dimanche 9 novembre 2014

De la nature des pierres des pyramides de Guizeh, par Jean-Baptiste-Bernard Grosson (XVIIIe s.)


Illustration extraite de la "Description de l'Égypte"



Membre de l’Académie de Marseille, auteur d’un Almanach historique ainsi que d’un Recueil des antiquités et des monuments de cette ville, le notaire et historien Jean-Baptiste-Bernard Grosson (1733-1800) était un homme cultivé qui entreprit, pour son plaisir, des études d'archéologie.
Pour “L’Esprit des Journaux français et étrangers”, revue éditée par une société de gens de lettres, il rédigea, en juin 1788, une “Lettre sur la nature de la pierre des pyramides d’Égypte” dans laquelle il entreprit de donner la réplique à l’aventurier italien Giuseppe Balsamo, dit Alessandro, alias comte de Cagliostro (sur cet auteur, voir la publication de “Pyramidales” ICI), qui venait, sur un ton quelque peu rocambolesque, de publier Confessions du Conte de C****, avec l’histoire de ses voyages en Russie, Turquie, Italie et dans les Pyramides d’Égypte, 1787.
Objet du différend : la nature (et l’origine) des pierres utilisées dans la construction des pyramides.

J’ai par hasard parcouru la brochure publiée pour la défense du sieur Cagliostro. Parmi les absurdités sans nombre que renferme cet étrange roman, il en est une que je regarde comme une erreur vulgaire, qu’il est aisé de détruire : elle intéresse l’histoire naturelle. C’est ce qui m’engage à vous faire part de mes réflexions.
L’auteur du mémoire, faisant parler son héros, dite à la page 13 : “Je commençai mes voyages par l’Égypte : je visitai ces fameuses pyramides qui ne sont, aux yeux des observateurs superficiels, qu’une masse énorme de marbre et de granit.”
Qui ne dirait, d’après cette période, que ces “masses énormes” sont, en effet, de marbre et de granit ! L’enthousiasme des antiquaires et l’infidélité des récits de la part des voyageurs semblent avoir déterminé depuis longtemps cette croyance. Mais, Messieurs, voici les preuves du contraire : vous serez convaincus que ni le sieur Cagliostro ni son défenseur n’ont jamais vu ces fameuses pyramides.
Monsieur Adanson, ci-devant interprète de la nation française en Égypte, frère du célèbre académicien de ce nom, homme instruit dans plusieurs genres, et très versé dans la connaissance de l’histoire naturelle, a rapporté de ces contrées des morceaux de la pierre dont sont construites les pyramides. J’en ai actuellement sous les yeux divers fragments : cette pierre est absolument calcaire : sa formation est due à un dépôt marin ; elle est entièrement un amas de numismales [ou lenticulaires, ressemblant par leur forme à des pièces de monnaie : note de “Pyramidales” ] disposées en tous sens, de diverses grandeurs.
Sa couleur donne sur le brun, avec une légère teinte de rouge en certains endroits. Il n’est pas possible aux yeux les moins exercés de confondre cette pierre avec les marbres, encore moins avec les granits. Les voyageurs ont la facilité de la comparaison avec la fameuse colonne de Pompée qui est en effet en granit, chargé de feldspath rouge.
J’ai montré la pierre numismale des pyramides à divers de nos négociants qui ont séjourné en Égypte et visité les monuments ; ils ont en effet reconnu celle dont ces masses énormes sont bâties.
M. Adanson, que je questionnai sur la carrière de cette pierre, m’a assuré qu’elle n’était pas bien éloignée des pyramides. Le gluten qui unit les numismales se détache facilement, ce qui me paraît être l’effet du climat excessivement chaud de ces contrées où l’ardeur du soleil est si forte.
Il s’est d’ailleurs écoulé tant de siècles depuis que ces édifices existent qu’on ne doit point être surpris de leur dégradation. Mon dessein n’est point de critiquer le mémoire de Cagliostro. Je laisse au public à l’apprécier. Mon but est uniquement de constater un fait sur lequel jusqu’à présent nombre de personnes étaient dans l‘erreur.