D'octobre 1859 à juillet 1860, le photographe amateur Henry Cammas (1813-1878 ?) et son ami anthropologue et poète André Lefèvre (1834-1904) ont descendu le Nil à bord d'une dahabieh, partant d'Alexandrie pour atteindre, neuf mois plus tard, la Nubie.
Les arrêts photo furent nombreux : Le Caire, plateau de Guizeh et pyramides, Dendérah, Médinet-Habou, Karnak, Gournah, Louxor, Esna, Edfu, Kom-Ombo, Philae, île Éléphantine, Abou Simbel...
Ce périple fut mémorisé dans un ouvrage en deux volumes : La Vallée du Nil. Impressions et photographies, 1862. Le premier volume est consacré aux photos de Cammas : 94 clichés, dont deux avec plan, tirés sur papier albuminé d'après négatif de papier ciré sec. Quant au second, dont j'ai extrait le texte ci-dessous, il est consacré à la partie commentaires et impressions de voyage, sous la signature d'André Lefèvre.
Devant les interrogations sans réponse, face notamment aux incertitudes des "conjectures" concernant les pyramides, l'auteur de la relation de voyage ne voit d'autre solution que de faire appel à... devinez qui ! Mais Hérodote bien sûr ! Et l'égyptologie, une fois encore, ne progresse pas de la moindre coudée. Mieux (si l'on peut dire !), même la "confusion chronologique" dont l'historien grec est victime "n'altère pas la vraisemblance" de sa relation.
Les "interrogations sans réponse" qu'évoque André Lefèvre au terme de son récit consacré aux pyramides contrastent cependant avec la vénération qu'il porte au Père de l'Histoire. Hérodote n'aurait-il donc pas réponse à tout ?
Une question pour terminer cette présentation : qu'en est-il de ce "livre sur les choses sacrées" produit par un roi impie de la quatrième dynastie ? Tout renseignement sera le bienvenu et sera intégré ultérieurement à cette note.
"La troisième dynastie éleva les pyramides de Sakkarah et de Daschour, les plus antiques monuments connus. L'opinion la plus probable en fait des tombeaux. Un esprit ingénieux a pensé que ces masses de pierre avaient pu être posées sur le sable pour l'arrêter, comme un morceau de marbre retient des papiers prêts à s'envoler ; mais les momies et les débris funèbres qui encombrent la plaine de Sakkarah ne peuvent guère laisser de doute sur la destination des pyramides (5318-5121) (…)
La quatrième dynastie produisit un livre sur les choses sacrées, fort estimé bien qu'il fût l'œuvre d'un roi impie, et les grandes pyramides de Giseh, dont l'âge moyen peut être fixé à quatre mille ans avant le Christ, les quarante siècles de Napoléon. Souphi, l'auteur même du livre liturgique, serait le fameux Chéops ; mais il faudrait peut-être rejeter Céphren à la cinquième dynastie et l'assimiler à Céphrès ; quant à Mycérinus, les conjectures restent ouvertes sur le nom royal qu'il a porté. Comme la science moderne ne possède aucune certitude sur ces trois princes à qui sont attribuées par la tradition les trois grandes pyramides, nous aurons recours au récit d'Hérodote : les prêtres égyptiens lui ont fourni de curieux détails dont la confusion chronologique n'altère pas la vraisemblance.
Chéops donc signala son avènement par la clôture des temples et l'interdiction des sacrifices. Il consacra son règne à se préparer une tombe creusée sous les premières assises de la montagne libyque, et isolée au milieu d'une île souterraine.
Cent mille hommes, relevés tous les trois mois, travaillaient dans le roc ; les uns extrayaient les pierres de la chaîne arabique, d'autres établissaient un vaste chemin destiné au transport des matériaux, le reste taillait les chambres funèbres. Le tout fut achevé en dix ans ; mais Chéops, en regardant suer son peuple, avait conçu et décidé un plus long ouvrage. Il voulut qu'un mont factice surmontât son tombeau. La grande pyramide coûta vingt années d'efforts nouveaux ; quadrangulaire, aussi haute que large, toute en pierres de trente pieds parfaitement ajustées, elle s'élève jusqu'au faîte en gradins égaux. Il paraît que sur chaque marche une machine était construite, qui portait les matériaux au degré immédiatement supérieur. Les ouvriers consommèrent pour seize cents talents d'aulx, d'oignons et de persil. Chéops, dit-on, manquant d'argent, mit sa fille à la tête d'une maison de débauche ; fille bien digne d'un tel poste, car elle eut l'idée d'exiger de chaque homme une pierre et de dresser avec ces présents singuliers la petite pyramide qu'on voit au milieu des trois grandes. Notons en passant que des légendes semblables se retrouvent à Babylone et aussi à Rome où la courtisane Flora légua sa fortune à l'État ; elles se rapportent toutes au culte antique de la Nature féconde dont il reste tant de traces dans les religions qui reconnurent depuis pour principe l'Éther lumineux, sous les noms d'Indra, Ammon-Râ ou Zeus ; il faut croire par conséquent qu'elles ont été inventées ou arrangées lorsqu'on eut besoin de rejeter au rang de superstitions purement humaines de vieilles traditions symboliques.
Céphren, frère de Chéops, au moins en dépravation, construisit la seconde pyramide, sur le même plateau que la première, mais moins haute. Le premier gradin était en pierres marbrées d'Éthiopie. L'intérieur ne recélait ni tombes ni canaux souterrains.
Les Égyptiens commencèrent de se reposer sous Mycérinus ; la pyramide qu'il a laissée est loin des proportions de la précédente. Elle fut attribuée à la munificence de la courtisane Rhodope. Cette opinion, dont Hérodote lui-même reconnaît la fausseté, peut nous donner la date probable du mouvement religieux qui substitua définitivement l'adoration du Ciel, du principe fécondateur, au culte de la Terre ou du principe fécondé. En effet Rhodope, femme célèbre de Naucratis, aimée du frère de Sapho, vivait au temps du pharaon Amasis. Son nom et sa patrie et les dix broches en fer qu'elle envoya à Delphes, pour cuire les taureaux sacrifiés, semblent trahir son origine hellénique. Naucratis, la seule ville d'Égypte ouverte aux étrangers, eut de bonne heure une population grecque. L'histoire de Rhodope et de la troisième pyramide, eu égard à ces considérations, peut indiquer encore le moment où l'influence grecque se fit sentir dans la basse Égypte ; autrement, pourquoi les prêtres de Memphis ou d'Héliopolis, qui la contèrent à Hérodote, l'auraient-ils admise au nombre des traditions sacrées ? (…)
Si la plupart des savants et des voyageurs considèrent les pyramides comme des tombeaux insensés, quelques-uns leur ont cherché une destinations plus utile. Nous ne discuterons pas l'opinion qui voit dans la grande pyramide un réservoir pour les eaux du Nil. Il en est une autre, plus vraisemblable au premier abord, mais qu'on ne peut davantage admettre : elle ferait des pyramides une digue contre l'invasion du sable. Une muraille continue, se semble, aurait eu plus de chance d'arrêter le désert, que ces édifices isolés et terminés en pointes ; mais, sans aller plus loin, les pyramides occupent sur les confins de la Libye un espace si minime qu'elles ne peuvent être pour le khamsin aux ailes énormes un obstacle réel. Il me semble voir le simoun, démon des sables, posé sur la plate-forme de Chéops dans une attitude victorieuse, et soufflant des tourbillons de poussière enflammée. Et comment expliquer les pyramides plus petites de Daschour et de Sakkarah ? On ne peut douter que ce soient des tombeaux. L'Égypte hiératique et qui avait pour toute chose un type aurait-elle consacré des monuments identiques à des usages si différents ? À moins qu'on ne formule ainsi une fine allégorie : les mêmes édifices ne peuvent-ils pas repousser ici le sable, et là l'oubli ? Hélas ! Elles n'ont arrêté ni l'un ni l'autre. Selon une tradition poétique, ce n'est pas contre l'océan des sables, mais contre la véritable mer, qu'un antique roi contemporain du déluge éleva les pyramides. Il serait moins fabuleux de croire avec Gérard de Nerval que, sous nos pieds, dans ces profondeurs inexplorées, des prêtres condamnés à la vie souterraine, masqués du museau d'Anubis, célébraient des mystères dont Moïse et Orphée ne purent accomplir les épreuves terribles. Qui sait si le puits qui nous effraya (…) n'est pas le chemin des découvertes, la clé des pyramides ? Mais il faut nous contenter d'interrogations sans réponse."
Source : Gallica
Les arrêts photo furent nombreux : Le Caire, plateau de Guizeh et pyramides, Dendérah, Médinet-Habou, Karnak, Gournah, Louxor, Esna, Edfu, Kom-Ombo, Philae, île Éléphantine, Abou Simbel...
Ce périple fut mémorisé dans un ouvrage en deux volumes : La Vallée du Nil. Impressions et photographies, 1862. Le premier volume est consacré aux photos de Cammas : 94 clichés, dont deux avec plan, tirés sur papier albuminé d'après négatif de papier ciré sec. Quant au second, dont j'ai extrait le texte ci-dessous, il est consacré à la partie commentaires et impressions de voyage, sous la signature d'André Lefèvre.
Devant les interrogations sans réponse, face notamment aux incertitudes des "conjectures" concernant les pyramides, l'auteur de la relation de voyage ne voit d'autre solution que de faire appel à... devinez qui ! Mais Hérodote bien sûr ! Et l'égyptologie, une fois encore, ne progresse pas de la moindre coudée. Mieux (si l'on peut dire !), même la "confusion chronologique" dont l'historien grec est victime "n'altère pas la vraisemblance" de sa relation.
Les "interrogations sans réponse" qu'évoque André Lefèvre au terme de son récit consacré aux pyramides contrastent cependant avec la vénération qu'il porte au Père de l'Histoire. Hérodote n'aurait-il donc pas réponse à tout ?
Une question pour terminer cette présentation : qu'en est-il de ce "livre sur les choses sacrées" produit par un roi impie de la quatrième dynastie ? Tout renseignement sera le bienvenu et sera intégré ultérieurement à cette note.
Photo Marc Chartier
La quatrième dynastie produisit un livre sur les choses sacrées, fort estimé bien qu'il fût l'œuvre d'un roi impie, et les grandes pyramides de Giseh, dont l'âge moyen peut être fixé à quatre mille ans avant le Christ, les quarante siècles de Napoléon. Souphi, l'auteur même du livre liturgique, serait le fameux Chéops ; mais il faudrait peut-être rejeter Céphren à la cinquième dynastie et l'assimiler à Céphrès ; quant à Mycérinus, les conjectures restent ouvertes sur le nom royal qu'il a porté. Comme la science moderne ne possède aucune certitude sur ces trois princes à qui sont attribuées par la tradition les trois grandes pyramides, nous aurons recours au récit d'Hérodote : les prêtres égyptiens lui ont fourni de curieux détails dont la confusion chronologique n'altère pas la vraisemblance.
Chéops donc signala son avènement par la clôture des temples et l'interdiction des sacrifices. Il consacra son règne à se préparer une tombe creusée sous les premières assises de la montagne libyque, et isolée au milieu d'une île souterraine.
Cent mille hommes, relevés tous les trois mois, travaillaient dans le roc ; les uns extrayaient les pierres de la chaîne arabique, d'autres établissaient un vaste chemin destiné au transport des matériaux, le reste taillait les chambres funèbres. Le tout fut achevé en dix ans ; mais Chéops, en regardant suer son peuple, avait conçu et décidé un plus long ouvrage. Il voulut qu'un mont factice surmontât son tombeau. La grande pyramide coûta vingt années d'efforts nouveaux ; quadrangulaire, aussi haute que large, toute en pierres de trente pieds parfaitement ajustées, elle s'élève jusqu'au faîte en gradins égaux. Il paraît que sur chaque marche une machine était construite, qui portait les matériaux au degré immédiatement supérieur. Les ouvriers consommèrent pour seize cents talents d'aulx, d'oignons et de persil. Chéops, dit-on, manquant d'argent, mit sa fille à la tête d'une maison de débauche ; fille bien digne d'un tel poste, car elle eut l'idée d'exiger de chaque homme une pierre et de dresser avec ces présents singuliers la petite pyramide qu'on voit au milieu des trois grandes. Notons en passant que des légendes semblables se retrouvent à Babylone et aussi à Rome où la courtisane Flora légua sa fortune à l'État ; elles se rapportent toutes au culte antique de la Nature féconde dont il reste tant de traces dans les religions qui reconnurent depuis pour principe l'Éther lumineux, sous les noms d'Indra, Ammon-Râ ou Zeus ; il faut croire par conséquent qu'elles ont été inventées ou arrangées lorsqu'on eut besoin de rejeter au rang de superstitions purement humaines de vieilles traditions symboliques.
Céphren, frère de Chéops, au moins en dépravation, construisit la seconde pyramide, sur le même plateau que la première, mais moins haute. Le premier gradin était en pierres marbrées d'Éthiopie. L'intérieur ne recélait ni tombes ni canaux souterrains.
Les Égyptiens commencèrent de se reposer sous Mycérinus ; la pyramide qu'il a laissée est loin des proportions de la précédente. Elle fut attribuée à la munificence de la courtisane Rhodope. Cette opinion, dont Hérodote lui-même reconnaît la fausseté, peut nous donner la date probable du mouvement religieux qui substitua définitivement l'adoration du Ciel, du principe fécondateur, au culte de la Terre ou du principe fécondé. En effet Rhodope, femme célèbre de Naucratis, aimée du frère de Sapho, vivait au temps du pharaon Amasis. Son nom et sa patrie et les dix broches en fer qu'elle envoya à Delphes, pour cuire les taureaux sacrifiés, semblent trahir son origine hellénique. Naucratis, la seule ville d'Égypte ouverte aux étrangers, eut de bonne heure une population grecque. L'histoire de Rhodope et de la troisième pyramide, eu égard à ces considérations, peut indiquer encore le moment où l'influence grecque se fit sentir dans la basse Égypte ; autrement, pourquoi les prêtres de Memphis ou d'Héliopolis, qui la contèrent à Hérodote, l'auraient-ils admise au nombre des traditions sacrées ? (…)
Si la plupart des savants et des voyageurs considèrent les pyramides comme des tombeaux insensés, quelques-uns leur ont cherché une destinations plus utile. Nous ne discuterons pas l'opinion qui voit dans la grande pyramide un réservoir pour les eaux du Nil. Il en est une autre, plus vraisemblable au premier abord, mais qu'on ne peut davantage admettre : elle ferait des pyramides une digue contre l'invasion du sable. Une muraille continue, se semble, aurait eu plus de chance d'arrêter le désert, que ces édifices isolés et terminés en pointes ; mais, sans aller plus loin, les pyramides occupent sur les confins de la Libye un espace si minime qu'elles ne peuvent être pour le khamsin aux ailes énormes un obstacle réel. Il me semble voir le simoun, démon des sables, posé sur la plate-forme de Chéops dans une attitude victorieuse, et soufflant des tourbillons de poussière enflammée. Et comment expliquer les pyramides plus petites de Daschour et de Sakkarah ? On ne peut douter que ce soient des tombeaux. L'Égypte hiératique et qui avait pour toute chose un type aurait-elle consacré des monuments identiques à des usages si différents ? À moins qu'on ne formule ainsi une fine allégorie : les mêmes édifices ne peuvent-ils pas repousser ici le sable, et là l'oubli ? Hélas ! Elles n'ont arrêté ni l'un ni l'autre. Selon une tradition poétique, ce n'est pas contre l'océan des sables, mais contre la véritable mer, qu'un antique roi contemporain du déluge éleva les pyramides. Il serait moins fabuleux de croire avec Gérard de Nerval que, sous nos pieds, dans ces profondeurs inexplorées, des prêtres condamnés à la vie souterraine, masqués du museau d'Anubis, célébraient des mystères dont Moïse et Orphée ne purent accomplir les épreuves terribles. Qui sait si le puits qui nous effraya (…) n'est pas le chemin des découvertes, la clé des pyramides ? Mais il faut nous contenter d'interrogations sans réponse."
Source : Gallica
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