifices étant régies par le triangle rectangle, les pyramides seraient la démonstration tangible du théorème qui veut que le carré de l'hypoténuse soit égal à la somme des carrés des deux autres côtés. En même temps, en outre, il en résulterait que ce théorème n'est pas de l'invention de Pythagore, puisque les Égyptiens en auraient connu la solution plus de trois mille ans avant notre ère.
On sait qu'il a été retrouvé, dans le voisinage de la pyramide de Chéops, à l'ouest, un tombeau parfaitement conservé, couvert de brillantes peintures, celui du prince Merhet. Celui-ci, en raison de sa fonction de prêtre de Choufou (que les Grecs traduisent par Chéops), donna à l'un de ses fils le nom de "Choufou-mer-nouterou", c'est-à-dire Choufou aimé des dieux. Cette appellation est très remarquable ; elle semble attester, en effet, que Chéops n'était pas un contempteur des dieux.
Rappelons également que ce prince possédait huit mille (1) villages dont les noms sont tous des épithètes de Choufou, dont il paraîtrait qu'il aurait été lui-même le fils ou l'un des fils. Il était surintendant général des bâtiments royaux et avait le rang de grand architecte royal, poste fort élevé, dans ce temps de magnificence monumentale, et souvent confié à des princes et même à des membres de la famille royale. Si nous avons parlé de ce prince, c'est qu'il y a tout lieu de conjecturer que c'est lui qui dirigea la construction de la grande pyramide. En outre, il existe encore, de la même époque, un autre tombeau : celui d'un nommé Eimal.
(...) La pyramide est le plus simple des corps géométriques, en même temps que la garantie du plus de stabilité possible ; c'est pour cela qu'elle a été employée par les peuples les plus divers dès le début de leur civilisation. (...) La propriété de stabilité de cette forme offre donc un véritable attrait pour des peuples primitifs qui aspirent à élever des monuments durables et qui, pour atteindre ce but, n'ont encore que des forces matérielles. Mais si la pyramide en Égypte, comme ailleurs, ne rend témoignage que des premiers pas dans l'architecture monumentale en pierre, nous ne saurions oublier que l'architecture en bois était déjà bien développée à l'époque de la construction en pierre, puisque le fait est prouvé par les représentations de colonnes en bois, parfaites, qui se trouvent dans les tombeaux contemporains des pyramides.
Le désir de la variété, du contraste si l'on aime mieux, fait que l'on recherche davantage les grandes masses architecturales dans les pays plats que dans les pays accidentés ; car, dans les endroits montagneux, ces masses ne pourraient pas lutter avec les masses naturelles et où il y a des collines, celles-ci, comme c'est le cas avec les acropoles grecques, élèvent naturellement les temples en leur prêtant une base plus ou moins considérable, tandis qu'en Égypte et en Assyrie, il fallut ou élever artificiellement cette base et l'édifice qui la couronne, ou faire l'édifice plus haut pour qu'il pût se passer de base. De plus, en Égypte, les deux chaînes de montagnes qui bordent la vallée du Nil pouvaient bien entraîner à ériger, par imitation, deux autres chaînes de grands monuments aux bords du fleuve afin d'interrompre ainsi l'uniformité de cette vallée, si large et par trop peu ondoyante pour sa largeur, car les villes et les temples étaient bâtis, pour la plupart, aux limites de l'inondation afin qu'il ne fût rien perdu des terres fertiles et qu'on pût mettre les fondations des édifices à l'abri des eaux.
Ajoutons qu'en Égypte, dès les premiers temps historiques (qui commencent avec Ménès), la société paraît être déjà bien formée et bien réglée et que cette circonstance, jointe à la facilité de se procurer les choses nécessaires aux premiers besoins de la vie, dans un pays aussi fertile, ayant dû faire augmenter considérablement la population, il y avait suffisamment de forces matérielles pour exécuter ces ouvrages, quelque surprenant qu'ils fussent par leurs masses. En outre, plus tard, sous d'ambitieuses dynasties, les Égyptiens (...) durent et accroître leurs richesses domestiques par les tributs des peuples soumis, en même temps que les triomphes de la guerre leur fournissaient aussi, dans les vaincus, des ouvriers, des manœuvres, et se sentir inspirés du désir de manifester la gloire de leur nation dans toute l'étendue du pays.
Voici les raisons principales pour lesquelles, selon nous, la tendance d'en imposer par les masses architecturales, commencée par les pyramides, non seulement n'a jamais fléchi, mais, au contraire, a toujours augmenté et a atteint son apogée dans l'intervalle qui sépare la XVIIIe dynastie de la XXIe, temps qui coïncide avec la plus brillante époque de l'architecture grandiose de ce peuple.
Il faut pourtant bien se garder de confondre ce qui est massif avec le caractère du colossal. Tous deux, il est vrai, ont beaucoup de points de ressemblance, mais les masses, en elles-mêmes, ne donnent que la conscience des forces matérielles tandis que par lui-même, au contraire, le colossal est un caractère d'art dont l'effet sur le spectateur doit surpasser l'action des moyens par lesquels l'œuvre a été produite. Ici, c'est donc l'apparence optique qui décide, parce que nos yeux, habitués dans la vie ordinaire à la vue perspective, transportent cette habitude à la contemplation des œuvres d'art, et n'aperçoivent plus les détails dans les objets éloignés (...).
C'est (...) dans l'intérieur des tombeaux et des temples qu'on trouve le luxe, l'apogée de l'art, la colonne. C'est aussi parce que l'architecture libre de l'Égypte dérive de l'architecture souterraine et que, d'après les idées sur la continuation de la vie après la mort, c'est l'intérieur du tombeau qui l'emporte sur l'extérieur, qu'ils ont accumulé là tout ce que l'art pouvait produire. Mais un fait étrange est à noter : tandis qu'on rencontre cette richesse de décoration dans les tombeaux de particuliers qui vivaient à l'époque des premières dynasties, les pyramides des souverains contemporains sont entièrement dépourvues d'ornements et de représentations ; il n'y a que les hypogées des pharaons du nouvel empire qui étaient [ornées] de nombreuses représentations d'offrandes à toutes les divinités, en même temps qu'une longue série d'images et d'inscriptions relatives à la vie future.
(1) Chiffre bien sûr très exagéré. Lepsius, dont Prisse d'Avennes s'inspire, écrit "huit" villages. L'ouvrage de Lepsius date de 1852 : il est donc antérieur à celui de Prisse d'Avennes d'une quinzaine d'années.
(*) Merci par avance pour toute information qui pourrait être apportée en complément de cette note.
Le texte ci-dessous est extrait de son Histoire de l'art égyptien d'après les monuments depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine, Paris, 1868-1877.
J'en relève plus particulièrement les points suivants :
- perfection et simplicité de l'architecture, reposant sur des proportions "régies par le triangle rectangle" ;
- incertitude sur la fonction des "conduits d'air" de la Grande Pyramide ;
- bien que représentant les "premiers pas dans l'architecture monumentale en pierre", la pyramide offre l'avantage de la simplicité et de la stabilité.
L'auteur souligne aussi le rôle primordial du prince Merhet, surintendant général des bâtiments royaux, grand architecte royal, avec cette affirmation qui relègue Hémiounou aux oubliettes de l'histoire :"Il y a tout lieu de conjecturer que c'est lui [le prince Merhet] qui dirigea la construction de la grande pyramide".
Je n'ai malheureusement trouvé aucune information concernant ce prince (*), sinon cette citation de Richard Lepsius, dans ses Lettres d'Égypte, d'Éthiopie et de la Péninsule du Sinaï, amplement reprise par Prisse d'Avennes :" (...) a sepulchral chamber, which I myself discovered beneath the sand (...). It belongs to a Prince Merhet, and as he was a priest of Chufu (Cheops), and as he had called one of his sons Chufu-mer-nuteru, and possessed eight villages, the names of which are combined with that of Chufu, and as the situation of the tomb is on the western side of the Pyramid of Chufu, and the style of the representations are in perfect keeping with it, it is more than probable that Merhet was a son of Chufu, from which circumstance all the representations become still more interesting. This prince was at the same time superintendent of all the royal buildings, therefore he filled the office of "Chief of the Board of Works" (Oberhofbaurath), a high and important position at that period of most magnificent buildings, which we have frequently seen occupied by princes and royal relatives. We may therefore conjecture that he also himself superintended the building of the largest Pyramid."
Prisse d'Avennes
(...) quelques mots sur certaines opinions erronées, qui ont encore cours, à propos des tombeaux. On a cherché à expliquer l'usage des conduits d'air ménagés dans les pyramides de Gizeh (...). On a prétendu qu'ils avaient été établis uniquement pour donner de l'air aux ouvriers : cela ne peut être (...). Ces conduits ont été ménagés, selon quelques-uns, dans l'espoir de conserver à l'âme du mort une communication avec le monde extérieur. Ne pourrait-on pas même supposer, dans ce cas, que ces issues auraient été établies, dans la croyance que l'âme pourrait ainsi parvenir plus facilement au corps, lorsqu'au bout de trois mille ans obligatoires elle viendrait le ressusciter ? Quoi qu'il en soit, nous ne le croyons pas, parce que les triples cercueils de pierre, de bois et de carton, hermétiquement fermés, contredisent cette opinion.
Le véritable motif nous échappera probablement toujours : chaque peuple, en s'éteignant, emporte avec lui le secret de la plus notable partie des idées qui lui étaient propres. On sait que ces sortes d'ouvertures avaient disparu dans la période qui suivit l'édification des premiers sépulcres, et qu'on ne les rencontre plus à partir de la XIIe dynastie ; ils reparurent, cependant, sous le nouvel empire (...).
Nous avons cru pouvoir classer, comme l'ont fait la plupart de nos devanciers, les pyramides parmi les sépultures, afin de ne pas paraître viser au paradoxe ; puis aussi, parce qu'en admettant que ces monuments aient été édifiés pour des fins astronomiques ou même agronomiques, ils n'en ont pas moins servi de cénotaphes, sinon de tombes véritables.
(...) En présence de ces témoignages d'une civilisation et d'une science aussi avancées, quand l'art de la sculpture était déjà supérieurement développé dans les tombeaux qui entourent les pyramides et qu'on sait en être les contemporains ; quand on est forcé de constaté l'admirable emploi qu'on y a fait des blocs de granit (en même temps que la perfection de l'appareil de leur intérieur, qui n'a jamais été surpassé, ce qui prouve le degré d'habileté auquel étaient parvenus les Égyptiens bien avant la construction des murs de Tyrins), comment ne serait-on pas frappé de la simplicité de leur forme, de l'absence d'ornementation architecturale qui les caractérise (tant à l'extérieur qu'à l'intérieur) (...).
Si les pyramides ne furent pas des œuvres artistiques, si leur destination comme tombeaux des pharaons (ce qu'on croyait avoir été leur principal, sinon leur seul but) n'a été que l'intérêt secondaire, tandis que leur érection aurait été due à une pensée d'utilité publique inspirée par la science, c'est à M. Fialin de Persigny que reviendraient et la découverte et la démonstration scientifique de cette grande vérité.
D'un autre côté, c'est à Daniel Ramée qu'on doit la théorie de leurs proportions, seconde découverte confirmée depuis par les travaux de Perring ; car celui-ci, en prouvant que la même loi de proportion se répète dans toutes les pyramides de Gizeh, aurait fourni, à l'appui, assez d'éléments de certitude pour qu'on pût constater l'exactitude d'une aussi grande découverte d'après laquelle, les proportions de ces édifices étant régies par le triangle rectangle, les pyramides seraient la démonstration tangible du théorème qui veut que le carré de l'hypoténuse soit égal à la somme des carrés des deux autres côtés. En même temps, en outre, il en résulterait que ce théorème n'est pas de l'invention de Pythagore, puisque les Égyptiens en auraient connu la solution plus de trois mille ans avant notre ère.
On sait qu'il a été retrouvé, dans le voisinage de la pyramide de Chéops, à l'ouest, un tombeau parfaitement conservé, couvert de brillantes peintures, celui du prince Merhet. Celui-ci, en raison de sa fonction de prêtre de Choufou (que les Grecs traduisent par Chéops), donna à l'un de ses fils le nom de "Choufou-mer-nouterou", c'est-à-dire Choufou aimé des dieux. Cette appellation est très remarquable ; elle semble attester, en effet, que Chéops n'était pas un contempteur des dieux.
campagne égyptienne (photo Marc Chartier)
Rappelons également que ce prince possédait huit mille (1) villages dont les noms sont tous des épithètes de Choufou, dont il paraîtrait qu'il aurait été lui-même le fils ou l'un des fils. Il était surintendant général des bâtiments royaux et avait le rang de grand architecte royal, poste fort élevé, dans ce temps de magnificence monumentale, et souvent confié à des princes et même à des membres de la famille royale. Si nous avons parlé de ce prince, c'est qu'il y a tout lieu de conjecturer que c'est lui qui dirigea la construction de la grande pyramide. En outre, il existe encore, de la même époque, un autre tombeau : celui d'un nommé Eimal.
(...) La pyramide est le plus simple des corps géométriques, en même temps que la garantie du plus de stabilité possible ; c'est pour cela qu'elle a été employée par les peuples les plus divers dès le début de leur civilisation. (...) La propriété de stabilité de cette forme offre donc un véritable attrait pour des peuples primitifs qui aspirent à élever des monuments durables et qui, pour atteindre ce but, n'ont encore que des forces matérielles. Mais si la pyramide en Égypte, comme ailleurs, ne rend témoignage que des premiers pas dans l'architecture monumentale en pierre, nous ne saurions oublier que l'architecture en bois était déjà bien développée à l'époque de la construction en pierre, puisque le fait est prouvé par les représentations de colonnes en bois, parfaites, qui se trouvent dans les tombeaux contemporains des pyramides.
Le désir de la variété, du contraste si l'on aime mieux, fait que l'on recherche davantage les grandes masses architecturales dans les pays plats que dans les pays accidentés ; car, dans les endroits montagneux, ces masses ne pourraient pas lutter avec les masses naturelles et où il y a des collines, celles-ci, comme c'est le cas avec les acropoles grecques, élèvent naturellement les temples en leur prêtant une base plus ou moins considérable, tandis qu'en Égypte et en Assyrie, il fallut ou élever artificiellement cette base et l'édifice qui la couronne, ou faire l'édifice plus haut pour qu'il pût se passer de base. De plus, en Égypte, les deux chaînes de montagnes qui bordent la vallée du Nil pouvaient bien entraîner à ériger, par imitation, deux autres chaînes de grands monuments aux bords du fleuve afin d'interrompre ainsi l'uniformité de cette vallée, si large et par trop peu ondoyante pour sa largeur, car les villes et les temples étaient bâtis, pour la plupart, aux limites de l'inondation afin qu'il ne fût rien perdu des terres fertiles et qu'on pût mettre les fondations des édifices à l'abri des eaux.
Ajoutons qu'en Égypte, dès les premiers temps historiques (qui commencent avec Ménès), la société paraît être déjà bien formée et bien réglée et que cette circonstance, jointe à la facilité de se procurer les choses nécessaires aux premiers besoins de la vie, dans un pays aussi fertile, ayant dû faire augmenter considérablement la population, il y avait suffisamment de forces matérielles pour exécuter ces ouvrages, quelque surprenant qu'ils fussent par leurs masses. En outre, plus tard, sous d'ambitieuses dynasties, les Égyptiens (...) durent et accroître leurs richesses domestiques par les tributs des peuples soumis, en même temps que les triomphes de la guerre leur fournissaient aussi, dans les vaincus, des ouvriers, des manœuvres, et se sentir inspirés du désir de manifester la gloire de leur nation dans toute l'étendue du pays.
Voici les raisons principales pour lesquelles, selon nous, la tendance d'en imposer par les masses architecturales, commencée par les pyramides, non seulement n'a jamais fléchi, mais, au contraire, a toujours augmenté et a atteint son apogée dans l'intervalle qui sépare la XVIIIe dynastie de la XXIe, temps qui coïncide avec la plus brillante époque de l'architecture grandiose de ce peuple.
Il faut pourtant bien se garder de confondre ce qui est massif avec le caractère du colossal. Tous deux, il est vrai, ont beaucoup de points de ressemblance, mais les masses, en elles-mêmes, ne donnent que la conscience des forces matérielles tandis que par lui-même, au contraire, le colossal est un caractère d'art dont l'effet sur le spectateur doit surpasser l'action des moyens par lesquels l'œuvre a été produite. Ici, c'est donc l'apparence optique qui décide, parce que nos yeux, habitués dans la vie ordinaire à la vue perspective, transportent cette habitude à la contemplation des œuvres d'art, et n'aperçoivent plus les détails dans les objets éloignés (...).
C'est (...) dans l'intérieur des tombeaux et des temples qu'on trouve le luxe, l'apogée de l'art, la colonne. C'est aussi parce que l'architecture libre de l'Égypte dérive de l'architecture souterraine et que, d'après les idées sur la continuation de la vie après la mort, c'est l'intérieur du tombeau qui l'emporte sur l'extérieur, qu'ils ont accumulé là tout ce que l'art pouvait produire. Mais un fait étrange est à noter : tandis qu'on rencontre cette richesse de décoration dans les tombeaux de particuliers qui vivaient à l'époque des premières dynasties, les pyramides des souverains contemporains sont entièrement dépourvues d'ornements et de représentations ; il n'y a que les hypogées des pharaons du nouvel empire qui étaient [ornées] de nombreuses représentations d'offrandes à toutes les divinités, en même temps qu'une longue série d'images et d'inscriptions relatives à la vie future.
(1) Chiffre bien sûr très exagéré. Lepsius, dont Prisse d'Avennes s'inspire, écrit "huit" villages. L'ouvrage de Lepsius date de 1852 : il est donc antérieur à celui de Prisse d'Avennes d'une quinzaine d'années.
(*) Merci par avance pour toute information qui pourrait être apportée en complément de cette note.
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