vendredi 18 décembre 2009

"Les Égyptiens préférèrent la figure pyramidale à toutes les autres" (Jean-Joseph Vaissète - XVIIIe s.)

Jean-Joseph Vaissète (1685-1756) - ou dom Joseph Vaissète - était un moine bénédictin, de la congrégation de Saint-Maur. Il est connu pour ses travaux sur l'histoire générale du Languedoc.
Il est également l'auteur d'une Géographie historique, ecclésiastique et civile, ou Description de toutes les parties du globe terrestre, enrichie de cartes géographiques, éditée en 1755. Le texte ci-dessous est extrait du tome 4 de l'ouvrage.
Le propos encyclopédique de cette géographie ("toutes les parties du globe terrestre" !) et certains détails quelque peu "flottants" dans la description de la Grande Pyramide laissent supposer que l'auteur s'est surtout inspiré d'autres relations. En l'occurrence, pour le site de Guizeh, la référence a pour nom Thomas Shaw, un auteur déjà présenté dans ce blog.
Mais quand bien même Jean-Joseph Vaissète ne serait jamais allé en Égypte pour effectuer son "travail de bénédictin" (les quelques éléments biographiques en ma possession ne font pas état d'un tel voyage), son récit n'en perd pas pour autant de son intérêt : il est, me semble-t-il, révélateur de la "culture égyptologique" d'une certaine époque.
Conformément à l'habitude prise par ce blog, j'ai souligné dans le texte les points méritant, me semble-t-il, une attention spéciale.

Illustration extraite de l'ouvrage



Nous n'avons dit qu'un mot en passant des fameuses pyramides d'Égypte, situées aux environs de l'ancienne ville de Memphis, et du village de Gizé, dans un lieu qui servait de cimetière à cette ville, à la gauche du Nil, et au sud-ouest du Caire, pour rapporter ici en peu de mots le précis de ce qu'on en sait de plus important. Nous observerons d'abord avec Shaw que les récits et les descriptions qu'en ont faits les Anciens sont très différents les uns des autres et que les Modernes, au lieu d'éclaircir ces difficultés, n'ont fait que les augmenter.

On compte trois pyramides aux environs de Gizé. Elles sont toutes construites sur des rochers unis, cachés sous du sable blanc ; les pierres dont elles ont été bâties ont été tirées sur les lieux mêmes, ce qu'on connaît par les fosses et par les caves des environs, taillées dans le roc. Il y a aussi dans chacune des puits profonds, carrés et taillés aussi dans le roc ; et on voit des puits semblables dans les grottes qui sont dans le voisinage des pyramides.

II n'y a aucune pyramide parfaitement carrée : elles ont toutes deux côtés plus longs que les deux autres, en sorte qu'elles forment un carré long. Elles sont posées avec beaucoup de régularité. Les murailles, dans quelques-unes, sont chargées de figures hiéroglyphiques, taillées dans le roc. Quelques-unes de ces figures sont fort petites ; d'autres sont grandes comme nature.

On prétend que les Égyptiens préférèrent la figure pyramidale à toutes les autres pour la construction de ces énormes édifices, parce que c'est la plus durable, soit parce que le haut ne charge pas le bas, soit parce que la pluie ne s'y arrêtant pas, elle les endommage moins. D'autres croient que les Égyptiens, par cette figure, ont voulu représenter quelques-unes de leurs divinités, parce que dans les temps les plus reculés, les dieux étaient représentés par des pyramides, des obélisques et des colonnes.

La plus belle et la plus grande des trois pyramides, située à 40 stades ou 6 milles de Memphis, dont les Anciens ne connaissaient pas l'intérieur, est sur une roche qui s'élève environ cent pieds au-dessus du niveau de la plaine de sable qui l'environne. Ni les Anciens ni les Modernes ne conviennent pas entre eux de ses dimensions. Le Brun, qui l'a mesurée, lui donne 704 pieds de base et 616 pieds de hauteur ; mais on ne saurait dire précisément de combien elle est plus large que haute, parce que le sable empêche qu'on n'en puisse mesurer le pied. D'ailleurs le terrain d'aucun de ses côtés n'est pas exactement de niveau. II va en pente depuis l'angle oriental jusqu'au méridional et il remonte jusqu'à l'occidental. De plus les côtés du nord et du couchant se trouvent couverts d'une grande quantité de sable que les vents y ont poussés ; et on ne saurait marquer jusqu'à quelle hauteur ces sables mouvants s'y font accumulés au-dessus des fondements. Le côté qui regarde le nord est plus gâté que les autres, à cause du vent du nord, dont il est battu. Pline dit que 370.000 ouvriers furent employés pendant 10 ans à la construction de cette pyramide, et qu'il y fut dépensé 1800 talents, seulement en raves et en oignons.

Pour entrer dans cette pyramide, on monte sur une petite colline de sable qui s'est accumulée vis-à-vis l'entrée, et ensuite 16 marches : cette entrée ou ouverture est carrée, haute de trois pieds et demi, et large de quelque chose de moins. La pierre, qui est au-dessus en travers, a près de 11 pieds de long sur 18 de large. On entre d'abord dans une chambre de 18 pieds de long et de 11 de large, et voûtée en dos d'âne. On peut passer de là en montant dans une allée qui est de la même largeur, et qui a plus de cent pieds de long, mais si peu élevée, à cause des sables que le vent y a portés qu'il faut se coucher sur le ventre, et marcher à la lumière, en rampant des deux mains. On arrive à un espace où on peut se reposer, et d'où on entre dans un appartement grand et carré. La voûte en est fort élevée ; le bas est plein de pierres et de terre et on y sent une puanteur insupportable. On trouve là deux autres chemins, dont l'un va en descendant, et l'autre en montant. À l'entrée du premier, qui est à droite, on rencontre un puits fort profond, qui conduit, à ce qu'on prétend, dans diverses grottes creusées dans la montagne. L'autre chemin, qui est à gauche, et où on ne marche qu'en grimpant, ou en rampant sur le ventre, a 6 pieds 4 pouces de large, et est long de 161 pieds. Il est revêtu des deux côtés de la muraille d'un banc de pierre, haut de deux pieds et demi. Il y a des trous où on peut mettre les pieds, de six paumes en six paumes de l'un à l'autre. Les pierres de cette montée, qui en font les murailles, sont si bien jointes les unes avec les autres qu'elles sont unies comme une glace de miroir, et qu'on dirait que ce n'est qu'une seule pierre. Il en est de même du pavé ; la voûte est élevée et magnifique.

Ce chemin conduit dans une chambre où on voit un grand vase, que la plupart des voyageurs prennent pour un sépulcre vide, taillé d'une seule pierre, long de 7 pieds 2 pouces, large de 3 pieds 1 pouce, haut de 4 pieds 4 pouces, et épais de 5 pouces, sans couverture, ni balustrade, ni aucun ornement. La pierre de ce vaisseau qui rend un son comme une cloche, quand on la touche, et qui est extrêmement dure et polie, ressemble à du porphyre. Les murailles de la chambre sont incrustées de la même pierre. Ce prétendu sépulcre est tout nu, et il paraît que personne n'y a jamais été inhumé.

Quand on a bâti cette pyramide, on a tellement disposé au-dehors les pierres les unes sur les autres qu'on a laissé dans chaque rang un espace suffisant pour se tenir dessus, et y asseoir les pieds fermes. Ainsi on monte au plus haut comme par degrés, dont on en compte 210 et on peut visiter l'extérieur de la pyramide en grimpant entre l'est et le nord, qui est l'endroit par où l'on monte plus aisément, à cause que les pierres y sont moins écornées ou rongées par le temps. Environ à la moitié du chemin, on rencontre une chambre où on peut se reposer, et où il n'y a rien à voir. On arrive enfin au haut de la pyramide sur une belle plate-forme, d'où l'on découvre le Caire, la campagne des environs, sept autres pyramides à la distance de 7 lieues, et la mer que l'on a à main gauche. La plate-forme, qui à la regarder d'en bas, paraît finir en pointe, est composée de 10 à 11 grosses pierres, et elle a 16 à 17 pieds en carré. Il est plus malaisé de descendre que de monter : le plus sûr est de descendre à reculons, sans regarder en bas pour n'être pas effrayé, et de bien poser ses pieds.
(...)
Il ne reste plus aujourd'hui aucun monument certain qui nous apprenne quels sont les fondateurs de ces merveilleux édifices : on peut seulement dire en général, sur le témoignage des Anciens, que leur fondation remonte jusque dans les temps les plus reculés, et aux premiers rois d'Égypte. Les Anciens ne s'accordent pas non plus sur la destination de ces grands bâtiments.

Shaw assure qu'il ne paraît pas que ces pyramides aient jamais été entièrement finies : il conjecture que, suivant le dessein original, on devait y ajouter un superbe portique, que les coins devaient être remplis de pierres taillées en prisme, et que leur sommet devait être terminé en pointe de diamant comme dans la seconde.

Quant à la destination de ces bâtiments, la plus commune opinion est qu'ils devaient servir de tombeaux aux rois d'Égypte. Shaw combat cette opinion par des raisons qui paraissent solides ; et il est persuadé qu'ils n'étaient disposés de la manière qu'ils le sont que pour servir de sanctuaire pour la célébration des mystères égyptiens. Quant au Coffre, comme il l'appelle, de marbre granit, qui se trouve dans la chambre haute de la grande pyramide, ce savant critique ajoute qu'il paraît avoir été plutôt destiné à quelque usage religieux, comme par exemple au culte mystique d'Osiris, qu'à servir de cercueil à un roi d'Égypte. D'ailleurs les cercueils de pierre des Égyptiens qui nous restent sont d'une façon différente : ils sont tout couverts de caractères hiéroglyphiques, et faits comme les caisses des momies, ne pouvant contenir qu'un seul corps humain. Enfin ce vaisseau est placé dans une situation différente de celle que les Égyptiens donnaient à leurs morts, car on trouve toutes leurs momies debout.

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