Jean-Joseph Marcel, qui vient d’être mentionné, a fait l’objet d’une note dans Pyramidales ICI.
En dépit d’une remarque aigre-douce à l’égard de M.Witte, “un Allemand qui, pour l'observer en passant, n'est point un voyageur, et qui n'a jamais connu les pyramides que par les livres”, rien ne porte à penser que l’auteur ait lui-même visité l'Égypte. Il s’est, selon toute vraisemblance, contenté d’un travail de compilation, notamment, comme il le mentionne lui-même, à partir des notes de Jean-Joseph Marcel et de l’ouvrage de Louis Mayer Vues en Égypte : d'après les dessins originaux en la possession de Sir Robert Ainslie, pris durant son ambassade à Constantinople.
La première partie de la relation porte pour titre “Grande Pyramide ou le Chéops”. En réalité, il s’agit de quelques considérations générales sur les pyramides et d’une première approche de Chéops, dont il sera question plus en détail dans la seconde partie de notre relation.
Illustration de L. Mayer (1755-1803) |
“Leurs pyramides, dit plus loin cet écrivain caustique et ingénieux, coûtèrent bien des années et bien des dépenses ; il fallut qu'une grande partie de la nation et nombre d'esclaves étrangers fussent longtemps employés à ces ouvrages immenses. Ils furent élevés par le despotisme, la vanité, la servitude et la superstition.”
Quand Hérodote corrige... Voltaire
La publication du grand ouvrage sur l’Égypte, et peut-être aussi plusieurs des planches dont nous avons enrichi notre recueil, suffiraient pour faire sentir ce qu'il y a d'exagéré, même d'injuste dans ce jugement de Voltaire. Mais en lisant dans Hérodote la description des procédés gigantesques et souvent ingénieux qu'employèrent les anciens Égyptiens pour élever leurs pyramides, on est convaincu que pour diriger de pareils travaux, il ne fallait guère moins de génie que de persévérance. Ces immenses amas de pierres, en les jugeant tels que nous les voyons aujourd'hui, en supposant même qu'ils n'aient jamais été revêtus soit en dehors, soit à l'intérieur, d'aucun ornement de sculpture, problème assez difficile à résoudre, comme on le verra plus bas, n'en sont pas moins dignes de notre admiration.
Les mêmes mains qui enrichirent la Haute-Egypte de tant de magnifiques monuments, qui surent y accumuler toutes les combinaisons, toutes les richesses de l'architecture, pouvaient aussi décorer de portiques élégants, de colonnes sveltes ou majestueuses, de chapiteaux taillés avec art, les palais ou les tombeaux des rois de Memphis. Mais il semble que dans la Basse-Egypte, dans cette contrée où la pierre à bâtir est beaucoup plus rare, beaucoup plus difficile à extraire des carrières, on ait voulu d'avance lutter contre les efforts de la barbarie. Ces masses imposantes ont résisté à la passion des hommes pour la destruction, passion qui a toujours le même résultat, soit qu'un vulgaire stupide ne voie dans les prodiges de l'architecture antique qu'une mine inépuisable où l'on peut se procurer des matériaux pour les usages les plus communs, soit que des conquérants ou des voyageurs, amis des arts, prennent plaisir à transporter dans leur patrie les dépouilles d'une autre contrée.
On peut donc, sans méconnaître les progrès qu'ont faits les arts entre les mains des Grecs et parmi les modernes, accorder quelque mérite à ceux qui en ont les premiers frayé la route. “Je suis, dit le sage Pline, du nombre des admirateurs des anciens, mais je ne dédaigne pas pour cela, comme certaines gens, les hommes de nos jours.”
Illustration de L. Mayer |
Cette seule circonstance que les quatre faces des pyramides sont assez exactement orientées vers les quatre points cardinaux, prouverait que ceux qui ont élevé les pyramides n'étaient pas absolument dépourvus de connaissances en astronomie. Une pareille opération semble facile au premier coup d'œil, mais si le célèbre Tycho-Brahé se trompa de dix-huit minutes de degré dans le tracement de la méridienne de son observatoire d'Uranienbourg, on doit croire qu'elle exige des détails assez minutieux. De plus, dans ces derniers temps , divers géomètres ont cherché à s'assurer si les faces de la Grande Pyramide sont en rapport exact avec les points cardinaux, et leurs observations n'ont point donné un résultat concordant.
Un ingénieur français, M. Chazelle, membre de l'Académie des Sciences, avait trouvé les quatre faces parfaitement orientées, mais la méthode qu'il a employée pour parvenir à ce résultat n'a pas paru d'une précision suffisante. M. Nouet et d'autres membres de la commission d’Égypte ont recommencé toutes ces épreuves. Ils ont trouvé un angle de vingt minutes entre l'axe de la Grande Pyramide et la ligne de la méridienne ; mais ils n'ont pu décider si cette différence procède d'un changement réel dans la direction de la méridienne, ou de l'imperfection de la méthode employée par les constructeurs de ces anciens monuments. Ils inclinent, toutefois, vers cette dernière idée, et s'expriment ainsi : “Voilà les Égyptiens en défaut d'un tiers de degré dans la direction de leurs pyramides, ainsi que Tycho Brahé dans la direction de la méridienne de son observatoire. L'usage des lunettes applicables aux instruments astronomiques leur était inconnu : cette découverte a apporté une toute autre précision dans les observations ; et l'on ne doit pas plus douter de l'intention de l'architecte pour rendre sa pyramide parallèle à la méridienne, que de celle de Tycho pour orienter son observatoire, et placer ses instruments dans le plan du méridien.”
Nous devons observer que ces savants modestes n'osent point donner leur travail comme offrant une certitude absolue.
“Pouvons-nous, disent-ils, être assurés d'avoir mené une ligne parfaitement parallèle à la pyramide ? Son pied n'existe plus vers les angles ; dans le milieu il est recouvert d'une montagne de décombres. On est parti de la cinquième assise, dont il ne reste vers les extrémités que quelques pierres assez difficiles à reconnaître, et il a fallu s'éloigner de la pyramide de quarante mètres, pour se placer au-delà des décombres qui obstruent le milieu des faces.”
Quatre pyramides qui “se distinguent des autres par leur masse et leur élévation”
Il existe en Égypte un assez grand nombre de pyramides : on en trouve surtout entre le Caire et Médoun ; elles varient beaucoup, et par leurs proportions, et par la nature des matériaux. Les plus remarquables sont celles de Gizéh ; ce sont les plus proches du Caire. Quatre de ces pyramides, de grandeur différente, se distinguent des autres par leur masse et leur élévation. Chacune de leurs faces regarde un des quatre points cardinaux ; et elles sont placées dans une telle direction qu'une ligne tirée du nord-est au sud-ouest traverserait aussi la base de chacune.
La plus petite des quatre se trouve au sud-ouest, et les proportions des autres s'augmentent successivement. On se croit autorisé à supposer que les plus humbles de ces monuments furent les premiers construits, et que chaque prince voulut éclipser la gloire de ses prédécesseurs. Ces pyramides n'étaient en effet que des tombeaux, et selon la belle expression de Bossuet, “les monarques qui les élevaient n'ont pas eu le pouvoir d'y être inhumés et ils n'ont pu jouir de leurs sépulcres”.
Des tombeaux
Quelques personnes n'ont pu croire que d'aussi vastes édifices fussent exclusivement destinés à renfermer les dépouilles périssables d'un seul homme ; elles ont vu, dans les pyramides, des temples élevés en l'honneur du soleil ; elles ont même cru trouver dans une étymologie très suspecte, dans le mot pur, qui signifie le feu, et d'où serait dérivé le terme pyramide, quelque fondement à une telle opinion ; mais ne serait-il pas absurde de prétendre qu'on eût voulu faire un temple d'un amas de pierres, presque massif, où il n'existerait qu'une chambre étroite, et où tout accès aurait été sévèrement interdit à la foule des adorateurs ? Quand même on ne considérerait les pyramides que comme des autels, peut-on concevoir que l'on ait jamais offert des sacrifices sur des édifices aussi élevés, à la sommité desquels on ne saurait parvenir qu'avec beaucoup de fatigue et de courage, même à présent que des dégradations successives en ont facilité l'escalade ?
Un écrivain anglais a émis dans l'Encyclopédie Britannique une opinion encore plus singulière : il regarde les pyramides égyptiennes comme des statues, comme l'image informe et conventionnelle de quelque divinité puissante. Il se fonde sur l'autorité de la Société Asiatique de Calcuta, sur les images des divinités des Indous, Seeva et Mehedeo, que l'on représente toujours sous une figure conique et pyramidale. Mais le sarcophage monolithe dont nous parlerons, ne peut plus laisser de doute.
Opinions invraisemblables
Un Allemand, M. Witte, qui, pour l'observer en passant, n'est point un voyageur, et qui n'a jamais connu les pyramides que par les livres, a osé soutenir que ces monuments étaient l'ouvrage de la nature et non de l'art. Il est vrai qu'il met ses lecteurs à portée d'apprécier son hypothèse, en attribuant la même origine aux ruines de Persépolis, de Balbek et de Palmyre, aux palais des Incas dans le Pérou, au temple de Jupiter à Girgenti (l'ancienne Agrigente), dans la Sicile, et même à Stonehenge, dans la plaine de Salisbury en Angleterre.
Un autre écrivain, M. Bryant, a émis une opinion qui ne semble pas tout à fait aussi invraisemblable, et le fameux voyageur Bruce l'a partagée. Il ne regarde point les pyramides tout entières comme une construction artificielle de pierres liées avec du mortier. II croit qu'il existe au milieu un noyau de rocher dont les parois auront été revêtues par la main des hommes d'assises de pierre calcaire.
“L’infatigable activité des ouvriers”
Il n'est pas absolument improbable que l'on ait fait entrer, dans la partie basse des pyramides, autant du lit du rocher sur lequel elles s’élèvent, que les localités le permirent ; mais en même temps, il paraît hors de doute que tout ce qui existe à partir de la grande galerie et des chambres sépulcrales est dû à l'infatigable activité des ouvriers. M. Réveley et d'autres voyageurs ont fait une observation très judicieuse. Ils disent que la grande galerie, les chambres et surtout le sarcophage sont d'un granit d'une dureté extrême et d'un poids considérable, que l'on n'aurait pu jamais transporter par le passage qui y conduit, sans occasionner des dégradations dont on verrait encore la trace. (...)
Au sommet de la Grande Pyramide
Les anciens Égyptiens, malgré leur vénération pour ces monuments de leur patrie, osaient cependant escalader aussi la Grande Pyramide. Il n'y avait que les plus hardis qui entreprissent d'arriver jusqu'à la plate-forme qui a toujours existé, depuis un temps immémorial. Personne n'osait descendre autrement qu'en tournant le dos à la campagne, afin de pouvoir s'aider de ses mains, et surtout de peur que l’éblouissement de la vue ne fît faire quelque faux pas.
C'était aussi un préjugé établi, soit par l'espèce de frayeur que l'on éprouvait nécessairement au sommet de la pyramide, en se voyant comme isolé au milieu d'une plaine immense, soit à cause de l'opinion exagérée que l'on avait de la largeur de la base, qu'il était impossible de décocher du haut une flèche qui tombât au-delà des assises inférieures. L'évaluation que nous donnerons ci-après de la base de la Grande Pyramide prouvera que cette opinion était mal fondée. La moitié de la base n'ayant pas plus de trois cents pieds, c'était tout au plus la moitié de la portée d'une flèche lancée par un bras vigoureux.”
(1) Introduction à l’Essai sur les mœurs
(2) M. Sylvestre de Sacy a eu l'excellent esprit de chercher l'origine du mot pyramide, non pas dans la langue grecque, mais dans la langue primitive des Égyptiens. Le terme radical signifie selon lui quelque chose de sacré ou dont l'approche est interdite au vulgaire.
M. Volney a cherché la même étymologie dans un dialecte de la Palestine. Bour-a-mit, dont les Grecs auraient fait Pouramis, signifie, suivant lui, le caveau du mort. Une pareille conjecture, si elle était fondée, trancherait toute difficulté sur la destination des monuments.
Source : Google livres