Dans son ouvrage Découverte de l'âge et de la véritable destination des quatre pyramides de Gizeh, principalement de la Grande Pyramide (Paris, Morel et Cie, 1873), A. Dufeu, membre de l'Institut égyptien et de la Société des études historiques de Paris, propose des repères chronologiques et scientifiques pour fixer la date de la construction des pyramides, déterminer l'époque de la fondation de la monarchie des Pharaons, constater les connaissances des anciens Égyptiens en astronomie, en géodésie, en hydraulique, en géographie, en géologie...
Concernant les caractéristiques techniques de la Grande Pyramide, il écrit :
"La terminaison en pointe du monument, par cela seul qu'elle était probable, a été considérée comme positive et on l'a généralement admise ; mais ce n'est-là, nous le répétons, qu'une simple conjecture.
(...)
Nous n'hésitons pas à affirmer que la Grande Pyramide n'a pas été terminée en pointe et n'a eu pour son extrême cime qu'un cippe ou un apex imaginaire et que le nombre de ses assises n'a jamais dépassé celui de 302 qui existent encore aujourd'hui grâce à deux assises ruinées miraculeusement conservées au centre de la plate-forme supérieure ; que par conséquent elle n'a jamais eu une élévation verticale plus grande que celle qu'elle a de nos jours ; toutes les assertions contraires des auteurs sont complètement erronées.
Sans le hasard providentiel qui a voulu que les deux assises dont nous venons de parler, ruinées mais encore debout, aient échappé au vandalisme des touristes, une preuve éclatante de la troncation volontaire et systématique du monument n'aurait pu être fournie et dès lors nous n'aurions pu constater que la Grande Pyramide renfermait dans le nombre de ses assises ou gradins et par suite dans sa hauteur verticale, un double et précieux point de repère chronologique et historique pour établir à quelle époque et sous quel roi avait été construit le monument.
Les preuves en faveur de cette opinion toute nouvelle, à savoir que la Grande Pyramide n'a jamais été terminée en pointe et qu'on l'avait laissée volontairement tronquée, abondent et nous n'avons que l'embarras du choix :
En effet, nous avons vu [précédemment] que la Grande Pyramide, ainsi que les deuxième, troisième et quatrième, avait entre autres destinations, celle de servir de point de repère chronologique pour fixer tout à la fois la date de l'avènement de son fondateur et l'époque précise de sa construction, et que Souphis Ier qui l'érigea, étant monté sur le trône 808 ans après l'avènement de Ménès, on avait formé la hauteur verticale de la pyramide par la superposition de 202 degrés ou assises, pour fixer ainsi le quart de la hauteur chronologique de Souphis Ier, de sorte qu'en multipliant les 202 assises par 4, on obtenait 808, représentant la date précise de l'avènement de ce roi qui l'avait construite.
D'autre part, nous avons vu aussi (...) qu'il existait une corrélation manifeste, non seulement entre le nombre d'assises, mais encore entre la hauteur verticale et la date de la construction de ce monument et que, dans ce but, les architectes avaient donné à cette construction une élévation de262 coudées nilométriques pour hauteur verticale; que, déduisant de ces 262 coudées les 60 coudées (ou années) nilométriques qui séparaient le début de la période sothiaque antérieure à l'avènement de Ménès de cet avènement, pour faire concorder ces deux époques, il restait 202 coudées représentant aussi le quart de la hauteur chronologique, soit la date de l'avènement de Souphis ler.
S'il fallait démontrer que le chiffre 808, représentant exactement le nombre d'années écoulées depuis l'avènement de Ménès à celui de Souphis Ier était nécessaire et avait été adopté par les architectes pour fixer la date de la construction du monument, nous rappellerions au lecteur qu'un nouveau témoignage à cet égard a été consigné dans la hauteur donnée à la chambre dite du roi ou du sarcophage qui est de 808 noctas ou années nilométriques, multipliés par 5, ou bien de 4040 noctas divisés par 5, ainsi que nous l'avons établi [précédemment].
Cette triple démonstration, ces trois preuves réunies ne constatent-elles pas avec la dernière évidence que ta hauteur verticale primitive du monument n'a jamais été autre que celle qu'elle présente de nos jours ? La hauteur des chambres des trois autres pyramides qui, par des procédés différents, représente aussi la hauteur chronologique des rois fondateurs et constructeurs, c'est-à-dire la date de chacune de ces constructions, ne vient-elle pas encore à l'appui de ce que nous avançons ? Donner un moindre ou un plus grand nombre d'assises et diminuer ou augmenter la hauteur verticale du monument, n'eût-ce pas été se priver de points de repères chronologiques et historiques d'autant plus précieux à une époque si reculée où les monuments écrits étaient si rares et si sujets au dépérissement ? N'était-ce pas là une raison sérieuse et suffisante pour leur faire multiplier, comme ils l'ont fait, les moyens de perpétuer la date de la fondation de ces monuments grandioses dans les lignes desquels se trouvaient maçonnées pour l'éternité les données scientifiques de leurs grandes découvertes et de leurs surprenantes connaissances ?
(...)
Quant à nous, nous ne croyons nullement à ce revêtement de la Grande Pyramide et nous donnerons à l'appui de notre opinion des raisons qui nous paraissent péremptoires.
(...)
Malgré le rapport d'Hérodote, des historiens de l'antiquité, et l'opinion de M. Joùard, la Grande Pyramide n'a jamais dû être revêtue.
M. Jomard, en effet, a constaté lui-même que Diodore de Sicile affirmait ce qu'il n'avait pas vu par lui-même en ce qui concerne la Grande Pyramide et il en fournit même la preuve ; Hérodote de son côté se bornait la plupart du temps à raconter ce qui lui avait été dit ; le témoignage ou plutôt le récit des historiens de l'antiquité ne peut nous inspirer qu'une confiance bien médiocre, quand nous voyons qu'ils ne tombent pas même d'accord entre eux pour des mesures matérielles que chacun d'eux a prises avec une extrême négligence sur les monuments, ce qui nous autorise à croire qu'ils ont donné ces mesures d'après les indications diverses qui leur en ont été fournies; d'après cela comment les auteurs arabes pourraient-ils obtenir la moindre créance ? Pour achever de démontrer combien étaient mal fondées les probabilités de M. Jomard à l'égard du revêtement de la Grande Pyramide, nous leur opposerons des faits matériels tirés du monument lui-même :
D'abord la Grande Pyramide ayant reçu la dimension en hauteur verticale de 262 coudées pour servir de point de repère chronologique et représenter par cette hauteur (262 - 60), comme par ses 202 gradins ou degrés, le quart de la hauteur chronologique de Souphis Ier, sous le règne duquel sa construction fut commencée, ce but important eût été évidemment manqué, si elle eût été terminée avec une plus grande dimension en hauteur verticale, et surtout si elle eût été revêtue, car cela aurait évidemment détruit ce double point de repère chronologique. D'ailleurs en supposant même qu'elle eût été couverte d'un revêtement, il est plus que vraisemblable qu'on n'aurait jamais entrepris de la démanteler pour en détacher les blocs formant ce revêtement par la raison qu'il eût été beaucoup plus dispendieux et surtout plus difficile d'obtenir des pierres de construction de cette manière, que d'en extraire des carrières situées dans le voisinage de Memphis et du Caire ; il tombe d'ailleurs sous les sens qu'on aurait entamé de préférence les matériaux des petites pyramides qui se trouvent plus près de la vallée et plus faciles à détacher ; or, on voit qu'ils sont demeurés intacts. Nous ne parlerons pas du nombre considérable d'hommes et de bestiaux nécessaires pour transporter ces énormes blocs de revêtement après les avoir détachés de la Grande Pyramide, ce qui aurait occasionné des dépenses colossales ; et comme les blocs de revêtement étaient prismatiques, il est à croire que les ouvriers employés à leur taille, après les avoir précipités dans la plaine, les auraient, avant leur transport, et pour rendre celui-ci moins dispendieux, façonnés sur les lieux pour leur donner la forme voulue pour pouvoir servir aux constructions auxquelles ils étaient destinés ; or, on n'aperçoit pas la moindre indication, la moindre trace de débris de nature à révéler un pareil travail. Cinq millions de pieds cubes et même près de six millions de pieds cubes de revêtement, selon Perring, auraient laissé au moins le tiers de leur volume en débris résultant de la taille de ces blocs sur les quatre côtés de la Pyramide ; mais rien de cela ne s'aperçoit. Donc la Grande Pyramide n'a jamais été revêtue.
Quant aux décombres que l'on remarque sur les quatre faces de la Pyramide, ils proviennent des débris qui se détachent du monument à la suite des orages, des pluies, des vents et môme des gelées bien moins rares en Égypte qu'on ne le croit en Europe. À ces débris vient s'ajouter une certaine quantité de sable et de cailloux que dans leur violence les vents accumulent au pied de la Pyramide. En général la hauteur des décombres est en proportion de l'édifice qui les a fournis. La face Sud et la face Sud-Ouest du monument paraissent avoir plus souffert que les deux autres, car elles sont exposées aux vents terribles du désert."
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