mercredi 16 février 2011

Selon Léon Labat (XIXe s.), les monuments de Thèbes et Memphis sont les témoins d’une nation qui fut jadis “le berceau des sciences et des arts”

Le Dr. Labat et son épouse : peinture du colonel Colombari (1844)

Le docteur Léon Labat (1803-1847) fut un grand voyageur, en Europe et au Proche-Orient. Il exerça sa profession comme chirurgien du vice-roi d’Égypte, puis comme premier médecin du roi de Perse, dans cette seconde fonction sous le nom et titre honorifique de Mirza-Labat-Khan.
Dans son ouvrage L’Égypte ancienne et moderne, édité en 1840, il s’est livré à un exercice de style de haute volée pour traduire l’éloge dithyrambique que méritait, à ses yeux, l’antique splendeur de l’Égypte lorsque Thèbes, puis Memphis en furent successivement la capitale. Les mots choisis claquent parfois comme des superlatifs pour le moins très généreux : l’ “origine surhumaine” et le “caractère de grandeur ineffable” ne prêtent nullement à confusion.
Par contre, l’ “invasion” des Arabes n’a pas bonne presse auprès de l’auteur, puisqu’elle est taxée par lui d’avoir plongé l’Égypte des splendeurs dans rien moins qu’un “état de barbarie”.
Je ne sais si l’auteur-médecin exerçait encore en Égypte lorsqu’il rédigea et publia son ouvrage. Mais l’on peut penser que son auguste patient, qui n’était autre que Méhémet Ali, a eu quelque influence sur son jugement. Est-il besoin de rappeler ? Ce souverain représentait l’Empire Ottoman et, s’il fut l’inspirateur de l’Égypte moderne, il n’était pas lui-même, par ses origines, de sang arabe. (*)

Méhémet Ali (source : Wikimedia commons)
“L'Égypte, après avoir été comblée de toutes les faveurs de la fortune, est restée si longtemps plongée dans l'état de barbarie qui fut la suite de son invasion par les Arabes, que ses documents historiques se sont perdus en grande partie ; au point que, si les monuments de Thèbes et de Memphis n'étaient encore debout pour attester leur antique splendeur, on aurait peine à croire à la gloire d'une nation qui fut jadis le berceau des sciences et des arts, qui marcha en tête de la civilisation, et donna des lois à presque tous les peuples. Ses institutions, ses mœurs, sa religion et ses travaux publics, attestent un caractère de grandeur ineffable. Les Égyptiens constituèrent un de ces types exceptionnels qui portent l'empreinte d'une origine surhumaine ; ils crurent que l'Égypte avait été primitivement le séjour des dieux, comme le génie d'Alexandre lui fit croire qu'il était fils de Jupiter.
Un des plus beaux privilèges de l'architecture est de révéler à la postérité le caractère particulier de chaque peuple. Celle des Égyptiens fut austère comme leurs mœurs : le style en était simple, mais imposant et sublime. Leurs constructions n'étaient ni frivoles ni éphémères comme la plupart des nôtres. L'éternité fut pour eux un culte dont ils inscrivirent les dogmes sur les pages vivantes de leurs gigantesques monuments. Tout portait, chez eux , l'empreinte d'un caractère noble et réfléchi. Ce peuple, qui méditait sans cesse sur les œuvres éternelles de Dieu, tâchait de les imiter, comme pour se rapprocher de son antique origine.
Ces monuments, qu'ils auraient voulu rendre impérissables, devaient être, pour les générations présentes et pour la postérité, l'objet d'une contemplation religieuse. La Grèce, Rome, et, plus tard, notre moderne Athènes érigèrent des temples aux dieux, des palais aux rois, et des cirques pour les amusements du peuple. À ce triple but d'utilité, les Égyptiens surent en joindre un autre qui constitue le caractère propre de leur architecture : leurs monuments, à larges bases et à grandes surfaces, quelle que fût leur destination, furent disposés de manière à recevoir leurs inscriptions hiéroglyphiques.

Un noble sentiment de piété religieuse et de respect pour les morts, leur fit entreprendre les constructions les plus prodigieuses qu'ait jamais tentées la puissance humaine
Un principe religieux et conservateur se rattachant ainsi aux édifices qu'on élevait de génération en génération, la longue vallée du Nil fut bientôt parsemée d'un nombre infini de temples, de mausolées, d'obélisques, de palais et d'aqueducs qui conduisaient l'eau dans toutes les cités. Un noble sentiment de piété religieuse et de respect pour les morts, leur fit entreprendre les constructions les plus prodigieuses qu'ait jamais tentées la puissance humaine : leurs masses, qui s'élevaient jusqu'aux cieux, faisaient naître dans l'esprit de ces populations un sentiment de méditation et de recueillement que nous avons nous-mêmes profondément ressenti à la vue des colossales pyramides de Memphis.
Non contents d'honorer les dieux et la mémoire des grands hommes en leur érigeant des monuments, ils voulurent encore donner aux dépouilles mortelles de leurs parents un asile de repos et de conservation éternelle : d'immenses hypogées furent creusés dans les flancs des montagnes et dans le sein de la terre pour y loger d'innombrables momies qui étaient pour eux une sorte de protestation contre le néant.
Toutes les actions de ce peuple vertueux rappelaient sans cesse le culte de la divinité et le respect pour les morts. Ce respect fut tel que les Égyptiens ensevelirent dans les tombeaux de leurs ancêtres les différents objets qu'ils avaient affectionnés, ainsi que les instruments qui avaient contribué à leur illustration. Ils poussèrent enfin leur reconnaissance pour les œuvres de Dieu au point d'embaumer et de loger dans les hypogées diverses espèces d'animaux. On serait tenté de croire qu'ils voulurent étendre le dogme de l'immortalité à tous les êtres que le ciel avait fait naître sur le sol fortuné de l'Égypte.” 

(*) Lire, sur ce sujet, "Méhémet-Ali - Aperçu général sur l’Égypte par Clot-Bey", par Saint-Marc Girardin.

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