mardi 23 août 2011

“On commence par l’indifférence, on finit par l’admiration” (Alphonse Couret - XIXe-XXe s. - à propos des pyramides de Guizeh)

Les récits de pèlerins en route vers la Terre Sainte et faisant une courte halte au pied des pyramides d’Égypte, sont souvent expéditifs lorsqu’ils relatent cette étape sur le plateau de Guizeh.
Tel est le cas de la relation d’Alphonse Couret (1841-1916), comte romain et ancien magistrat, spécialiste de l'histoire de la Palestine. Dans son ouvrage En terre promise. Notes de mon voyage en Égypte et en Palestine, 16 avril-4 juin 1890, publié en 1891, il prend à peine le temps de décrire son “étonnement” et son “admiration” face à la Splendide, à la Grande et à la Supérieure. Ses considérations très générales sont toutefois complétées par une remarque, à l’évidence inspirée par tel ou tel égyptologue (non cité), sur l’ancienneté du Sphinx par rapport à la pyramide de Khéops.

Photo d'Albert et Leonora Newsome (1910)

“À mesure que l'on se rapproche des Pyramides, on les apprécie davantage. Elles sont bien plus étonnantes en tête à tête et de près que de loin. C'est le contraire des bâtons flottants (*) : on commence par l'indifférence, on finit par l'admiration. Ce n'est pas tant leur hauteur, quoique encore fort honorable : 137 mètres ; c'est surtout l'ampleur énorme, la masse, le développement gigantesque, le cube, l'aire de leur base, bien supérieur, ce semble, à leur hauteur ; c'est l'immensité du triangle de blocs formé par la grande pyramide, justement surnommée par les anciens Égyptiens : la Splendide. Quelle masse, quel colosse, quel entassement, quelle vertigineuse accumulation de monolithes ; quelle somme de travail humain cela représente !... Et dire que, aujourd'hui, avec tous les moyens dont la science dispose, il serait peut-être impossible d'exécuter ce gigantesque massif, orienté, paraît-il, avec une précision mathématique et donnant par la comparaison de ses lignes, la relation de son périmètre avec sa hauteur, sa latitude, son poids, l'axe de son entrée et la projection de son ombre sur le sol, la solution mystérieuse des plus précieux problèmes d'astronomie, de mesure et de mécanique.
Les Bédouins eux-mêmes, les Bédouins au cœur de pierre, mendiants, voleurs et dégradés, dont les huttes misérables de boue et de roseaux se cachent à quelque distance dans une déchirure du plateau, à l'ombre d'un maigre palmier, éprouvent confusément l'impression d'accablante grandeur produite par les Pyramides. “Nos ancêtres”, disait le chef des Bédouins à l'un des ecclésiastiques du pèlerinage, “nos ancêtres, grande race, bâtissaient avec de la pierre ; nous, petite race, nous bâtissons avec de la terre !” (1)
Les Pyramides sont au nombre de quatre : deux grandes (2) et deux petites. Tout autour, de nombreux pylônes de taille modeste, tronqués, démolis, mutilés, abattus, et formant comme un respectueux cortège, une cour déférente aux Pyramides monarchiques.
Le plateau sur lequel elles s'élèvent est une nécropole : c'est le Saint-Denis de l'ancienne Égypte. Pharaon dormait dans son cercueil de porphyre, au fond de sa pyramide souveraine, entouré de sa Cour, de ses Grands, de ses femmes, de ses Officiers, pendant que son fantôme, que son double, était préservé des terreurs de l’Amenti par les formules magiques
gravées sur les parois de son sépulcre, et gardé de l'anéantissement par la multiplication de ses images et les précautions minutieuses prises contre la découverte et la profanation de sa momie...
Plus ancien encore, et non moins étonnant que les Pyramides, le Sphinx, le grand Sphinx d'Égypte, énigmatique et grandiose personnification du Soleil-Levant et de la résurrection, devant lequel se sont arrêtés défiants, stupéfaits et sourdement hostiles tous les pèlerins de Jérusalem, depuis Félix Fabri et Bernard de Breydenbach (**) jusqu'à l'abbé de Binos (***).
Il s'élève actuellement du fond d'un entonnoir de sable et de rocher, d'un trou ou vaste bas-fond, et tient, dit-on, entre ses pattes informes, un petit temple d'albâtre et de granit noir ou rose, aujourd'hui recouvert par les sables et dont on distingue seulement la stèle supérieure en granit gris et couverte de pâles hiéroglyphes. Jugez de l'ancienneté de ce temple : il a été restauré par Chéops, le fondateur de la grande Pyramide qui vivait, dit-on, plus de trois mille ans avant Jésus-Christ.
Déjà à cette date, le Sphinx et son temple étaient si vieux qu'ils avaient besoin de réparations urgentes !... De profil, le Sphinx ne dit rien du tout, mais, de face, il a incontestablement l'apparence de la figure humaine, avec vastes oreilles et nez aplati par une énorme cassure.”

(1) Inutile de faire observer que les Bédouins en question ne descendent pas plus des anciens Égyptiens que le Khédive actuel n'est le petit-neveu des Pharaons.
(2) Voici, d'après les Égyptiens d'autrefois, les noms des trois principales Pyramides : la Splendide, fondée par Chéops (autrement dite “la demeure brillante de Choufou”) ; la Grande, oeuvre de Chéphren ; la Supérieure, bâtie par Mencherès, le Mycêrinos des Grecs.

Source : Gallica

Illustration de Gustave Doré
(*) allusion à la fable de La Fontaine Le chameau et les bâtons flottants.
(**) sur cet auteur, voir la note de Pyramidales : ICI   
(***) voir note de Pyramidales : ICI