jeudi 10 janvier 2013

“Il y a peu d'analogie entre les ziggourats et les pyramides” (Jean de Mecquenem - XXe s.)

Les architectes des pyramides égyptiennes se sont-ils inspirés de l’art de construire mis en oeuvre dans la civilisation sumérienne (Mésopotamie) ? Bien que la question soit récurrente dans les ouvrages traitant d’égyptologie, une certitude historique s’impose : les Égyptiens furent bien les premiers à utiliser la pierre de taille dans la construction d’édifices aussi imposants que les pyramides.
Dans la Gazette des beaux-arts : courrier européen de l'art et de la curiosité, Paris 1939, Jean de Mecquenem (1883-1939), architecte diplômé et ancien membre de l'École Française, spécialiste de l'art khmer, a abordé ce sujet dans un article consacré au “mont artificiel” qu’était la  “Ziq-Kurat”.
On constatera que la comparaison est rondement menée : elle débouche sur des différences essentielles entre deux modes de construction, le seul point de convergence étant que ziggourats et pyramides sont des édifices qui “montent vers le ciel”.

La tour de Babel, selon le P. Lamu
 “Les Sumériens apportèrent en Mésopotamie, trois mille ans avant J.-C, une civilisation toute remplie du souvenir de leur ancien habitat, où leurs dieux résidaient et régnaient sur les sommets, se nommant eux-mêmes “la grande montagne” ou “la maîtresse de la montagne”.
La construction de ces monuments, les Ziq-Kurat, étant un événement important, a été notée sur des tablettes ; leur aspect dans des pays aux horizons étendus a frappé les voyageurs, et nous en avons des descriptions détaillées ; enfin des fouilles récentes permettent le contrôle nécessaire.
En effet, avant les dernières découvertes archéologiques, les reconstitutions faites d'après les textes seuls étaient inexactes. Il est évident que plusieurs de ces reconstitutions sont inspirées par les pyramides d'Egypte. Or, il y a peu d'analogie entre les Ziq et les pyramides. Le seul rapprochement qui puisse être fait est que tous deux montent vers le ciel.
A ce sujet, M. Moret (1) dit ceci : “Au sud du mur blanc, Zefer pousse vers le ciel une  tour à peu près carrée, flanquée de cinq étages de contreforts superposés et de plus en plus larges, en blocs de calcaire ; l'aspect final est celui d'un escalier colossal à quatre faces ; le roi repose dans la pyramide, sous la protection d'un symbole solaire, et la pyramide élève le roi mort jusqu'au ciel.Le flanc des pyramides rappelle en effet l'escalier (Ouârt), sur lequel Atoum s'est élevé au-dessus du chaos, et qui permet aux dieux de monter au ciel. Nous verrons que le roi gagne le firmament par la même voie.” 

La tour de Babel - Gravure de J. Punt, 1742
Les pyramides sont uniquement des tombeaux ; leurs dimensions et leur orientation variables ne permettent pas de les considérer comme des monuments mnémotechniques mathématiques ; leurs dispositions, qui rendent l'ascension difficile, et l'absence de plateforme au sommet, font qu'elles n'ont pu servir d'observatoire ni de lieu de sacrifice, et l'accès rendu impossible des chambres funéraires fait qu'elles n'ont jamais pu être des temples.
Il en est tout autrement pour les Ziq ; elles n'avaient pas l'aspect de pyramides et c'est sans doute faute de nom mieux approprié qu'Hérodote et Strabon leur donnent ce qualificatif, qui n'avait peut-être pas dans leur pensée la valeur géométrique que nous lui donnons.
Les pyramides sont des compositions sur deux axes perpendiculaires, orientés généralement de l'Est à l'Ouest et du Nord au Sud. Les Ziq ont, sauf de rares exceptions, leurs angles orientés sensiblement aux points cardinaux et un seul axe généralement Sud-Ouest-Nord-Ouest.
Chaque pyramide est édifiée pour un pharaon et de son vivant, mais les Ziq sont consacrées aux divinités ; elles sont construites, réparées et agrandies par différents rois, parfois par différents peuples, au cours des siècles.”
(1) Le Nil et la civilisation égyptienne
Source : Gallica