samedi 8 novembre 2014

“On ne peut comprendre comment il a été possible de monter si haut des pierres aussi grandes que celles que l’on y voit” (un dictionnaire du XVIIe s., à propos de la Grande Pyramide de Guizeh)


Qu’attendre d’un ouvrage encyclopédique sinon qu’il propose une synthèse des connaissances à l’époque de sa publication ?
C’est ce que l’on constate avec le "Dictionnaire des Arts et des Sciences", publié en 1694 sous la direction de Thomas Corneille, et notamment avec l’extrait ci-dessous comportant une présentation, somme toute assez sommaire, avec se surcroît de nombreuses approximations, des “trois grosses pyramides” d’Égypte.
Quand on lit “Il y a une autre chambre à côté de celle-ci [la chambre au “tombeau vide fait tout d’une pièce”, autrement dit la chambre du Roi], mais plus petite et sans aucun sépulcre”, il est évident que l’auteur de ces lignes ne peut avoir visité personnellement l’intérieur de la pyramide!
Il apparaît par ailleurs que ce même auteur se méprend sur la configuration extérieure du monument : en affirmant que les pierres de façade ne pouvaient avoir été “taillées en talus” et “posées l'une sur l’autre, sans qu’il eût demeuré aucun rebord”, il exclut le revêtement qui donnait à la pyramide sa perfection architectonique finale.
On prêtera finalement attention à la lecture qui est suggérée de la “brèche ou petite chambre vers le milieu, à l’un des coins” de la Grande Pyramide (emplacement actuellement identifié comme une “encoche”) : l’auteur retient l’hypothèse qu’elle servait à “assurer les machines qui tiraient les matériaux en haut”.
Ce texte a été repris par l'abbé Jean-Raymond de Petity, dans son "Encyclopédie élémentaire ou introduction à l'étude des lettres, des sciences et des arts. Ouvrage utile à la jeunesse et aux personnes de tout âge, enrichi d’amples notices des meilleurs auteurs dans chaque faculté, et orné d’estampes en taille douce" - tome II, 1e partie, 1767



Illustration de Luigi Mayer - 1804


“Les plus superbes monuments de l'Antiquité sont les pyramides d'Égypte. Ces pyramides sont à neuf milles du Caire, et on commence à les voir dès qu'on est sorti de la petite ville de Dézize qui en est à six milles. Ce qui les fait paraître de si loin, c’est qu’elles sont situées sur un terrain pierreux et infertile, qui est beaucoup plus relevé que la plaine. L’on ne peut voir sans étonnement ces énormes masses que l'on admire pas tant pour la dépense incroyable qu’il a fallu faire pour achever un bâtiment si prodigieux que parce qu’on ne peut comprendre comment il a été possible de monter si haut des pierres aussi grandes que celles que l’on y voit, dans un temps où la plupart des belles inventions étaient inconnues.

Il y a trois grosses pyramides distantes l’une de l'autre d’environ cent pas ; mais l’on ne saurait entrer que dans la plus grande, qui est du côté du Nord. Elle est d'une hauteur si prodigieuse que sa pointe paraît seulement émoussée, quoiqu'il y ait une place considérable au sommet. Quelques-uns assurent qu’elle fut bâtie il y a plus de 3000 ans, par un roi d'Égypte appelé Chemnis, qui employa pendant vingt années trois cent soixante mille ouvriers à ce travail. Pline qui en parle ajoute qu’il y fut dépensé dix-huit cents talents, seulement en raves et en oignons, les anciens Égyptiens étant grands mangeurs de raves et de légumes. Il y a des pierres si haut élevées et d'une grosseur si excessive qu'il a fallu des machines bien extraordinaires pour les placer. Plusieurs croient que ces pyramides étaient autrefois plus élevées sur la terre qu’elles ne le sont présentement et que le sable a caché une partie de leur base. Cela pourrait être puisque le côté de Tramontane en est tout couvert jusqu'à la porte et que les trois autres côtés n’en ont point de même : ce qui donne lieu de croire que la Tramontane soufflant de ce côté-là avec plus de violence qu'aucun autre vent, y a plus porté de sable que n’en ont fait les vents des autres côtés.

L’ouverture de la grande pyramide, où l’on peut entrer, est un trou presque carré d’un peu plus de trois pieds de haut. Il est relevé du reste du terrain, et l’on y monte sur des sables que le vent jette contre, et qui le bouchent souvent, en sorte qu’on est obligé de le faire ouvrir. On dit qu’autrefois il y avait auprès de l’entrée une grosse pierre qu'on avait taillée exprès pour boucher cette ouverture ; lorsque le corps qui devait y être mis serait dedans, et que cette pierre l’eut fermée si juste qu’on n’aurait pu reconnaître qu’on l’eût ajustée ; mais qu’un pacha la fit enlever, quelque grande qu’elle fût, afin qu’on ne pût fermer cette pyramide. Sa forme est carrée, et en sortant de terre elle a onze cent soixante pas, ou cinq cent quatre-vingts toises de circuit. Toutes les pierres qui la composent ont trois pieds de haut, et cinq ou six de longueur ; et les côtés qui paraissent en dehors sont tous droits, sans être taillés en talus. Chaque rang se retire en dedans de neuf ou dix pouces afin de venir se retirer en dedans de neuf ou dix pouces, afin de venir à se terminer en pointe à la cime ; et c'est sur ces avances que l'on grimpe pour aller jusqu'au sommet. Vers le milieu il y a à l’un des coins des pierres qui manquent et qui font une brèche ou petite chambre de quelques pieds de profondeur. Elle ne perce pourtant point jusqu'au dedans. On ne sait si les pierres sont tombées ou si elles n'y ont jamais été mises.

Il y a grande apparence qu'on se servait de cet endroit pour assurer les machines qui tiraient les matériaux en haut. C'est encore une raison qui a obligé de bâtir la pyramide avec des degrés à chaque rang ; puisque si les pierres eussent été taillées en talus, et posées l'une sur l’autre, sans qu’il eût demeuré aucun rebord, il aurait était absolument impossible de conduire jusqu'à son sommet les lourdes masses qu'on y a portées ; on se repose ordinairement dans cette brèche, le travail étant grand à s'élancer ainsi trois pieds chaque fois pour monter jusqu’au faîte. Il y a environ deux cent huit degrés formés par le rebord de ces grosses pierres, dans l'épaisseur fait la hauteur de l’un à l’autre ; ce qui semble être pointu d’en bas a quinze à seize pieds en carré et fait une une plate-forme qui peut contenir quarante personnes. Ceux qui y montent découvrent de là une partie de l’Égypte, le désert sablonneux qui s'étend dans le pays de Barca et ceux de la Thébaïde de l'autre côté. Le Caire ne paraît presque pas éloigné de ce lieu quoi qu'il en soit à neuf milles.

On entre aussi dans la même pyramide et il faut se pourvoir de lumières pour cela.

On passe la première rentrée en se courbant, et l'on trouve comme une allée qui va en descendant environ quatre-vingts pas. Elle est voûté en dos d'âne, et apparemment toute entière dans l'épaisseur du mur ; puisqu'on n'y voit rien qui ne soit solide de tous côtés. Cette allée a assez d'élévation et de largeur pour y pouvoir marcher ; mais son pavé baisse encore quoiqu’en glacis, sans avoir aucun degré, et la pierre n’a que de légères piqûres de pas en pas pour retenir les talons ; de sorte que le pour s’empêcher de tomber, on est obligé de se tenir avec les mains aux deux côtés du mur. Les pierres sont si bien unies ensemble qu'à peine peut-on apercevoir les jointures.

Au bout de cette année on trouve un passage qui n’a d'ouverture que ce qu'il en faut pour laisser passer un homme. Il est ordinairement rempli de sable, qui n'est pas sitôt poussé par le vent dans la première ouverture, qu'il suit le penchant de la pierre, et se vient tous rassembler en ce lieu-là. Lorsqu'on a ôté ce sable et qu'on a passé ce trou en se traînant huit ou dix pas sur le ventre, on voit une voûte à la main droite qui semble descendre à côté de la pyramide.

On trouve aussi un grand vide, avec un puits d’une grande profondeur. Ce puits va en bas par une pente perpendiculaire à l'horizon, qui ne laisse pas de biaiser un peu ; et quand ceux qui y descendent sont environ à soixante-sept pieds en comptant du haut en bas, ils trouvent une fenêtre carrée qui entre dans une petite grotte creusée dans la montagne qui en cet endroit n'est pas de pierre vive. Ce n'est qu'une espèce de gravier attaché fortement l’un contre l'autre. Cette grotte s’étend en long de l’Orient à l'Occident ; et de là à quinze pieds en continuant de descendre en bas est une coulisse fort penchante et entaillée dans le roc. Elle approche presque de la ligne perpendiculaire, et est large environ de deux pieds et un tiers, et haute de deux pieds et demi. Elle descend cent vingt-trois pieds en bas, après quoi elle est remplie de sable et de fiente de chauves-souris.

On croit que ce puits avait été fait pour y descendre les corps que l'on déposait dans des cavernes qui sont sous la pyramide. Après qu'on est arrivé à ce grand vide où le puits est à gauche, on est obligé de grimper sur un rocher dont la hauteur et de vingt-cinq ou trente pieds. Au-dessus est un espace long de dic ou douze pas, et quand on l'a traversé au monte par une ouverture qui n'est pas plus large que le passage où l’on est obligé de se traîner, mais qui a pourtant assez d’élévation pour y marcher sans que l'on se baisse. Il n'y a point de degrés non plus qu'au reste. On y fait seulement des trous de chaque côté, qui sont de distance en distance. On n'y met les pieds en s’écartant un peu ; et l’on s’appuie contre les murs qui sont de pierres de taille fort polies et jointes ensemble avec autant d'adresse que toutes les autres.

Les niches vides que l'on y voit de trois en trois pieds et qui en ont un de largeur et deux de hauteur donnent lieu de croire qu'elles étaient autrefois remplies d'idoles. Ce passage est haut de quatre-vingts pas et on n'y saurait monter sans beaucoup de peine. On trouve au-dessus un peu d’espace de plain pied ; et ensuite une chambre qui a trente-deux pieds de long et seize de large. Sa hauteur est de dix-neuf pieds et au lieu de goûte, elle a un plancher ou lambris tout plat. Il est composé de neuf pierres dont les sept du milieu sont larges chacune de quatre pieds et longues de seize. Les deux autres qui sont à l’un et l'autre bout ne paraissent larges que de deux pieds seulement. Cela vient de ce que l'autre moitié de chacune est appuyé sur la muraille. Elles sont de la même longueur que les sept autres et toutes les neuf traversent la largeur de cette chambre ayant chacune un bout appuyé sur la muraille et l'autre sur la muraille qui est de l'autre côté.

Cette chambre dont les murs sont fort unis n'a aucun jour ; et dans le bout qui est opposé à la porte, il y a un tombeau vide fait tout d’une pièce. Il est long de sept pieds et large de trois, et a trois pieds quatre pouces de hauteur et cinq pouces d’épaisseur. La pierre en est d’un gris tirant sur le rouge pâle et à peu près semblable au porphyre. Quand on la frappe, elle rend un son clair comme une cloche. Elle est fort belle lorsqu'elle est polie, mais tellement dure que le marteau a peine à la rompre.

Il y a une autre chambre à côté de celle-ci, mais plus petite et sans aucun sépulcre. C'est là le plus haut endroit où l'on puisse aller au dedans de la pyramide qui n'a pour toute ouverture que le passage d'en bas au-dessus duquel est une pierre en travers, qui a onze pieds de long et huit de large. Vers cette entrée est un écho qui répète les paroles jusqu'à dix fois. Ce manque de jour dans toute la pyramide est cause qu'on y respire un air extrêmement étouffé. La flamme des flambeaux que l'on y porte paraît toute bleue et l'on s'en fournit toujours d'un fort bon nombre puisque s'ils venaient à s'éteindre lorsqu'on est monté bien haut, il serait absolument impossible d'en sortir.

Les deux autres pyramides ne sont ni si hautes ni si grosses ce que la première. Elles n'ont aucune ouverture et quoiqu'elle soient aussi bâties par degrés, on n'y peut monter à cause que le ciment dont l'une et l'autre est enduite n'est pas assez tombé. Elles paraissent d’en bas tout à fait pointues dans leur sommet.

On attribue ses superbes monuments à celui des pharaons qui fut englouti dans la mer Rouge. On prétend que les deux moindres étaient pour la reine sa femme et pour la princesse sa fille, et que leur corps il est temps y étant été mis, on les a fermés ensuite en sorte que l'on ne peut reconnaître de quel côté en était l’entrée. La grande était destinée pour ce malheureux monarque ; et comme il n’a pas eu besoin de tombeau, elle est toujours restée ouverte.”