lundi 15 novembre 2010

“Les pierres énormes que l'on y voit ne peuvent y avoir été placées qu'à l'aide des machines” (Félix Le Royer de La Sauvagère - XVIIIe s. - à propos des pyramides de Guizeh)

Il avait beau être Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien Directeur en chef dans le Corps militaire du Génie, de l'Académie royale des Belles-Lettres de la Rochelle, spécialiste d’antiquités, et correspondant du Journal des Savants, Félix Le Royer de La Sauvagère (1707-1782) n’a pas eu, semble-t-il, la main très heureuse dans le choix de ses sources pour la rédaction du chapitre qu’il a consacré aux momies égyptiennes (*), dans son ouvrage Recueil d’antiquités dans les Gaules, 1770.
À l’évidence, il n’a pas eu l’occasion de visiter lui-même les pyramides d’Égypte. Tel n’était pas le sujet de son ouvrage. Il n’empêche qu’il y a fait largement allusion, en se référant à des auteurs aujourd’hui difficilement identifiables, mais dont tel ou tel avait quand même vu la bagatelle de “plus de mille” pyramides “aux environs de Memphis et du Caire”, voire “jusques dans l’intérieur de la ville du Caire”. Rien que cela !
Quant à la chambre au sarcophage, elle se retrouve située “au fond” de la Grande Pyramide !
“On raconte que”... “on raconte que” : difficile de bâtir d’authentiques pages d’histoire avec des sources si imprécises.


“D'autres déposaient ces cadavres dans des pyramides ; suivant ce que raconte Hérodote, c'était l'usage des Égyptiens. Ces pyramides étaient plus ou moins élevées, selon la qualité des personnes que l'on y renfermait : on en voit plus de mille répandues aux environs de Memphis et du Caire (1), au rapport de Christophe Furer de Haimendorf, de M. de Moncomis, et de Ferdinand de Truilo, qui voyageait dans ce pays-là l'an 1666. Jean-Baptiste CazaI cite ces pyramides, que l'on remarque jusques dans l'intérieur de la ville du Caire ; et je ne m'arrêterai point à raconter tout ce qui a été écrit sur ces sortes de monuments, où plusieurs voyageurs sont entrés pour y voir des momies.
Entre ces pyramides, il y en a trois superbes, que l'on a mises au rang des sept merveilles du monde ; elles sont à quatre lieues du grand Caire, en tirant vers le sud-ouest ; elles se trouvent marquées, entre autres cartes connues, dans celle que M. Lenglet du Fresnoy a insérée dans sa Méthode pour étudier l'Histoire.

Photo Marc Chartier

On les découvre de très loin ; quelques-uns ont écrit qu'on les voyait de trente lieues : elles sont distantes l'une de l'autre d'environ trois cents pas. La plus grande est au nord ; sa base est carrée, et elle a cent treize toises quatre pieds de côté (2) : il y en a qui croient qu'elle fut bâtie il y a plus de 3700 ans par un roi d'Égypte appelé Chemmis ou Chamoïs, qui a commencé à régner l'an du monde 2009. On dit qu'il employa à ce travail trois cent soixante mille ouvriers pendant vingt années. Pline qui en parle, ajoute qu'il y fut dépensé dix-huit cents talents seulement en raves et en oignons, sortes de légumes dont les anciens Égyptiens étaient fort avides.
Les pierres énormes que l'on y voit, ne peuvent y avoir été placées qu'à l'aide des machines ; mais l'on sait que les anciens Égyptiens connaissaient les sciences mathématiques. Toutes les pierres du pourtour sont posées par retraite des unes aux autres, de sorte que l'on monte jusques au sommet comme sur un escalier, dont chaque pierre ou marche a trois pieds de haut ; on en compte environ deux cent huit : elle est terminée par une plate-forme de seize pieds en carré. On y entre par un trou de trois pieds. Je ne ferai point le détail des galeries qu'il faut parcourir, des puits où il faut descendre, des trous où il faut se mettre pour marcher dans l'intérieur de cette pyramide, au fond de laquelle l'on trouve enfin une chambre qui a trente-deux pieds de longueur, seize de largeur et dix-neuf pieds de hauteur, sous un lambris tout plat, où l'on voit un tombeau vide, fait tout d'une pièce, de sept pieds de longueur, trois de largeur, trois pieds quatre pouces de hauteur et cinq pouces d'épaisseur, d'une pierre à peu près semblable au porphyre. On raconte qu'il y a encore à côté une autre cave plus petite, et l'on conjecture que c'était l'endroit où les cadavres embaumés ou momies de quelque roi d'Égypte avec fa femme furent déposés.”


(*) L’auteur relève à ce propos, en mode de “diversion”, cette chanson citée par Jean-André Reyher, auteur d’un ouvrage sur la Momiographie, édité en 1708 :
Les Rois d'Égypte et de Syrie
Voulaient qu'on embaumât leurs corps
Pour rester plus longtemps morts ;
Quelle folie !
Avant que de nos corps
Notre âme soit partie,
Avec du vin embaumons-nous
Pour rester plus longtemps en vie. 
(1) Le Caire est la capitale de l'Égypte, à une petite distance du Nil : c'est une des plus grandes villes du monde ; elle a onze lieues de circuit. Il se trouve dans son enceinte un grand nombre de jardins et de grands lacs. On y compte vingt-quatre mille rues et autant de mosquées. M. Maillet estime le nombre des habitants à un million de personnes tout au plus. Il y passe tous les ans plus de quarante mille pèlerins, qui vont visiter le tombeau de Mahomet.
(2) Quelques-uns lui donnent 145 toises de côté de carré, c’est-à-dire 580 toises de pourtour.

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