Sur André Lefèvre (1834-1904), auteur de ce texte extrait de Les merveilles de l'architecture (4e éd., corrigée et notablement augmentée par l'auteur), voir un autre extrait publié dans ce blog : ICI
photo de 1878 - auteur inconnu |
Les Pyramides, posées à deux lieues du Nil et du Caire, sur les premières assises de la chaîne libyque, encore exhaussées par leur base, dominent au loin l'horizon. On les voit de dix lieues ; elles reculent sans cesse et l'on se croit toujours à leur pied ; “enfin l'on y touche, et rien, dit Volney, ne peut exprimer la variété des sensations qu'on y éprouve. La hauteur de leur sommet, la rapidité de leur pente, l'ampleur de leur surface, le poids de leur assiette, la mémoire du temps qu'elles ont coûté, l'idée que ces immenses rochers sont l'ouvrage de l'homme si petit et si faible, qui rampe à leurs pieds : tout saisit à la fois et le cœur et l'esprit d'étonnement, de terreur, d'humiliation, d'admiration, de respect.”
"L'attente est dépassée par le spectacle"
Si l'impression est déjà grande au pied de la pyramide, lorsque le spectateur, face à face avec cette masse énorme, voit les angles et le sommet échapper à sa vue, c'est seulement à la cime qu'on prend une juste idée de l'ensemble et que l'attente est dépassée par le spectacle. De là, on verrait à douze lieues de distance, si la vue pouvait y atteindre. Une pierre lancée du faîte avec la plus grande force ne tombe qu'à grand-peine à la base ; une illusion d'optique l'éloigne considérablement au début de la course et' l'on s'attend à la voir tomber très loin ; mais bientôt l'œil qui la suit croit la voir revenir à lui, décrivant une courbe rentrante.
L'intérieur de la grande Pyramide semble plein. On n'y a encore découvert qu'une longue galerie, plus petite en proportion que le travail d'une taupe sous un sillon.
Une ouverture imperceptible, placée à quatorze mètres et demi au-dessus de la base, donne accès dans une suite de couloirs obscurs. Notons en passant une inscription française qui rappelle notre expédition d'Égypte. Le trajet est long et périlleux, la chaleur extrême, l'air épais et étouffant ; on avance le dos courbé, les pieds posés sur d'étroits rebords au-dessus d'un abîme noir. À cet affreux chemin succède une galerie basse, où l'on rampe sur une pente raide, puis un puits sans parapet et qu'il faut tourner. Enfin, poussé, tiré, plié en deux pour éviter les chocs, porté même sur de robustes épaules, on traverse la chambre dite de la Reine et l'on arrive à la salle du Roi. Le retour n'est pas moins difficile, et l'on revoit le jour, excédé, épuisé, à bout de forces.
Il est d'usage de crier dans la pièce souterraine et même d'y tirer des coups de fusil. L'écho de la Pyramide est célèbre : il répète le son jusqu'à dix fois. Il doit sa vigueur et sa pureté à la perfection des plafonds et des joints. Toute la chambre du Roi est en granit, d'un poli achevé ; on découvre les assises à grand-peine.
Le plafond est formé de neuf pierres qui doivent chacune peser vingt milliers.
Mais les deux chambres, larges de cinq à dix mètres, sont bien peu de chose pour le toit formidable qui les recouvre. Est-il possible qu'il n'y ait pas d'autres vides au-dessus et au-dessous ? Où finit cet abîme qu'on longe ? Où conduirait le puits qu'on évite, si quelque hardi chercheur s'y suspendait au bout d'une corde ?
Peut-être à cette île souterraine, où Hérodote croyait Chéops enterré à ces méandres sombres que l'imagination de Gérard de Nerval destinait à des initiations connues de Moïse et d'Orphée. Que l'on cherche encore dans les entrailles du colosse : on sait avec quel soin les Égyptiens dérobaient leur sépulture.”
Si l'impression est déjà grande au pied de la pyramide, lorsque le spectateur, face à face avec cette masse énorme, voit les angles et le sommet échapper à sa vue, c'est seulement à la cime qu'on prend une juste idée de l'ensemble et que l'attente est dépassée par le spectacle. De là, on verrait à douze lieues de distance, si la vue pouvait y atteindre. Une pierre lancée du faîte avec la plus grande force ne tombe qu'à grand-peine à la base ; une illusion d'optique l'éloigne considérablement au début de la course et' l'on s'attend à la voir tomber très loin ; mais bientôt l'œil qui la suit croit la voir revenir à lui, décrivant une courbe rentrante.
L'intérieur de la grande Pyramide semble plein. On n'y a encore découvert qu'une longue galerie, plus petite en proportion que le travail d'une taupe sous un sillon.
Une ouverture imperceptible, placée à quatorze mètres et demi au-dessus de la base, donne accès dans une suite de couloirs obscurs. Notons en passant une inscription française qui rappelle notre expédition d'Égypte. Le trajet est long et périlleux, la chaleur extrême, l'air épais et étouffant ; on avance le dos courbé, les pieds posés sur d'étroits rebords au-dessus d'un abîme noir. À cet affreux chemin succède une galerie basse, où l'on rampe sur une pente raide, puis un puits sans parapet et qu'il faut tourner. Enfin, poussé, tiré, plié en deux pour éviter les chocs, porté même sur de robustes épaules, on traverse la chambre dite de la Reine et l'on arrive à la salle du Roi. Le retour n'est pas moins difficile, et l'on revoit le jour, excédé, épuisé, à bout de forces.
Il est d'usage de crier dans la pièce souterraine et même d'y tirer des coups de fusil. L'écho de la Pyramide est célèbre : il répète le son jusqu'à dix fois. Il doit sa vigueur et sa pureté à la perfection des plafonds et des joints. Toute la chambre du Roi est en granit, d'un poli achevé ; on découvre les assises à grand-peine.
Le plafond est formé de neuf pierres qui doivent chacune peser vingt milliers.
Mais les deux chambres, larges de cinq à dix mètres, sont bien peu de chose pour le toit formidable qui les recouvre. Est-il possible qu'il n'y ait pas d'autres vides au-dessus et au-dessous ? Où finit cet abîme qu'on longe ? Où conduirait le puits qu'on évite, si quelque hardi chercheur s'y suspendait au bout d'une corde ?
Peut-être à cette île souterraine, où Hérodote croyait Chéops enterré à ces méandres sombres que l'imagination de Gérard de Nerval destinait à des initiations connues de Moïse et d'Orphée. Que l'on cherche encore dans les entrailles du colosse : on sait avec quel soin les Égyptiens dérobaient leur sépulture.”