mercredi 11 juillet 2012

C'est quoi cette histoire de destruction des pyramides ?

Les pyramides égyptiennes font actuellement le buzz...
Il est vrai qu’après la destruction des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan, le saccage, au Mali, de bâtiments d’une valeur architecturale et patrimoniale inestimable attire l’attention sur les crimes culturels dont sont ou pourraient se rendre coupables des “intégristes” sous couvert de religion (musulmane).


Un récent article de Raymond Ibrahim (“Calls to Destroy Egypt's Great Pyramids Begin”) fait froid dans le dos.
Voici la traduction française qu’en propose Poste de veille :
“Selon plusieurs rapports dans les médias arabes, d'éminents dignitaires religieux musulmans ont commencé à appeler à la démolition des grandes pyramides d'Egypte, ces “symboles du paganisme”, selon les mots du cheikh saoudien Ali bin Said al-Rabi’i, que le parti salafiste d’Égypte envisage depuis longtemps de recouvrir de cire.
Plus récemment, Abd al-Latif al-Mahmoud, “le cheikh des cheikhs sunnites” de Bahreïn et  président de l’Unité nationale, a appelé le nouveau président de l'Egypte, Muhammad Morsi, à “détruire les Pyramides et à réaliser ce que Sahabi Amr bin al-As n’a pas été en mesure d’accomplir”.
Il s’agit d’une référence au compagnon du prophète musulman Mahomet, Amr bin al-As, et ses tribus arabes qui ont envahi et conquis l’Égypte (c.641). Sous al-As et le règne musulman qui a suivi, de nombreuses antiquités égyptiennes, vues comme des vestiges d'infidélité, ont été détruites. Bien que la plupart des universitaires occidentaux prétendent le contraire, les premiers scribes musulmans affirment que la grande Bibliothèque d'Alexandrie elle-même, considérée comme dépositaire du savoir païen contraire au Coran, a été détruite sous le règne de Bin al-As conformément aux instructions du calife Omar. [...]
Aujourd’hui, note le “cheikh des cheikhs” de Bahreïn, la technologie moderne permet de détruire les pyramides. Il reste à savoir si le président d’Égypte, un Frère musulman, est suffisamment “pieux” et s’il est prêt à compléter le processus d’islamisation entamé par le premier conquérant islamiste de l’Égypte.
Un tel scénario n’est pas invraisemblable. L'histoire fourmille d'exemples de musulmans ayant détruit leur patrimoine pré-islamique – à commencer par Mahomet lui-même qui a détruit le temple Ka’ba d’Arabie, le transformant en mosquée. [...]
Une grande partie de la haine des musulmans pour leur patrimoine pré-islamique est liée au fait que, traditionnellement, ils ne s’identifient pas à telle nation, culture ou langue, mais seulement à la oumma, ou nation islamique. Par conséquent, même si de nombreux Égyptiens, musulmans et non musulmans, se voient d’abord et avant tout comme des Égyptiens, les islamistes n'ont pas d'identité nationale, ils s’identifient seulement à la “culture” islamique basée sur la “sunna” du prophète et à l’arabe, la langue de l’islam. Ce sentiment s’est clairement exprimé quand l’ancien leader des Frères musulmans, Mohammed Akef, a récemment déclaré “Au diable l’Égypte !”, indiquant par là que les intérêts de son pays sont subordonnés à ceux de l’islam. [...]”

Je laisse aux spécialistes de l’histoire de l’Égypte le soin d’apprécier une telle lecture des premiers âges de l’islamisation sur les rives du Nil.
Quelle fut notamment la politique de `Amr Ibn AI-'Âs face à l’injonction qui lui aurait été faite de s’attaquer aux pierres des pyramides pour parachever sa lutte contre tout témoin de “paganisme” ? Cette page d’histoire m’est grandement inconnue, si ce n’est que ce que j’ai pu en découvrir atteste du fait que le Compagnon du Prophète était, semble-t-il, plus bâtisseur que démolisseur.

Sur son site internet, Daniel Pipes s’engage dans la même voie, accumulant les exemples de ce qu’il intitule “L”Islam face  l’Histoire” : les Mamelouks utilisant le Grand Sphinx comme cible pour des exercices de tir et faisant usage de la grande pyramide comme carrière ; l’incendie de l’Institut d’Égypte ; etc.

“Considering what Islamistst are doing in Mali - destroying ancient shrines -, écrit Rick Moran, it should surprise no one that the fanatics want to blow up 5500 year old monuments to the genius of man.
The problem for the Islamists is that the pyramids are nearly indestructible. The Great Pyramid has more than 2 million blocks each weighing several tons. It would probably take a couple of decades to dismantle and the amount of explosives involved if they want to blow it up staggers the imagination.
But you know the old saying: Where there's a will, there's a way.” (American Thinker)

Évidemment, tout éclairage complémentaire, voire contradictoire, sera le bienvenu...
Pour en revenir à l’histoire contemporaine, les Salafis égyptiens se sont effectivement fait remarquer par leurs prises de position sur un tourisme “halâl” et leur souhait de voir recouverts de cire les vestiges de la civilisation égyptienne antique. Mais de là à exiger la démolition des plus prestigieux des vestiges de leur pays... Qu’il nous soit quand même encore permis de douter du caractère plausible d’une telle éventualité. En dépit de l'embrouillamini et de la cacophonie qui semblent présider à la situation politique actuelle de l’Égypte, ni le président Morsi, tout “bon Musulman” qu’il soit, ni l’Armée, ni l'intelligentsia, ni a fortiori les services archéologiques, ni la majorité du peuple égyptien, ni la communauté internationale n’accepteront que l’impensable ne se réalise au grand dam des plus hautes valeurs culturelles.

Je note par ailleurs que, contrairement aux affirmations qui lui sont attribuées, le Shayh ‘Alî al-Rabî’î vient d’affirmer sur son compte Twitter que “la visite des pyramides, des tombeaux pharaoniques et des musées de l’Égypte ancienne renforce la foi en Dieu et n’a rien de contraire à la Shari’a”. Il ajoute que son nom a été utilisé frauduleusement. (Source)
نفى الشيخ الداعية الدكتور "علي الربيعي" ما تداولته العديد من المواقع الأخبارية على الإنترنت، والتي نسبت اليه بمطالبته بهدم الأهرامات في مصر لأنها من البدع الشركية
وقال الربيعي في حسابه على "تويتر" @DrAliAlrabieei إن في زيارة الأهرامات ومقابر الفراعنة ومتاحف مصرالقديمة في الأصل يزيد من الإعتبار ويقوي الإيمان بالله وليس في الزيارة مخالفة شرعية كونها خالية من الشرك
وقال أن ما ينشره الشيعة من حسابات منتحلة بأسمه تدعوا إلى هدم الأهرامات في مصر هو في الأصل كلام سخيف لا يصدقه عقل
يذكر أن الربيعي يتداول في صفحته على "تويتر" فضائح الشيعة وإنحرافهم وعلاقتهم الوثيقة بالصهيونية

Ce n’est pas la première fois que la destruction des pyramides égyptiennes est à l’ordre du jour.
Selon des auteurs arabes, les pyramides l'ont échappé belle : le calife Othman Ben Youssuf avait l'intention de détruire la plus petite des trois pyramides de Guizeh, tandis que l'un des derniers califes voulait tout simplement faire exploser la Grande Pyramide, en remplissant de poudre le puits au cœur de cet édifice ! (Pyramidales)

Méhémet-Ali
Le vice-roi d'Égypte Méhémet-Ali (1769-1849) avait entrepris de donner suite à une suggestion qui lui avait été faite de détruire l'une des pyramides de Guizeh pour en faire une carrière de matériaux de construction. (cf, dans Pyramidales, un rappel du courrier adressé au souverain par Jean-François Mimaut (1774-1837), écrivain et diplomate, consul général de France à Alexandrie)
Voici enfin ce qu’écrivait l'historien égyptien al-Maqrîzî (1364-1442) dans Al-mawâ'iz wa al-i'tibâr fî dhikr al-khitab wa-l-âthâr :
“Le roi El-Aziz Othman ben Salah El-Din Youssef ben Ayoub, qui régna après son père, fut poussé par des gens ignorants de sa cour à détruire les pyramides. Il commença par la petite pyramide rouge et y envoya des carriers, des tailleurs de pierre, sous la conduite de quelques émirs du royaume et de grands de l'empire, en leur intimant l'ordre de la détruire. Ceux-ci plantèrent leurs tentes près de la pyramide, rassemblèrent des manœuvres et des ouvriers et n'épargnèrent pas la dépense ; ils restèrent là près de huit mois avec leurs gens et leurs chevaux, détruisant chaque jour une ou deux pierres avec des peines infinies et après des efforts inouïs. Des hommes postés en haut soulevaient avec des leviers la pierre que d'autres tiraient d'en bas au moyen de cordes et de câbles. La pierre en tombant faisait un bruit épouvantable qui s'entendait de fort loin, les montagnes en sursautaient et la terre en tremblait ; la pierre s'enfonçait dans le sable, et il fallait de nouveaux efforts pour la soulever au moyen de leviers afin de creuser par dessous un chemin sur lequel on la faisait rouler; alors on la cassait en monceaux, et chaque morceau était porté sur des charrettes et jeté au pied de la montagne voisine. Et après de très longs efforts et des dépenses énormes, épuisés de fatigue et à bout de forces, ils se virent obligés d'abandonner le travail sans avoir pu l'accomplir ; tout ce qu'ils obtinrent fut de défigurer la pyramide et de donner une preuve de leur impuissance et de l'inanité de leurs efforts. Cela se passait en 593.” (Pyramidales)

Au milieu de tout ce pataquès, misons coûte que coûte sur le vrai discernement et un minimum de sagesse, celle qui voit dans l’acte de construire une plus grande noblesse que dans le geste démolisseur. Et continuons de faire nôtre, face aux vents du fanatisme aveugle, l’émerveillement si bien décrit par l'historien égyptien al-Maqrîzî (1364-1442) :
“Par ta vie ! Qu'as-tu vu de plus merveilleux
Dans tout ce que tu as vu que les pyramides d'Égypte ?
Dressées vers le ciel et plongeant
Dans l'atmosphère plus haut que le phénix et que l'aigle,
Elles se tiennent debout, dominant la terre
Comme deux seins dressés sur une poitrine.”
(Pyramidales)