mardi 30 octobre 2018

"La pyramide telle que les Égyptiens l'ont réalisée sur le terrain ne manque jamais d'émouvoir profondément qui l’aperçoit pour la première fois" (Gaston Maspero)

Extraits de Égypte, 1912, par Gaston Maspero (1846-1916), égyptologue français, professeur au Collège de France (1874), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1883), successeur de Mariette, en janvier 1881, à la direction du Service des antiquités égyptiennes et du musée d’Archéologie égyptienne de Boulaq. 
 
Lithographie illustrant la pyramide à degrés (Karl Richard Lepsius)
"La Pyramide à degrés (...) n'est pas une pyramide véritable. En (la) commandant à ses architectes, Zosiri voulait un tombeau qui l'emportât sur ceux de ses prédécesseurs et sur (le monument) qu'il se préparait à Béit-Khallaf, selon les errements anciens. Or les talus du mastaba se rapprochaient trop de la perpendiculaire pour qu'avec l'appareil de petits blocs cher à son temps, il pût les monter à la hauteur voulue sans qu'ils risquassent de s'écrouler sous leur propre poussée. C'est afin d'éviter ce danger qu'il les étreignit entre les quatre doublures graduées : celles-ci, les étayant et s'entretayant elles-mêmes, assurèrent la stabilité de l'ensemble. Cette variante surhaussée et renforcée du mastaba continua d'être à la mode pendant plusieurs générations.
Près d'un siècle et demi après Zosiri, Sanafroui, le premier souverain de la IVe Dynastie, n'y avait pas renoncé. La fausse Pyramide de Méidoum, où il avait élu domicile comme roi de la Haute-Égypte, se compose en effet, de même que la prétendue Pyramide à degrés, de vastes dés de maçonnerie à pans inclinés qui se retirent légèrement l’un sur l'autre : toutefois ils sont carrés au lieu d'être rectangulaires ; on en compte quatre seulement, et leur diminution progressive est un pur caprice d'architecte, que nulle raison de métier ne justifie plus. Le cœur de la fabrique n'est pas en effet de pierre rapportée ; c'est une colline naturelle, d'une solidité à toute épreuve, et la maçonnerie qui la masque est en lits de calcaire superbe. Les quatre cubes décroissants sont indépendants l’un de l'autre, et il est probable que le dernier ne fut jamais achevé.
Après Méidoum, les Pharaons n'eurent plus que des pyramides pendant la durée de l'âge memphite. À mon avis, la pyramide dérive non pas du tertre oblong à talus presque droit et à sommet plat qui est à l'origine du mastaba, mais d'un tumulus de pierre à pentes douces et à terminaison pointue, qui aurait été en usage dans les districts du Nord. Une tradition racontait que le quatrième roi de la Ie Dynastie, Ouennéphés, fut l'auteur de celle qu'on voyait à l'époque grecque près de Kôkômé, et il est possible ; mais la plus ancienne que nous connaissions est à Dahchour, où Sanafroui se l'érigea comme roi de la Basse-Égypte. Dès lors, elle ne constituait pas à elle seule la sépulture entière : une chapelle l'accompagnait avec des magasins souterrains, et un téménos dallé s'étendait à l'entour, qui était protégé par une enceinte carrée ou rectangulaire. Une chaussée reliait le tout à un temple situé dans la ville royale, vers la lisière des terres cultivées. Les appartements du double se dissimulaient dans la pyramide ou sous elle ; lui-même, il recevait ses revenus dans la chapelle annexe, et, comme dieu vivant, il était associé aux autres dieux dans le temple de la cité. 

On sait ce que sont les pyramides. Le monceau de pierres qui les compose s'assied sur base carrée, les faces aux points cardinaux comme celles des mastabas, et sans plus d’exactitude que dans la plupart de ceux-ci. Leur hauteur varie de 146 m. 50 chez Chéops à 22 mètres chez Ounas ; mais, quelles que fussent les dimensions de chacune, le plan général était tracé une fois pour toutes avant la mise en train. et on se proposait de le poursuivre sans altération jusqu'à l'achèvement. Il arrivait pourtant qu'on le remaniât au cours des travaux et que les proportions de l'ensemble fussent élargies, ce qui amenait des changements dans l'agencement de l'intérieur : il en fut ainsi probablement de Chéphrên et de Mycérinus, tandis que Chéops paraît avoir été bâti d'une seule venue, sur le site d'un tombeau plus ancien dont il engloba les éléments dans une maçonnerie grossière, qu'il habilla d'un parement de gros blocs. 
Ces repentirs dans l'exécution se remarquent surtout sous la IVe Dynastie, au temps où la formule constructive n'avait pas été fixée encore par une expérience suffisante, et où les architectes se laissaient entraîner à oser plus peut-être qu'il n'était bon pour la solidité de leur œuvre. Ceux de Chéops, afin d'éviter que le caveau ne s'écrasât sous le poids de cent mètres de pierre, avaient ménagé au-dessus de lui cinq chambres de décharge superposées le long de l'axe médial : cet artifice, qui rejetait de lui sur les faces latérales le plus fort de la pression centrale, le sauva en effet, mais il ne fut pas renouvelé dans la suite. 
À partir du milieu de la Ve Dynastie, la plupart des pyramides présentent un plan presque uniforme, qui, réduisant les dimensions, n’en assura pas moins l'inviolabilité de la momie (fig. 76). 
Un couloir incliné, affleurant au sol sous le milieu de la face Nord et dissimulé par le parement de la cour, juste au ras de la première assise, puis une salle d'attente à plafond bas, un corridor horizontal barré presque en son milieu par des herses de granit, un vestibule qui communique, à droite avec la chambre du sarcophage, à gauche avec un serdab où un magasin à provisions : le vestibule et la chambre du sarcophage sont coiffés d'un toit pointu consistant en trois assises de poutres en calcaire, accotées par le haut. Parfois les superstructures étaient constituées entièrement par de gros blocs en calcaire fin, comme chez Ounas ; le plus souvent, elles ont un noyau de calcaire grossier extrait de la montagne voisine et seulement habillé de calcaire fin.
Si peu capables que les figures géométriques soient à l'ordinaire d'éveiller un sentiment ou de procurer une jouissance d'art, la pyramide telle que les Égyptiens l'ont réalisée sur le terrain ne manque jamais d'émouvoir profondément qui l’aperçoit pour la première fois."