On peut présumer que toute une génération de jeunes lecteurs a été formée à la culture égyptienne par l’ouvrage de l’historien Jules (ou Jean ?) Lacroix de Marlès (17...-1850 ?) Firmin, ou Le jeune voyageur en Égypte (6e édition 1861), dont j’ai extrait le texte ci-dessous.Tout porte à penser qu’il s’agit ici d’une fiction, propre à un genre littéraire adapté à la formation intellectuelle de la jeunesse. Mais fictive ou non, la relation n’en distille pas moins des connaissances que les lecteurs, jeunes ou pas, sont invités à joindre à leur bagage culturel. D’où la responsabilité de l’auteur qui s’inspire assurément ici des acquis de son époque (XIXe siècle) en matière d’égyptologie et plus spécialement de pyramidologie, les sources citées englobant autant Hérodote que Caviglia et Belzoni. On ne manquera pas toutefois de remarquer que ledit auteur se livre à une analyse plus personnelle sur le pourquoi de la construction, et donc sur la fonction des pyramides. Cette initiative littéraire était-elle justifiée ? On peut en douter.
“Ce fut en s'entretenant de la sorte que nos voyageurs arrivèrent aux pyramides. À l'aspect de ces masses, Firmin parut frappé d'un profond étonnement, dont lui-même n'aurait pu définir la nature ; car sa surprise ne venait point de l'admiration ; c'était plutôt de la stupeur devant cette œuvre de patience, ou, comme le dit Aristote, devant cet ouvrage de tyrans. Des tyrans seuls ont pu, en effet, employer tout un peuple à la construction de monuments semblables, et ce peuple a dû être un peuple d'esclaves. Firmin demanda d'abord par qui les pyramides de Dgizêh avaient été construites et pour quel usage.
Une question bien controversée et non encore décidée, c'est celle de savoir à quel usage les pyramides furent destinées; et là-dessus, on s'est livré à des divagations sans nombre. Les uns ont voulu que les pyramides fussent des tombeaux ; d'autres en ont fait des observatoires, des édifices faits pour établir une méridienne invariable ; d'autres encore y ont vu des gnomons. Pour moi, si je devais avoir un avis, je soutiendrais volontiers que c'étaient des monuments érigés en l'honneur du soleil Osiris. Suivant l'opinion d'Hérodote et de beaucoup d'autres écrivains anciens et modernes, les pyramides étaient des tombeaux ; mais les princes qui les avaient fait construire n'y furent pas ensevelis ; le prétendu sarcophage qu'on a trouvé au milieu de la grande chambre, dite du Roi, n'a point la forme des cercueils égyptiens, ne laisse apercevoir aucune trace qui indique un couvercle, et de plus est placé horizontalement, contre la coutume générale et constante des Égyptiens de placer debout les caisses de leurs momies. Je dois convenir que le voyageur Caviglia a reconnu des routes souterraines qui s'enfoncent sous la grande pyramide, et qui probablement conduisent à la partie inférieure du puits qui se trouve en allant de l'ouverture aux chambres, puits dont l'existence était attestée par Pline longtemps avant qu'on fît l'ouverture de la pyramide. Un auteur arabe, qui prétend être descendu au fond de ce puits, dit qu'on y trouve quatre portes conduisant à quatre grandes pièces qui renferment des momies. J'admets ce fait ; il ne prouve pas plus que les pyramides étaient des tombeaux, que les caveaux de nos églises, naguère encore remplis de cadavres, ne prouveraient que nos églises sont des monuments funèbres.
La découverte de Caviglia piqua d'émulation. On croyait que la seconde pyramide n'avait jamais été ouverte ; Belzoni chercha un passage pour y pénétrer, et il le découvrit. On prétend qu'il y avait parmi les Arabes une tradition relative à ce passage et que Belzoni la connaissait. Du reste, il est bien permis de croire que cette tradition existait, puisqu'une inscription arabe trouvée dans la chambre dite Sépulcrale prouvait que les Arabes y étaient entrés dans le XIIe siècle de l'ère vulgaire. On y trouva, comme dans la première, une grande cuve qu'on appela sarcophage, et dans ce sarcophage des ossements qu'on reconnut pour être ceux d'un bœuf. Quant à la troisième pyramide, elle n'a jamais été ouverte. On croit que la première le fut par ordre du calife Almanoun (*), fils et successeur du fameux Haroun-al-Raschid ; et comme cela eut lieu par l'enlèvement d'une grosse pierre située sur la face septentrionale, à cinquante pieds environ du sol, nul doute que la situation de cette pierre ne fût connue par tradition, car le hasard seul n'aurait pu l'indiquer. Il parait même que le secret n'était pas ignoré des anciens. Hérodote, il est vrai, n'en parle que d'une manière assez vague, se bornant à dire qu'il y a dans le corps des pyramides des routes ; mais Strabon, mieux instruit, affirme qu'à une certaine hauteur, vers le milieu des côtés, il y a une pierre mobile qui, étant ôtée, laisse à découvert une entrée oblique par laquelle on pénètre dans l'intérieur.
On sait aujourd'hui qu'on arrivait au cœur de ces monuments non seulement par l'entrée ordinaire, mais encore par des avenues secrètes ; que les eaux du Nil y arrivaient par des conduits souterrains ; qu'il existe des communications du dedans au dehors ; qu'auprès des pyramides se trouvaient de nombreuses excavations où l'on croit que les prêtres faisaient leur demeure ; tous ces faits, appuyés par les conséquences qu'on peut tirer de la forme extérieure des pyramides, forme qui mieux que toute autre permet aux rayons du soleil de les embrasser dans tous leurs contours, peuvent m'autoriser à penser que ces pyramides furent des temples élevés en l'honneur d'Osiris, dispensateur de la lumière. Qui ne sait que, dans les anciens temps, les hommes représentèrent leurs dieux sous la forme d'une colonne ou d'une pierre. Callirhod, prêtresse de Junon, dit Clément d'Alexandrie, parait de guirlandes la colonne de la déesse, et Scaliger, sur ce passage, observe que les statues des dieux ne furent d'abord que des colonnes pyramidales. Jupiter et Diane, suivant Pausanias, étaient représentés à Corinthe, l'un sous la forme d'une pyramide, l'autre sous celle d'une colonne; et, pour ne pas sortir de l'Egypte, je vous dirai, avec Diodore, que les Égyptiens ont honoré sous forme de colonnes Osiris et Isis, et qu'ils regardaient les pyramides et les obélisques, terminés en pointe, comme représentant des rayons du soleil.
Tandis que M. Roland parlait, on s'était avancé du côté du nord ; Firmin n'aurait pas cru avoir vu les pyramides d'Égypte s'il n'était entré au moins dans l'une d'elles. Ils se trouvaient sur le bord de l'espèce de glacis que les sables, poussés par les vents et probablement aussi par la main des hommes, ont formé au-dessous de l'ouverture, et qui s'élève jusqu'à cette dernière. Nos voyageurs arrivèrent par cinq canaux ou galeries, qui vont de haut en bas, de bas en haut et horizontalement, à la chambre dite du Roi. L'autre chambre, dite de la Reine, est sous la première. Quatre de ces canaux sont de même grandeur; comme ils n'ont que trois pieds et demi de haut, on est obligé de s'y glisser courbé ou couché. Les quatre côtés sont revêtus de tables de marbre blanc si bien poli, qu'il serait impossible de monter ou de descendre si on n'y avait pratiqué des entailles de distance en distance. La cinquième galerie est beaucoup plus haute que les autres. Ce qu'on veut bien appeler sarcophage n'est qu'une grande cuve de granit dur et sonore, très poli, mais sans ornements ; elle est de forme oblongue.
Nos jeunes gens renoncèrent à voir la chambre inférieure ; et surtout ils rejetèrent bien loin l'idée de descendre dans le puits, comme ils en avaient d'abord eu le projet. M. Roland, qui n'était monté que par complaisance pour Firmin, qu'il ne voulait point perdre de vue, n'eut garde d'insister pour la visite du puits. Après avoir passé une heure à parcourir aux flambeaux ces sombres galeries, il lui tardait de revoir le jour et de respirer l'air libre. (...)
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