samedi 13 novembre 2010

Les “règles” de l’architecture égyptienne, selon un Dictionnaire des sciences mathématiques du XIXe s.

Le texte que j’ai choisi du Dictionnaire des sciences mathématiques pures et appliquées, ouvrage édité en 1835, rédigé par une société d’anciens élèves de l’École Polytechnique, sous la direction d’Alexandre Sarrazin de Montferrier (1792-1863), nous donne de la “hauteur” - si l’on peut dire - par rapport aux seules pyramides. Il y est question de considérations plus générales sur l’architecture égyptienne, puis des connaissances en astronomie mises en application par les bâtisseurs des pyramides.
Par ce choix, nous ne sortons donc pas - du moins il me semble - du pré carré du thème majeur de ce blog. L’art de bâtir “à l’égyptienne” est en effet ancré, selon les auteurs du Dictionnaire, dans des traditions multiséculaires. C’est en fonction de cet ancrage dans son environnement propre (fait de climat, de religion et de moeurs publiques) qu’il a pu s’exprimer en majesté dans les pyramides, sans qu’il ait été pour autant question de diminuer le rôle essentiel des “connaissances mécaniques puissantes” et des solides notions d’astronomie que possédaient les maîtres d’oeuvre égyptiens.
À noter les réflexions des auteurs sur les survivances modernes, notamment dans l’art funéraire, de l’architecture égyptienne.



Illustration extraite du site de Jon Bodsworth
“L'ordre chronologique donne à l'architecture des Égyptiens la première place dans l'histoire de l'art de bâtir. Il est vrai que la cabane ne peut l’avoir précédé chez cette nation, dont la civilisation est comme la grande aïeule de la nôtre, et dont cependant l’antique sociabilité est demeurée pour nous un impénétrable mystère. Au lieu de forêts, le sol de l’Égypte ne renferme que des carrières qui produisent des pierres faciles à mettre en oeuvre. Force a donc été à l’homme de se construire dans ce pays des abris plus solides que la cabane, et de chercher ailleurs que dans la nature les modèles des vastes édifices qu’il y a construits.
Le caractère grave et tout national de l’architecture égyptienne n’a point permis aux peuples modernes d’adopter aucune de ses formes. À l’aspect de ces masses imposantes, mais qui semblent porter l’empreinte d’un système impitoyable de servitude, destiné à enchaîner le passé et l’avenir dans une effrayante immobilité, l’art a dû s’arrêter, comme l’intelligence se perd dans un problème insoluble.
C’est à tort cependant qu’on a dénié à ce système d’architecture des règles théoriques, comme celles dont les ordres grecs offrent l’application. C’est également à tort qu’on l’a considéré comme constatant une absence totale de science, d’invention et de goût. Nous n’en jugeons point ainsi. On tombe dans de semblables erreurs toutes les fois qu’on essaie de séparer les oeuvres de l’homme de leur principe intellectuel. Mais si les meilleures lois sont, pour un peuple, celles qu’il peut le mieux supporter, et qui conviennent d’ailleurs à son génie, les plus beaux édifices sont aussi ceux qui, dans leur destination d’utilité, s’harmonisent le mieux avec le climat, les moeurs et les idées générales des peuples où ils sont élevés.
L’architecture égyptienne nous paraît réunir au degré le plus éminent les conditions de durée et de stabilité que les institutions religieuses et politiques de ce peuple avaient en vue. Ses monuments les plus anciens n’offrent aucune différence remarquable avec ceux qu’il a construits  dans les derniers temps de sa nationalité ; ils ont le même caractère, les mêmes proportions, les mêmes dispositions, et semblent également, dans leur sombre majesté, élevés pour le même but.
Il est donc impossible de ne pas reconnaître dans l’architecture égyptienne une suite de règles plus sévères encore et plus exigeantes que celles dont les Grecs établirent l’usage. Ces règles, dit-on, rendaient du moins tout progrès impossible ; le progrès, tel que nous le concevons, n’entrait point comme élément social dans la législation égyptienne. Elle n’avait pas voulu que les caprices du goût pussent jamais affecter l’ordre religieux et politique qu’elle avait établi : l’architecture nationale devait donc subir ses prescriptions absolues. Mais sous le rapport de la science, cette architecture suppose des connaissances mécaniques puissantes, et sous ceux de l’invention et du goût, nous ne pouvons l’apprécier sans faire la part du climat, de la religion et des moeurs publiques, dont il lui était ordonné de reproduire partout les symboles respectés.
La connaissance de l’architecture égyptienne ne fait point partie des études auxquelles se livrent les jeunes architectes de nos jours. Sans doute la pratique en grand de cet antique système de construction formerait avec nos moeurs mobiles et nos frivoles habitudes une choquante disparate ; mais quelquefois cependant, on en rencontre dans nos cimetières quelques souvenirs incomplets. On dirait que la douleur, commune à l’humanité, et dont le langage est universel, vient rappeler à l’artiste, en présence d’un tombeau, les traditions de l’architecture égyptienne, si puissante sur l’âme, car son caractère grave et mélancolique est aussi empreint de l’idée d’éternité. (...)
Les commencements de l’astronomie égyptienne sont demeurés cachés dans le mystère qui enveloppait, chez ce peuple singulier, les institutions religieuses, muettes dépositaires de sa civilisation et de son savoir.
On a voulu tirer une conséquence favorable aux connaissances astronomiques des Égyptiens de la direction exacte des faces de leurs pyramides vers les quatre points cardinaux. Certainement le hasard ne peut avoir constamment produit cette disposition remarquable de leurs plus anciens monuments ; mais cependant aucunes des observations égyptiennes ne nous ont été conservées. Il est au contraire historiquement prouvé que les astronomes de l’école d’Alexandrie recoururent aux observations chaldéennes. D’un autre côté, longtemps avant cette époque, Thalès, Pythagore, Eudoxe et Platon étaient venus de la Grèce visiter les prêtres égyptiens, et ils puisèrent dans leurs entretiens les connaissances qu’ils rapportèrent dans leur patrie. D’où vient donc que les monuments et les prêtres de l’Égypte sont demeurés muets pour les savants d’Alexandrie ? C’est là, si l’on peut s’exprimer ainsi, une de ces singularités de l’histoire qui doivent rester à jamais inexplicables, et qu’il faut se borner à faire remarquer.”

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