lundi 14 juin 2010

"En élevant les pyramides, les Égyptiens avaient soin, pour diminuer le travail, de choisir un terrain élevé en forme de tertre dont ils faisaient le noyau de leur construction" (Jean-Gabriel Peltier - XVIIIe-XIXe s.)

Le journaliste politique français Jean-Gabriel Peltier (1760-1825), d'orientation royaliste, dut se réfugier en Angleterre de 1792 à 1820, où il fit paraître un journal, l'Ambigu, dans lequel il attaquait violemment Napoléon Bonaparte.
Outre-Manche, il rencontra également le jeune Chateaubriand auquel il apporta son soutien dans ses travaux littéraires, mais avec lequel il se brouilla lors de la publication du Génie du christianisme. Ceci expliquant peut-être cela, Chateaubriand dressa de Peltier ce portrait peu élogieux, dans ses Mémoires d'outre-tombe : "Il n’avait pas précisément de vices ; mais il était rongé d’une vermine de petits défauts dont on ne pouvait l’épurer : libertin, mauvais sujet, gagnant beaucoup d’argent et le mangeant de même (…) ; grand, maigre, escalabreux, les cheveux poudrés, le front chauve, toujours criant et rigolant."
Le texte de Peltier que l'on trouvera ci-dessous est extrait de la revue Paris, pendant l'année 1800, vol XXVIII, sous le titre "Antiquités de la Haute- Égypte : fin du rapport de la Commission des Arts au Premier Consul".


Jean-Gabriel Peltier
"On retrouve les ruines de Memphis, cette seconde capitale de l'Égypte suivant l'ordre des temps, dans les villages turcs nommés Metrahenny et Mohannan. Memphis parait avoir occupé une surface d'une lieue et demie de longueur sur une de largeur. Les temples, les palais, les édifices publics enfin, étaient situés sur des éminences, tandis que les habitations des particuliers, construites en briques crues, occupaient le niveau de la plaine. (...)
Au sud-ouest et à une demie lieue de l'emplacement de Memphis, cessent les terres cultivées et commence le désert ; c'est là qu'on voit les pyramides appelées maintenant du nom du village de Sakkara, le plus voisin d'elles ; elles doivent avoir servi de sépultures au plus grand nombre des rois qui ont gouverné Memphis ; elles le cèdent toutes, en grandeur et en travail, à celles de Gizé ; leur nombre est d'environ trente, encore subsistantes : on retrouve les traces d'un nombre d'autres. L'inspection de ces dernières porte à croire qu'en élevant les pyramides, les Égyptiens avaient soin, pour diminuer le travail, de choisir un terrain élevé en forme de tertre dont ils faisaient le noyau de leur construction, qui, dès lors, se bornait à un simple revêtement de l'épaisseur de quelques pieds plus ou moins.
Parmi les pyramides, on en distingue une composée seulement de trois assises disposées par étages, une autre dont les arêtes sont courbes ; elle avait été commencée sur un plan qui l'aurait rendue au moins égale en hauteur à la plus grosse de celles de Gizé. On fut dans la suite effrayé de l'entreprise, et, pour terminer subitement, on prit le parti de la finir par une courbe. La troisième est construite en briques ; elle a été ouverte, et la distribution de l'intérieur ressemble beaucoup à celle de la grande pyramide.



On trouve, dans le désert de Sakkara, un grand nombre de grottes souterraines où étaient déposées des momies d'hommes, et particulièrement' un grand nombre de momies d'Ibis. Ces souterrains consistent en une longue galerie divisée en plusieurs embranchements, des deux côtés desquels sont des réduits de huit pieds haut sur six de large. C'est là que sont les pots qui renferment 1es momies d'Ibis : leur disposition est celle de bouteilles dans les caves. Il est probable que Memphis était la sépulture de tous les Ibis morts dans les temples, ou trouvés dans les différentes parties de l'Égypte. (…)
L'emplacement qu'occupent les pyramides de Sakkara, a environ deux lieues et demie de largeur, de l'est à l'ouest, sur sept de longueur, du nord au sud ; on y trouve beaucoup de fragments de vases de purification en granit, en albâtre et en porphyre, matières précieuses dont le goût s'était introduit au temps où existait Memphis.
Les pyramides les plus septentrionales de Sakkara sont éloignées de celles de Gizé de trois lieues et demie. Il est probable que toute la plaine des momies qui se voit à l'ouest de Memphis, ne servait de sépulture qu'aux rois, aux prêtres et aux grands ; il faut chercher les plus intéressantes, celles du peuple, dans les grottes percées dans le Mokattan, à l'est du fleuve. Les Égyptiens, en ensevelissant leurs morts dans le désert, se conformaient à une de leurs plus anciennes et de leurs plus sages lois, qui défendait d'enterrer un homme partout où il pouvait croître un arbre.
Les pyramides de Gizé sont au nombre de trois grandes et trois petites, placées au sud-ouest et dans l'alignement des autres ; elles ont servi de sépultures à trois rois de Memphis. La plus grande est celle de Chéops ; la seconde a été construite par Chephren, et la troisième par Mycerimes. La plus orientale est aussi la plus élevée en construction, quoiqu'elle paraisse moins haute que celle qui la suit, ce que la seconde doit à sa position sur un rocher élevé de 40 pieds au-dessus du niveau du sol de l'autre.
La grande pyramide a 434 pieds de hauteur sur 704 de base. Elle a été ouverte par un calife arabe. Le roi qui l'avait construite, n'avait rien négligé pour dérober à la postérité la connaissance de sa sépulture. On y trouve son sarcophage placé dans une salle revêtue en granit. On n'a employé cette pierre que dans les endroits où on avait l'intention de rendre l'ouverture plus difficile.
Toutes les pyramides sont bâties en pierres numismales, extraites des carrières du. Mokattan, dans la partie connue sous le nom de Monts Troyens. Elles sont situées sur la rive arabique et à 5 lieues de distance.
La troisième pyramide a été revêtue en granit ; il subsiste encore un assez grand nombre de blocs de cette pierre employée dans la construction de la masse de ce bâtiment ou brisées au bas de ses arêtes ; la pyramide orientale est environnée d'un très grand nombre d'autres qui lui sont fort inférieures en grandeur, et qui paraissent avoir été la sépulture des gens de la cour du roi. Autour de la deuxième pyramide au nord et à l'ouest, on a coupé le rocher en forme de muraille, et on a creusé dans son épaisseur des grottes sépulcrales : sur le plafond de l'une d'elles on a imité des troncs de palmier. À l'est de la troisième pyramide, on voit les ruines d'un temple qui pourrait indiquer que l'ouverture de cette pyramide regardait le Nil.
Dans l'alignement et à l'est de la seconde pyramide est le sphinx dont parlent tous les voyageurs. La longueur du rocher auquel on a donné la forme de cet animal chimérique est d'environ 95 pieds jusques à la croupe ; sa hauteur, depuis les genoux jusques au sommet de la tête, est de 38 pieds.. Les anciens croyaient assez généralement qu'un conduit ouvert dans le corps du sphinx menait, par des canaux souterrains, à l'intérieur de la pyramide. Il est encore permis à présent de conjecturer que sous ces masses énormes on a creusé des grottes que quelques auteurs croient avoir servi aux mystères de l'initiation. Sur la tête du sphinx on voit un trou, de 5 pieds de profondeur ; on ignore s'il ne se poussait pas plus loin.
On trouve encore les traces d'une seconde ouverture de ce genre sur le dos de cette figure. La tète du sphinx porte les caractéristiques de nègres, chose qui lui est commune avec toutes les figures de divers monuments de l'Égypte, lorsque le nez en a été enlevé.
Aucun voyageur ne parle des grottes sépulcrales qui se trouvent en assez grand nombre dans le voisinage des deux principales pyramides ; elles renferment à peu près les mêmes sujets que ceux qu'on voit dans la Haute-Égypte, avec cette différence que l'exécution de quelques-unes d'elles est plus parfaite.
Les pyramides tenaient un vaste plan ; quoique imparfait dans les détails, il ne devait pas manquer de grandeur dans l'ensemble : il renfermait plusieurs temples, et une superbe chaussée dont on aperçoit quelques restes, servait à la communication de Memphis avec les pyramides."

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