Le texte qui suit est extrait du tome 8 de cet ouvrage (1737).
Historien, l’auteur y fait oeuvre de compilation. N’ayant pas visité lui-même les pyramides égyptiennes, il se contente de grappiller de-ci de-là des informations et d’en proposer une synthèse aussi logique que possible.
Ses sources : Diodore de Sicile, Strabon, Pline, quelques commentateurs et “voyageurs”. Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, point d’Hérodote parmi ses références. Ce qui ne l’empêche pas de citer certains propos du célèbre historien grec, en les attribuant à… Pline !
Extrait de la "Description de l’Égypte" |
Les plus fameuses sont celles d’Égypte, et les Anciens qui en ont parlé tombent tous d'accord qu'elles ont été bâties pour servir de tombeaux à ceux qui les ont élevées. Diodore de Sicile et Strabon le disent clairement ; les Arabes le confirment ; et le tombeau qu’on voit encore aujourd’hui dans plus grande pyramide met la chose hors de doute.
Si l'on cherche la raison qui porta les Rois d’Égypte à entreprendre ces grands bâtiments : Aristote insinue que c’était un effet de leur tyrannie ; Pline dit qu'ils les ont bâtis en partie par ostentation et en partie pour tenir leurs sujets occupés, et leur ôter les occasions de penser à quelque révolte. Mais quoique ces raisons puissent y être entrées pour quelque chose, je crois trouver la principale dans la théologie même des Égyptiens.
“Pour conserver les corps plus longtemps”
Servius (*), en expliquant cet endroit de Virgile “animamque sepulchre condimus”, dit que les Égyptiens croyaient que l’âme demeurait attachée au corps tant qu'il restait en son entier ; que les Stoïciens étaient de la même opinion. Les Égyptiens, dit ce savant commentateur, embaument leurs corps, afin que l’âme ne s'en sépare pas sitôt pour passer dans un autre corps. C'est pour conserver les corps plus longtemps que les Égyptiens avaient inventé ces précieuses compositions dont ils les embaument et qu'ils leur ont bâti de si superbes monuments ; en quoi on peut dire qu'ils faisaient plus de dépense, et montraient plus de magnificence que dans leurs palais qu'ils ne regardaient que comme des demeures passagères, ainsi que le remarque Diodore de Sicile.
Comme le baume servait à rendre les corps incorruptibles, on s'efforçait de dresser des monuments qui pussent durer aussi longtemps que ces corps embaumés. Ce fut par cette même raison que les rois de Thèbes bâtirent de pareils monuments qui ont bravé tant de siècles ; et Diodore de Sicile nous apprend qu'il paraissait par les commentaires sacrés des Égyptiens qu'on comptait quarante-sept de ces superbes monuments ; mais qu'il n'en restait plus que dix-sept du temps de Ptolomée Lagus. Ces tombeaux que vit Strabon proche de Syéne dans la Haute Egypte avaient été bâtis pour la même fin.
Longtemps après le règne des premiers rois de Thèbes, ceux de Memphis s'étant trouvés les maîtres et ayant la même croyance sur la résidence des âmes auprès des corps, il n'y a point à s'étonner qu'ils aient élevé ces superbes pyramides qui sont encore aujourd'hui l'admiration de l’Univers. Les Égyptiens de moindre condition, au lieu de pyramides, faisaient creuser pour leurs tombeaux de ces caves qu'on découvre tous les jours en si grande quantité et dans lesquelles on découvre tant de momies.
Raisons de la “figure qu’on donna aux pyramides”
Extrait de la "Description de l’Égypte" |
Si
l’on vient à chercher la raison de la figure qu'on donna aux pyramides,
il faudra dire qu'elles furent bâties de la sorte parce que de toutes
les figures qu’on peut donner aux édifices, celle-là est la plus
durable, le haut ne chargeant point le bas ; et la pluie qui ruine
ordinairement les autres bâtiments ne pouvant nuire à des pyramides
parce qu'elle ne s'y arrête pas. Peut-être aussi qu’ils ont voulu par là
représenter quelques-uns de leurs Dieux ; car dans ce temps-là, les
Égyptiens représentaient leurs Divinités par des colonnes et par des
obélisques. Ainsi nous voyons dans Clément Alexandrin que Callirhoé,
prêtresse de Junon, mit au haut de la figure de sa Déesse des couronnes
et des guirlandes, c'est-à-dire, comme l'a expliqué Scaliger dans son
Eusèbe, au haut de l'image de sa Déesse ; car dans ce temps-là, les
statues des Dieux avaient la figure de colonnes ou d'obélisques.
Pausanias dit que dans la ville de Corinthe, Jupiter Melichius était
représenté par une pyramide, et Diane par une colonne. C'est là-dessus
que Clément Alexandrin appuie sa conjecture lorsqu'il veut prouver que
les pyramides et les colonnes ont été la plus ancienne Idolâtrie.
Ainsi avant que l'art de tailler les statues eût été trouvé les Égyptiens dressaient des colonneset les adoraient comme les Images de leurs Dieux. Les autres nations ont quelquefois imité ces ouvrages des Égyptiens et ont dressé des pyramides pour leurs sépulcres. (...) Servius remarque qu'anciennement les personnes de condition se faisaient enterrer sous des montagnes et qu'ils ordonnaient qu'on dressât sur leurs sépulcres des colonnes et des pyramides.
Je joindrai à ces recherches les remarques que fit le Père Vansteb dans le Voyage qu'il fit en Égypte en 1672. Le lieu, dit-il, où sont les pyramides, est un cimetière ; et cela est si évident que qui voudrait le nier passerait pour ridicule. C'est sans doute le cimetière de Memphis ; car tous les historiens arabes nous apprennent que cette ville était bâtie dans l’endroit où sont les pyramides, et vis-à-vis du Vieux-Caire.
“Il y a quelque apparence que les pierres dont on les a bâties ont été tirées sur le lieu même”
Toutes les pyramides ont une ouverture qui donne passage dans une allée basse, fort longue, et qui conduit à une chambre où les anciens Égyptiens mettaient les corps de ceux pour lesquels les pyramides étaient faites. Quoiqu'on ne voie pas ces ouvertures dans toutes les pyramides ; cela vient de ce qu’elles sont bouchées par le sable que le vent y a apporté. Sur quelques-unes on trouve des caractères hiéroglyphiques assez bien conservés.
Toutes les pyramides étaient posées avec beaucoup de régularité. Chacune des trois grandes, qui subsistent encore, sont placées à la tête de dix petites que l’on ne peut néanmoins connaître que difficilement, parce qu'elles sont couvertes de sable, et l'on juge qu’il pouvait y en avoir en tout une centaine tant grandes que petites.
Toutes sont construites sur un terrain qui est un rocher uni caché sous du sable blanc ; et il y a quelque apparence que les pierres dont on les a bâties ont été tirées sur le lieu même, et n'ont point été apportées de loin comme le prétendent quelques voyageurs et comme le supposent quelques anciens écrivains.
“Deux côtés plus longs que les deux autres”
Aucune de ces pyramides n'est égale ni parfaitement carrée. Toutes ont deux côtés plus longs que les deux autres. Le lieu où elles sont bâties est un rocher couvert de sable blanc. On le connaît par les fossés et par les caves qui sont aux environs des pyramides, le tout taillé dans le roc. Les pyramides ne sont point bâties de marbre comme quelques-uns l'ont écrit, mais d'une pierre de sable blanc et fort dure.
Dans toutes les pyramides il y a des puits profonds et carrés, tous taillés dans le roc. II y aussi de ces puits dans les grottes qui sont au voisinage des pyramides, et toutes creusées au côté d'une roche en assez mauvais ordre, et sans symétrie par dehors, mais fort égales et bien proportionnées par dedans. Le puits que l'on voit en chacune est carré et taillé dans le roc. C'est le lieu où les Égyptiens mettaient les corps de ceux pour qui la grotte avait été faite. Les murailles de quelques-unes sont pleines de figures hiéroglyphiques taillées aussi dans le roc. Dans quelques-unes, ces figures sont fort petites, et dans d'autres, elles sont grandes comme nature.
On ne compte ordinairement que trois pyramides, quoiqu'il y en ait une quatrième ; mais comme elle est beaucoup plus petite que les autres, on n'y fait point d'attention.
La première pyramide
La
première, et la plus belle de toutes, est située sur le haut d'une
roche, dans le désert de sable d'Afrique, à un quart de lieue de
distance vers l'Ouest des plaines d'Egypte. Cette roche s’élève environ
cent pieds au-dessus du niveau de ces plaines, mais avec une rampe aisée
et facile à monter ; elle contribue quelque chose à la beauté et à la
majesté de l'ouvrage ; et sa dureté fait un fondement proportionné à la
masse de ce grand édifice.
Pour
pouvoir visiter cette pyramide par dedans, il faut ôter le sable qui en
bouche l'entrée, car le vent y en pousse continuellement avec violence
une si grande quantité qu'on ne voit ordinairement que le haut de cette
ouverture. II faut même avant que de venir à cette porte monter sur une
petite colline, qui est vis-à-vis, tout auprès de la pyramide, et qui
sans doute s'y est élevée du sable que le vent y a poussé, et qui ne
pouvant être porté plus loin à cause de la pyramide qui l'arrêtait, s’y
est entassé de la sorte. II faut aussi monter seize marches avant que
d'arriver à l'entrée dont il vient d'être parlé. Cette ouverture est à
la hauteur de la seizième marche du côté du Nord. On prétend
qu'autrefois on la fermait après y avoir porté le corps mort, et que
pour cet effet il y avait une pierre taillée si juste que lorsqu'on l'y
avait remise, on ne la pouvait discerner d'avec les autres pierres ;
mais qu'un Bâcha la fit emporter afin qu'on n'eût plus le moyen de
fermer la pyramide. Cette entrée est carrée et elle a la même hauteur et la même largeur depuis le commencement jusqu’à la fin. La hauteur est d'environ trois pieds et demi et la largeur de quelque chose moins. La pierre qui est au-dessus en travers est extrêmement grande, puisqu'elle a près de douze pieds de longueur et plus de dix-huit pieds de largeur. Le long de ce chemin on trouve une chambre longue de dix-huit pieds et large de douze : sa voûte est en dos d'âne. Quelques-uns disent qu'auprès de cette chambre, mais dans un lieu plus élevé, il y a une fenêtre par où l'on pourrait encore aller dans d'autres chemins ; mais il n'est pas aisé à cause de la hauteur d'en faire la recherche.
Quand on est venu jusqu'au bout de ce premier chemin, on rencontre une autre allée pareille, mais qui va un peu en montant : elle est de la même largeur, mais si peu élevée principalement dans l'endroit où ces deux chemins aboutissent qu'il faut se coucher sur le ventre et s'y glisser en avançant les deux mains, dans l'une desquelles on tient une chandelle allumée pour s'éclairer dans cette obscurité. Les personnes qui ont de l'embonpoint ne doivent pas se hasarder à y passer, puisque les plus maigres y ont assez de peine. II y en a qui disent que ce passage a plus de cent pieds de longueur et que les pierres qui le couvrent et qui font une espèce de voûte ont vingt-cinq à trente paumes. II n'y a pas un grand inconvénient à les en croire sur leur parole, car la fatigue que l'on a à essuyer et la poussière qui étouffe presque, ne permettent guère d'observer ces dimensions. Selon les apparences néanmoins, on trouverait à l’endroit que je décris la même hauteur qu'à l'entrée, si les Arabes voulaient se donner la peine d'ôter le sable qui y est poussé par le vent. De plus l'air est extrêmement incommode, et presque étouffant, parce que comme le passage est très étroit, et qu'il n'y a aucune ouverture, on ne retire presque point d'autre air que celui qu'on y met en respirant.
Au commencement de ce chemin qui va en montant, on rencontre à main droite un grand trou, où l'on peut aller quelque temps en se courbant, et l'on trouve partout la même largeur ; mais à la fin on rencontre de la résistance, ce qui fait croire que ce n'a jamais été un passage mais que cette ouverture s'est ainsi faite par la longueur du temps.
Après qu'on s'est ainsi glissé par ce passage étroit, on arrive à un espace où on peut se reposer, et l'on trouve deux autres chemins, dont l'un descend, et l'autre va en montant. A l'entrée du premier, il y a un puits qui, à ce qu'on dit, descend en bas à plomb ; mais selon d'autres, après que l’on a compté soixante-sept pieds en y descendant, on rencontre une fenêtre carrée, par où on entre dans une grotte, qui est creusée dans une montagne de sable coagulé et serré ensemble et elle s'étend en sa longueur de l'Orient à l'Occident.
Quinze pieds plus bas, ajoute-t-on, et par conséquent à quatre-vingt-deux pieds depuis le haut on trouve un chemin creusé dans le roc : il a deux pieds et demi de large, et il descend en bas, et fort de travers dans la longueur de cent vingt-trois pieds, au bout desquels il est plein de sable, et de l'ordure qu'y font les chauves-souris : au moins est-ce ce qui a été remarqué par un gentilhomme écossais dont le Sr. de Thévenot parle dans ses voyages. Peut-être ce puits a-t-il été fait pour descendre en bas les corps qu’on mettait dans les cavités qui sont sous les pyramides.
La Grande Galerie : “Ce qu'il y a de plus considérable dans les pyramides”
Cliché John et Edgar Morton |
Lorsqu'on
est revenu de ce premier chemin qui est à la main droite, on entre à
gauche dans le second qui a six pieds et quatre pouces de largeur, qui
monte aussi la longueur de cent soixante-deux pieds. Des deux côtés de
la muraille, il y a un banc de pierre haut de deux pieds et demi, et
raisonnablement large, auquel on se tient ferme en montant, et à quoi
servent les trous qu’on a faits presque à chaque pas afin qu'on pût y
mettre les pieds. Ceux qui vont voir les pyramides doivent avoir
obligation à ceux qui ont fait ces trous : sans cela il serait
impossible d'aller au haut, et il faut encore être alerte et vigoureux
pour en venir à bout, à l’aide du banc de pierre qu'on tient ferme d'une
main, pendant que l'autre est occupée à tenir la chandelle. Outre cela
il faut faire de fort grands pas, parce que les trous sont éloignés de
six paumes l'un de l’autre. Cette montée qu'on ne peut regarder sans
admiration peut bien passer pour ce qu'il y a de plus considérable dans
les pyramides. Les pierres qui en font les murailles sont unies comme
une glace de miroir, et si bien jointes les unes aux autres qu'on dirait
que ce n'est qu'une seule pierre. II en est de même du fond où l'on
marche ; et la voûte est élevée et superbe.
“Une route plus facile et plus commode pour porter les cadavres”
Ce chemin qui conduit à la Chambre des Sépulcres persuade que ce n'est point là qu'était la véritable entrée de la pyramide. II faut que celle qui conduisait à cette chambre soit plus aisée et plus large ; car si les pyramides étaient les tombeaux des anciens Pharaons qui les ont fait élever, comme il y a toute apparence par la tombe qu'on trouve dans celle dont il est ici question, il faut qu'on ait ménagé une route plus facile et plus commode pour y porter les cadavres, et comment les faire passer par ce chemin où l'on ne peut marcher qu'en grimpant, ou en rampant sur le ventre ?
Si nous en croyons Strabon, on entrait dans la grande pyramide en levant la pierre qui est sur le sommet. A quarante stades de Memphis, dit-il, il y a une roche sur laquelle ont été bâtis les pyramides et monuments des anciens rois.
L'une de ces pyramides est un peu plus grande que les autres. Sur son sommet il y a une pierre qui pouvant être aisément ôtée, découvre une entrée qui mène par une descente à vis jusqu' au tombeau : ainsi on pourrait avoir élevé cette tombe par le moyen de quelque machine sur le haut de la pyramide, avant que les pierres qui la couvrent y fussent posées, et l'avoir fait descendre ensuite dans la chambre.
Au bout de la montée, on entre dans cette chambre. On y voit un sépulcre vide, taillé d'une seule pierre, qui lorsqu’on frappe dessus, rend un son comme une cloche. La largeur de ce sépulcre est de trois pieds et un pouce ; la hauteur de trois pieds et quatre pouces, et la longueur de sept pieds et deux pouces. La pierre dont il est fait a plus de cinq pouces d'épaisseur : elle est extraordinairement dure, bien polie, et ressemble à du porphyre. Les murailles de la chambre sont aussi incrustées de cette pierre. Le sépulcre est tout nu, sans couverture, sans balustrade, soit qu'il ait été rompu, ou qu'il n'ait jamais été couvert, comme le disent les Égyptiens.
Le roi qui a fait bâtir cette pyramide n'y a jamais été enterré. L'opinion commune veut que ce soit Pharaon qui, par le jugement de Dieu, fut noyé avec toute son armée dans la Mer Rouge, lorsqu'il poursuivait les Enfants d'Israël. D’anciens auteurs disent que le fondateur de cette pyramide était Chemmis et quelques-uns assurent que son corps en a été retiré ; mais il ne paraît point qu'il y ait jamais eu de corps dans cette tombe. Diodore de Sicile en parlant de ce prince et de Cephren qui a fait construire une des autres pyramides, dit que quoique ces deux rois aient fait élever ces deux superbes monuments pour en faire leur sépulcre, il est vrai néanmoins qu'aucun d'eux n'y a été enterré. Le peuple révolté à cause des maux qu'il avait soufferts en y travaillant, et des impôts qu'il avait été obligé de payer, les ayant menacés de tirer un jour leurs cadavres de ces sépulcres, et de les mettre en pièces, ces princes prièrent leurs amis de les ensevelir dans des lieux qu'on ne pût pas découvrir.
Dans cette même chambre à main droite, en entrant, il y a un trou par où, selon quelques-uns, on peut entrer dans un autre appartement, et de là, encore dans une autre allée. Le Brun dit qu'il trouva ce trou sans beaucoup de peine, qu'il n' avait que cinq ou six pieds de profondeur, et que s'y étant fait descendre il ne vit rien autre chose qu'un petit espace carré tout plein de chauves-souris ; mais il n'aperçut aucune ouverture qui conduisît quelque part.
En retournant sur ses pas, Le Brun et ceux qui l'accompagnaient après avoir descendu la montée, trouvèrent un appartement qui leur était échappé. II était grand et carré. Son plancher ou sa voûte avait beaucoup d'élévation, mais le bas était plein de pierres et de terre ; et comme on y sentait une puanteur insupportable, nos curieux furent contraints d'en sortir au plus vite et de chercher le passage par où ils étaient entrés en se couchant sur le ventre.
“Une petite chambre carrée où il n’y a rien à voir”
Pour visiter la pyramide par dehors, on monte en reprenant de temps en temps haleine. Environ à la moitié de la hauteur, à un des coins du côté que Le Brun et ses compagnons montèrent, savoir entre l'Est et le Nord, qui est l’endroit par où l'on peut monter avec moins de peine, on trouve une petite chambre carrée où il n'y a rien à voir et qui ne sert qu'à se reposer, ce qui n' est pas sans besoin ; car on ne grimpe pas sans beaucoup de peine.
Quand on est parvenu au haut, on se trouve sur une belle plate-forme, d'où l'on a une agréable vue sur le Caire, et sur toute la campagne des environs, sur sept pyramides qu'on découvre à la distance de sept lieues et sur la mer que l'on a à la main gauche. La plate-forme qui, à la regarder d'en-bas, semble finir en pointe, est de dix ou douze grosses pierres, et elle a à chaque côté qui est carré seize à dix-sept pieds. Quelques-unes de ces pierres sont un peu rompues ; et la principale de toutes sur laquelle étaient la plupart des noms de ceux qui avaient pris la peine de monter au haut de cette pyramide, a été jetée du haut en bas par l'emportement de quelques voyageurs français.
On ne peut descendre autrement par le dehors ; quand on a bâti la pyramide, on a tellement disposé les pierres les unes sur les autres qu'après en avoir fait un rang, avant que d'en poser un second, on a laissé un espace à se pouvoir tenir dessus, ou du moins suffisant pour asseoir les pieds fermes ; de sorte qu'on monte et descend comme par des degrés. Le Brun qui dit les avoir comptés, assure en avoir trouvé deux cent dix rangs de pierre, les unes hautes de quatre paumes, les autres de cinq, et quelques-unes de six. Quant à la largeur, quelques)unes ont deux paumes, et d'autres trois, d’où il est aisé de comprendre combien il doit être difficile de monter. En effet il faut quelquefois travailler en même temps des pieds et des genoux, et se reposer de temps en temps. II est néanmoins encore plus mal aisé de descendre que de monter ; car quand on regarde du haut en bas les cheveux dressent à la tête. C'est pourquoi le plus sûr est de descendre à reculons, et de ne regarder nulle part sinon à bien poser les pieds à mesure que l'on descend. D'ailleurs, de toutes les pierres dont la grande pyramide est faite, il n'y en a presque point qui soit entière. Elles sont toutes rongées par le temps ou écorchées par quelque autre accident, de sorte que quoiqu’on puisse monter de tous côtés jusqu’à la plate-forme , on ne trouve pas pourtant partout la même facilité.
Le Brun, en mesurant la pyramide d'un coin à l'autre par le devant, trouva qu’elle avait trois cents bons pas, et ensuite, ayant mesuré la même face avec une corde, il trouva cent vingt-huit brasses qui font sept cent quatre pieds. L’entrée n'est pas entièrement au milieu : le côté du Soleil couchant est plus large d'environ soixante pieds. La hauteur de la pyramide en la mesurant aussi par devant avec une corde se trouva de cent douze brasses, chacune de cinq pieds et demi ; ce qui revient à six cent seize pieds. On ne peut pas néanmoins dire de combien elle est plus large que haute, parce que le sable empêche qu'on ne puisse mesurer le pied. Le coté de cette pyramide qui regarde le Nord est bien plus gâté que les autres, parce qu'il est beaucoup plus battu du vent du Nord, qui dans les autres pays est un vent sec, mais qui est humide en Égypte.
Les seconde et troisième pyramides
La seconde pyramide ne peut être vue que par dehors, parce qu' on n'y peut entrer, étant entièrement fermée. On ne peut pas non plus monter au haut, parce qu'elle n'a point de degrés comme celle qui vient d'être décrite. De loin elle paraît plus haute que la première, parce qu'elle est bâtie dans un endroit plus élevé ; mais quand on est auprès on se détrompe, elle e st carrée. Mr.Thévenot donne à chaque face six cent trente et un pieds. Elle paraît si pointue qu'on dirait qu’un seul homme ne saurait se tenir sur son sommet. Le côté du Nord est aussi gâté par l'humidité comme la première.
La troisième est petite, et de peu d'importance. On croit qu elle a été autrefois revêtue de pierres semblables à celle du tombeau qui est dans la première pyramide. Ce qui donne lieu de le penser, c'est qu'on trouve aux environs une grande quantité de semblables pierres, et il y en a encore de fort grosses.
Pline, parlant de ces pyramides, dit que celle qui est ouverte fut faite par trois cent soixante et dix mille ouvriers dans l’espace de vingt ans, et qu'il y fut dépensé dix-huit cents talents seulement en raves et oignons.”
Source : Google livres
(*) Maurus Servius Honoratus, dit Servius, était un grammairien de la fin du IVe siècle, réputé parmi ses contemporains comme l'homme le plus instruit de sa génération en Italie ; il est l'auteur d'un livre de commentaires sur Virgile.