Les familiers de cet auteur ne seront pas surpris par la teneur de ses développements et le style qu’il adopte par séquences pour démontrer l’originalité de son propos, tout en pourfendant au passage, dans ce qu'il affirme être un “esprit critique indispensable”, tel ou tel scientifique, technicien ou amateur pour cause de “réel défaut d’expertise”. Au besoin, en vous référant aux deux liens vers Pyramidales mentionnés ci-dessus, vous aurez une petite “piqûre de rappel” !
Éric Guerrier affirme, quant à lui, ne se baser que sur ce qui est avéré par l’archéologie et l’égyptologie, sans pour autant “prétendre avoir résolu en détail les énigmes constructives des pyramides de l’Ancien Empire, ni surtout (...) inventer un nouveau procédé”.
Si, d’entrée de jeu, vous cherchez à savoir comment Éric Guerrier conçoit le système constructif des pyramides, ou plutôt, pour être plus précis, comment, selon lui, les constructeurs égyptiens s’y sont pris pour transporter et mettre en place les blocs de pierre utilisés pour la construction de ces monuments, il vous faudra attendre la page 241 de l’ouvrage (qui en compte 265). En d’autres termes, vous allez être renvoyé à vos chères études ! Et réapprendre qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.
Avant de connaître - enfin ! - le procédé constructif des bâtisseurs égyptiens, il nous faut donc passer par de nombreux préliminaires présentés comme indispensables, sans lesquels un exposé purement technique ne repose sur aucun fondement valable.
Quelle est donc la démarche d’Éric Guerrier ? Voici, de manière synthétique, ce qui me semble en être les axes principaux :
- adopter un vocabulaire descriptif conforme (très souvent, celui que l’on utilise est inexact) ;
- examiner l’ensemble des pyramides de l’Ancien Empire, pour les mettre en perspective ;
- intégrer les apports d’une expertise pathologique des matériaux et des structures (une pyramide en voie de délabrement est plus informative qu’une pyramide encore en bon état) ;
- procéder à un diagnostic structural, étant entendu que les structures sont de trois sortes : les nano structures (les matériaux), les microstructures (appareils du massif, dalles, dallages, parois, parements... et surtout accrétions) et les macrostructures (configurations globales : grands lits horizontaux, noyau émergent et degrés apparents, degrés apposés apparents, degrés adossés, etc.).
Bref, “la clé de l’énigme ne se trouve pas en cherchant d’emblée comment les pierres ont pu être élevées jusqu’au sommet de la pyramide de Kheops, mais d’abord s’il est possible d’identifier le ou les principes de macrostructure régissant les massifs pyramidaux, bien sûr là où cette macrostructure n’est pas directement apparente”.
Il m’est impossible, dans le cadre de cette brève présentation, de suivre l‘auteur dans le dédale de son cheminement d’investigation. Son ouvrage ne se résume pas. La clé me semble toutefois tenir en cette phrase :”Au lieu d’un simple tas de pierres, la pyramide est une structure complexe comprenant un gros massif central en tronc de pyramide raidi, contre lequel viennent s’adosser les accrétions parallèles à lits déversés, formant deux à deux les degrés (d’un) escalier.” D’où le sous-titre de l’ouvrage.
Selon une telle lecture des structures que nous devons au génie d’Imhotep, et compte tenu d’une interprétation réajustée des fameux krossaï et bômides d’Hérodote, une construction par une succession de lits horizontaux relève d’un “lieu commun (...) communément admis sans examen critique par une majorité de scientifiques et quasi tous les techniciens et amateurs” ; elle n’est archéologiquement avérée “dans aucune pyramide de l’Ancien Empire ni aucun monument apparenté comme les mastabas et obélisques des temples solaires”. De surcroît, elle ne serait possible que moyennant la construction préalable et l’utilisation de rampes qui sont des “procédés inadaptés aux grandes hauteurs, à la traction continue” : elles sont “inadaptées à la mise en oeuvre de structures à degrés adossés, surtout dans un processus de chantier mené par surélévation progressive de degré en degré”. CQFD.
Coupe N-S sur la Grande Pyramide structurée selon l'hypothèse à noyau plus cinq degrés Ⓒ Éric Guerrier |
Conformément
à ce qu’il avait déjà développé dans ses deux ouvrages précédents
relatifs aux pyramides égyptiennes, Éric Guerrier retient comme principe
constructif (ou “macrostructure” pour reprendre sa terminologie) de ces
monuments la technique de l’accrétion, autrement dit d’ “une structure venant s’adosser contre une autre structure”, éventuellement en l’enveloppant. D’où cette conclusion intermédiaire :”Le
processus décrit par Hérodote implique nécessairement que l’élévation
du noyau et des accrétions était progressive et successive. Ce qui
implique que le noyau n’était pas élevé seul jusqu’en haut de son volume
définitif, puis la totalité de la première accrétion, etc. selon ‘idée
de Greaves.
La surélévation progressive commençait bien par celle du noyau, puis
successivement de chacune des accrétions en redescendant, ce qui
apparaît d’un bon sens pratique, notamment par division de la hauteur à
franchir en paliers égaux d’une hauteur d’environ 10 m, donc
relativement modeste par rapport à celle de la pyramide finale.”
Sans
nous perdre dans les détails de l’inventaire que dresse l’auteur des
innombrables pathologies qui affectent les pyramides et dans lesquelles
il trouve des “réponses hautement probables à certaines questions concernant la structure du massif des quatre plus grandes pyramides”,
l’exemple du dispositif coiffant la Chambre du Roi dans la pyramide de
Kheops est, à ses yeux, hautement révélateur. Il n’est pas encore
question du mode d’acheminement des monolithes disposés dans ces
“combles”. Patience ! Ça viendra... Ce qui retient pour l’instant
l’attention, ce sont les fissures alternées dans les monolithes
composant cet immense dispositif qui n’avait pas une fonction de
“décharge”, mais d’ “amortisseur” destiné à contrecarrer un tassement
différentiel entre les parois sud et nord de la Chambre du Roi
(excentrée, faut-il le rappeler, par rapport à l’axe de la pyramide), dû
à un plan de clivage le long de la face sud. Ce plan de clivage,
reliant le point de jonction des deux chevrons supérieurs et la base sud
de la Chambre du Roi, correspond, selon Éric Guerrier, à la face
interne de la première accrétion jouxtant le noyau central de la
pyramide. Coupe N-S sur la Chambre du Roi Ⓒ Éric Guerrier |
Venons-en enfin à la question qui, n’en déplaise à l’auteur, nous préoccupe et à laquelle il se propose de nous apporter sa réponse : quels procédés constructifs ont été mis en oeuvre par les bâtisseurs égyptiens de l’Ancien Empire ? Comment procédaient-ils notamment pour transporter et monter les blocs de pierre utilisés pour la construction du noyau et des accrétions selon une “progression partielle successive” ?
Le charroi sur terre est effectué avec des traîneaux tirés sur des voies “foraines”, sur terrain sableux, avec des traverses de bois déplacées d’arrière en avant, au fur et à mesure que le charroi avance.
Lorsqu’il est question, dans un deuxième temps, de la (des) technique(s) utilisée(s) pour hisser les blocs destinés à alimenter le chantier de construction, l’auteur, selon son habitude, nous emmène dans un inventaire des différentes solutions possibles, au terme duquel il n’est pas très aisé de percevoir avec précision celle qu’il adopte.
Ⓒ Éric Guerrier |
L’auteur arrête là son argumentaire. Il ne veut pas “entrer dans les détails et anomalies qui confortent cette hypothèse”.
Pour les blocs plus communs intégrés dans le noyau et les accrétions, il me semble que, au terme d’une identification de toutes les “machines” à hisser et à soulever, il marque une préférence pour un “procédé de hissage indirect depuis le sol”, actionné par un “mille-pattes” (équipe de haleurs). Voir les illustrations ci-dessus et ci-dessous.
Ⓒ Éric Guerrier |
Et l’auteur de conclure :”Les
‘machines’ (...) sont toutes fixes, peuvent être faites de bois de
‘faibles (ou courtes) dimensions’, sans pièces rotatives, et pourraient
toutes être montées sur un châssis de traîneau. Et elles suffiraient à
élever toute la masse des pierres courantes des pyramides, quelle qu’en
soit la structure. Mais, bien sûr, elles seraient les mieux adaptées au
processus par escalier surélevé progressivement, tel que rapporté
expressément par Hérodote : on hisserait les blocs sur le premier degré
(en fait le dernier, c’est-à-dire le plus bas), puis on les traînerait
au pied du second où on les hisserait de nouveau, et ainsi de suite
jusqu’à l’arrivée en tête du noyau ; on achèverait ainsi en premier la
surélévation du noyau, puis successivement de chaque degré en
redescendant, pour finir par le plus bas.”
En résumé :
- les pyramides de l’Ancien Empire ont été, “sans contestation sérieuse”, édifiées selon le principe constructif de la structure par accrétions de degrés adossés à un noyau ;
- exclusion de l’usage de rampes comme procédé général d’élévation du libage ;
- recours à une rampe au sein du massif de la pyramide pour l’élévation des monolithes de la Chambre du Roi (Grande Pyramide) ;
- en conformité avec la relation d’Hérodote, adoption de la structure à degrés adossés ;
- “quelques principes simples de machines rudimentaires, en plus des traîneaux, faites comme eux de pièces de bois relativement modestes, et associées à des mille-pattes, sont apparus comme suffisants pour hisser les différents libages des pyramides, sans énigmes ni extravagances” ;
- c’est au génie d’Imhotep que l’on doit, outre la construction en pierre, la structure à degrés adossés par accrétions ;
- le principe de l’escalier recouvre à la fois la forme de l’édifice pyramidal, le processus de sa construction par paliers successifs et la symbolique métaphysique de l’édifice (“escalier par lequel le roi défunt accédait à l’empyrée des dieux”).
Ce compte rendu est bien évidemment incomplet, tant est complexe la démonstration de l’auteur, qui se présente comme un “spécialiste des questions de méthodologie”.
Je me garderais bien, par ailleurs, de risquer sur son ouvrage la moindre appréciation. Il y va tout d’abord de la fidélité à la ligne éditoriale de Pyramidales. En outre, je souscris totalement à l’affirmation d’un journaliste (taxé par l’auteur de s’être “embarqué par imprudence dans cette aventure médiatique”, en clair : de se mêler de ce qui ne le regardait pas !) qui écrivait n’avoir “aucune compétence pour évaluer la pertinence d’une théorie sur l’architecture des pyramides”.
Toutes les illustrations de cette note sont extraites de l'ouvrage de l'auteur.
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Les commentaires d’Éric Guerrier à cette présentation de son dernier ouvrage :
"Cher Monsieur,
J'ai lu avec l'attention que vous imaginez vos articles sur mes trois bouquins concernant les problèmes constructifs des pyramides.
Je tiens à vous remercier d'abord de l'intérêt que vous y avez porté.
Bien sûr, c'est votre relation sur le contenu du dernier qui m'incite à vous écrire sans aucun esprit polémique, croyez-le bien.
En préambule, ayant professé pendant trente ans, je subis fatalement une certaine déformation professionnelle de "donneur de leçon". Veuillez m'en excuser.
Mais peut-on, comme vous l'avez noté, exposer un tel sujet sans commencer par mettre de l'ordre dans les concepts, et de la méthode dans la manière de traiter la question ? Car ce sont-là les deux seuls critères, avec l'observation de la réalité et l'expérimentation, qui font la différence entre un travail à caractère scientifique et toute autre élucubration. La science n'est pas "la vérité", question d'ordre philosophique, mais une quête et l'élaboration d'explications de la réalité.
Comme vous le dites vous-même, faute de compétences spécialisées en la matière, vous ne vous ne vous aventurez pas à donner votre avis sur la validité des thèses et hypothèses exposées dans les ouvrages dont vous rendez seulement compte. C'est une qualité rare, surtout en ce domaine. Mais puis-je vous dire que rendre compte de travaux dans un domaine spécialisé sans en être spécialiste, relève de la gageure. En effet, imaginez faire le même travail par exemple en médecine ou en diamanterie, sans parler de physique nucléaire. C'est le défaut principal des journalistes, même scientifiques. Témoins en sont les âneries que publient Science & Vie ou Sciences et Avenir, au moins sur la question qui nous intéresse, et pas seulement d'ailleurs dans les sujets que je connais.
Faire référence à l'expertise (que j'ai pratiquée pendant 25 ans et enseignée pendant 15), ne revient pas à se parer du titre pompeux d'expert, mais, comme toujours, fait référence à un champ de compétence associé à une expérience et soumis à une méthode.
Après ces quelques préambules dont je vous prie encore d'excuser le genre donneur de leçon, passons au contenu de mon travail.
Il m'apparaît que vous n'avez pas pris la mesure du "principe de l'escalier" qui est, en fait, l'apport principal de ma prestation. En effet, outre le symbole qui relève de la mythologie égyptienne, le principe de l'escalier sous-tend à la fois la structure à degrés adossés, le processus de sa mise en œuvre sur chantier (par où on commence, comment on procède et par où on finit), et le principal procédé de levage des blocs. C'est parce que la pyramide est structurée à degrés adossés montés progressivement en escalier (comme le décrit parfaitement Hérodote), qu'il est possible de monter les blocs jusqu'à des hauteurs inégalées. C'est exactement le procédé que vous employez en vous servant d'un escalier pour franchir simplement sans énorme effort et par petites hauteurs, une hauteur totale infranchissable sans cela.
Mais pour en montrer la probabilité archéologique, il fallait d'abord montrer que les pyramides sont bien structurées par degrés adossés, puis montées progressivement selon le processus décrit par Hérodote, pour en arriver à montrer qu'élever les pierres par degrés permet d'en arriver au principe d'un procédé simple et avec les moyens de l'époque. Commencer par imaginer un procédé en dehors de ce triple principe d'escalier, a amené tout le monde, égyptologique ou pas, dans l'impasse où cette question foisonne.
Voilà, en espérant que cette tartine sera "constructive".
Bien à vous."
(le 30 juillet 2012) J'ai lu avec l'attention que vous imaginez vos articles sur mes trois bouquins concernant les problèmes constructifs des pyramides.
Je tiens à vous remercier d'abord de l'intérêt que vous y avez porté.
Bien sûr, c'est votre relation sur le contenu du dernier qui m'incite à vous écrire sans aucun esprit polémique, croyez-le bien.
En préambule, ayant professé pendant trente ans, je subis fatalement une certaine déformation professionnelle de "donneur de leçon". Veuillez m'en excuser.
Mais peut-on, comme vous l'avez noté, exposer un tel sujet sans commencer par mettre de l'ordre dans les concepts, et de la méthode dans la manière de traiter la question ? Car ce sont-là les deux seuls critères, avec l'observation de la réalité et l'expérimentation, qui font la différence entre un travail à caractère scientifique et toute autre élucubration. La science n'est pas "la vérité", question d'ordre philosophique, mais une quête et l'élaboration d'explications de la réalité.
Comme vous le dites vous-même, faute de compétences spécialisées en la matière, vous ne vous ne vous aventurez pas à donner votre avis sur la validité des thèses et hypothèses exposées dans les ouvrages dont vous rendez seulement compte. C'est une qualité rare, surtout en ce domaine. Mais puis-je vous dire que rendre compte de travaux dans un domaine spécialisé sans en être spécialiste, relève de la gageure. En effet, imaginez faire le même travail par exemple en médecine ou en diamanterie, sans parler de physique nucléaire. C'est le défaut principal des journalistes, même scientifiques. Témoins en sont les âneries que publient Science & Vie ou Sciences et Avenir, au moins sur la question qui nous intéresse, et pas seulement d'ailleurs dans les sujets que je connais.
Faire référence à l'expertise (que j'ai pratiquée pendant 25 ans et enseignée pendant 15), ne revient pas à se parer du titre pompeux d'expert, mais, comme toujours, fait référence à un champ de compétence associé à une expérience et soumis à une méthode.
Après ces quelques préambules dont je vous prie encore d'excuser le genre donneur de leçon, passons au contenu de mon travail.
Il m'apparaît que vous n'avez pas pris la mesure du "principe de l'escalier" qui est, en fait, l'apport principal de ma prestation. En effet, outre le symbole qui relève de la mythologie égyptienne, le principe de l'escalier sous-tend à la fois la structure à degrés adossés, le processus de sa mise en œuvre sur chantier (par où on commence, comment on procède et par où on finit), et le principal procédé de levage des blocs. C'est parce que la pyramide est structurée à degrés adossés montés progressivement en escalier (comme le décrit parfaitement Hérodote), qu'il est possible de monter les blocs jusqu'à des hauteurs inégalées. C'est exactement le procédé que vous employez en vous servant d'un escalier pour franchir simplement sans énorme effort et par petites hauteurs, une hauteur totale infranchissable sans cela.
Mais pour en montrer la probabilité archéologique, il fallait d'abord montrer que les pyramides sont bien structurées par degrés adossés, puis montées progressivement selon le processus décrit par Hérodote, pour en arriver à montrer qu'élever les pierres par degrés permet d'en arriver au principe d'un procédé simple et avec les moyens de l'époque. Commencer par imaginer un procédé en dehors de ce triple principe d'escalier, a amené tout le monde, égyptologique ou pas, dans l'impasse où cette question foisonne.
Voilà, en espérant que cette tartine sera "constructive".
Bien à vous."