mercredi 30 mars 2011

À la vue des pyramides d’Égypte, “tout saisit à la fois le cœur et l’esprit d’étonnement, de terreur, d’humiliation et de respect” (Émile-Mathieu Campagne - XIXe s.)

Émile-Mathieu Campagne est surtout connu pour son Dictionnaire universel d’éducation et d’enseignement, “à l’usage de la jeunesse des deux sexes, des mères de famille, des instituteurs, des maîtres et maîtresses de pension et des élèves qui se préparent à une épreuve publique quelconque, contenant tout ce qu’il y a de plus essentiel dans les connaissances humaines et de tous les renseignements d’une application journalière en matière d’éducation, d’enseignement primaire, d’enseignement secondaire”.
Son autre ouvrage L’Afrique à vol d’oiseau, 1882 (extraits ci-dessous) est de la même veine, puisqu’il a été édité dans la série Bibliothèque morale de la jeunesse.
Les pyramidologues aguerris n’apprendront évidemment rien de ce bref récit. Celui-ci ne propose qu’un “survol” rapide du site de Guizeh, mettant l’accent sur les sentiments - dont celui d’une humilité étrangement baptisée “humiliation” - que l’on peut éprouver à la vue des majestueuses pyramides.
Mais comment pourrait-on regretter qu’une approche pédagogique de ces monuments soit placée sous le signe de l’“enthousiasme” ?

Photo de 1900 - auteur inconnu
“Une autre merveille de l'Égypte, ce sont les pyramides. La main du temps et plus encore celle des hommes, qui ont ravagé tous les monuments de l'antiquité, n'ont rien pu jusqu'ici contre les pyramides. La solidité de leur construction et l'énormité de leur masse les ont garanties de toute atteinte et semblent leur assurer une durée éternelle. Les voyageurs en parlent tous avec enthousiasme.
On commence à voir ces montagnes factices dix lieues avant d'y arriver ; elles semblent s'éloigner à mesure qu'on s'en approche. On est encore à une lieue, et déjà elles dominent tellement sur la terre, qu'on croit être à leur pied ; enfin l'on y touche, et rien ne peut exprimer la variété des sensations qu'on y éprouve ; la hauteur de leur sommet, la rapidité de leur pente, l'ampleur de leur surface, le poids de leur assiette, la mémoire des temps qu'elles rappellent, le calcul du travail qu'elles ont coûté, l'idée que ces immenses roches sont l'ouvrage de l'homme, si petit et si faible, qui rampe à leurs pieds, tout saisit à la fois le cœur et l'esprit d'étonnement, de terreur, d'humiliation et de respect.
S'il était possible que quelqu'un ignorât quelle est la forme du monument que l'on nomme pyramide, on lui en donnerait une idée en lui disant, avec Volney, de considérer de loin l'hôtel des Invalides, à Paris, et de supposer que de toute la largeur du bâtiment s'élèvent deux côtés inclinés l'un vers l'autre jusqu'au sommet du dôme, avec cette différence que les grandes pyramides sont au moins d'un tiers plus hautes.
On aurait tort de croire qu'il n'y a de pyramides en Égypte qu'en un seul lieu. Il est vrai que celles qui s'aperçoivent d'abord sont celles dont les voyageurs parlent le plus ordinairement ; elles sont près de Gizeh, à l'ouest. D'autres plus au sud, près de Sakara, sont près de l'emplacement qu'occupait autrefois Memphis. On y en compte neuf, et de plus huit petites dont on néglige ordinairement de parler.
Quoique la hauteur des pyramides de Gizeh soit considérable, puisqu'il y en a qui s'élèvent à plus de cent mètres, l'idée de celte élévation est encore augmentée par leur situation, pour le spectateur qui les aperçoit des bords du Nil. Elles sont placées sur un plateau fort élevé, qui tient aux montagnes de la Libye.
La plupart de ceux qui ont parlé des pyramides les ont indiquées comme ayant été destinées à recevoir les cendres de quelques souverains dont elles étaient les magnifiques tombeaux. Leur nombre même est une raison de plus pour le croire ; cependant le docteur Shaw (1) et le savant Langlès (2) pensent qu'elles ont eu primitivement une autre destination et qu'elles avaient été élevées en l'honneur du soleil, sous le nom d'Osiris.”

Source : Gallica

(1) sur cet auteur : voir la note de Pyramidales
(2) sans doute Louis-Mathieu Langlès, orientaliste et bibliothécaire français