mercredi 16 mars 2011

“Le parti qu'avaient pris les Égyptiens d'adopter, presque en tout, le colossal, ne peut point être un motif de les blâmer” (Jean-François Sobry - XVIIIe-XIXe s.)

Qui était Jean-François Sobry (1743-1820) ? Les quelques bribes d’information trouvées sur internet sont trop floues pour que je les retienne ici.
Je propose toutefois, de cet auteur, le court texte ci-dessous, extrait de Poétique des arts, 1810.
Deux réflexions majeures s’en dégagent :
- les pyramides égyptiennes sont le fruit et l’expression d’une architecture dont le but principal était la durée : une banalité, sans doute, mais qui l’est moins lorsqu’elle devient synonyme d’éternité !
- ces mêmes monuments, au même titre que les lois et les lettres, furent investis d’une fonction “morale” ayant trait à l’ “ordre social” tel qu’il était “organisé” par les Égyptiens.
On remarquera enfin, pour la énième fois dans le contenu de notre inventaire, une comparaison entre le sens artistique des Grecs et la perfection que les bâtisseurs égyptiens recherchaient dans le majestueux et le gigantesque. Cette fois-ci, les Grecs ont trouvé leurs maîtres !

Illustration extraite de la Description d’Egypte
“Il est incontestable que les Égyptiens ont connu tous les principes et toutes les finesses de la peinture et de la sculpture, et que ce sont eux qui les ont enseignés aux Grecs. Différents d'eux en cela qu'ils les ont souvent portés au gigantesque, tandis que les Grecs semblent s'être plus attachés à la perfection qu'à l'extraordinaire et au colossal.
Cependant, le parti qu'avaient pris les Égyptiens d'adopter, presque en tout, le colossal, ne peut point être un motif de les blâmer, parce qu'en effet tout ce qui est élevé, vaste, immense, a déjà, indépendamment de la perfection, quelque chose de remarquable, de majestueux, d'étonnant. D'ailleurs, les Égyptiens n'excluaient pas de ces grandes masses la perfection : témoin ce qui parait encore de leur sphinx et de quelques autres monuments, dont des mains habiles, à l'ombre de nos armes triomphantes, viennent de nous rapporter et des mesures et des images fidèles.
On voit que les Égyptiens ont eu en vue, dans ces monuments gigantesques, non seulement d'attirer l’étonnement de leurs contemporains, mais encore de porter par eux leur puissance organisatrice de l'ordre social, au-delà des siècles et des âges. Et, en effet, tous les travaux délicats qu'ils n'ont confiés qu'au goût de la perfection, ont péri ; tandis que les masses énormes de leurs pyramides font encore, après quarante siècles, dominer le travail de l'homme sur la barbarie et la dévastation.
On sera étonné de nous entendre dire que l'on découvre , dans les vastes édifices des Égyptiens, l'intention généreuse de ces peuples, de porter, dans tous les siècles, leur puissance organisatrice de l'ordre social ; et l'on se refusera peut-être à concevoir comment on peut organiser ou maintenir des sociétés par des édifices, par des monuments.
Oui, les monuments d'architecture sont, comme les lettres, comme les lois, comme les armes, des puissances morales qui soutiennent l'organisation sociale dans l'étendue des siècles, qui l'appellent quand elle n'existe pas, qui l'entretiennent lorsqu'elle est établie, qui la rétablissent lorsqu'elle est détruite. Un instinct secret le révèle aux familles, aux peuples, aux princes ; cet instinct dit à tous les hommes opulents : Fonde pour toi, fonde pour tes contemporains, fonde pour ta postérité ; et aucun peuple n'a mieux entendu cette voix que les anciens Égyptiens.(...)
Leurs pyramides sont, sans aucun doute, leurs monuments les plus caractéristiques. Ils nous font juger tout l'esprit de leur architecture, dont le principal but était la durée. Leur forme partout arc-boutée les mettait à l'épreuve de tous les tremblements de terre. Leur élévation, toujours décroissante, les garantissait de l'affaissement. Leur amortissement insensible, présentant aux vents moins de résistance à leur sommité, la rendait éternelle. Leur nudité, qui ne choquait aucune opinion, ne pouvait jamais provoquer personne à leur destruction. Leur matière toute commune n'appelait point la déprédation. Aussi ont-ils rempli jusqu'à présent ces vues profondes, et sont-ils parvenus à paraître devant nous comme les plus anciens monuments du monde.
Ces grands monuments continueront leurs durables destinées. Nous les avons explorés, mais nous ne les avons point violés. Nous ne les avons pénétrés qu'autant qu'il fallait pour renouveler l'alliance de la pensée avec leurs fondateurs. Nous les consacrons de nouveau au respect des âges. La visite des Français armés leur restitue la vénération du genre humain, comme la visite des savants et des artistes qui les ont mesurés et figurés leur en restitue l'attention.”

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