Le texte choisi ici est extrait de l’Encyclopédie du dix-neuvième siècle : répertoire universel des sciences des lettres et des arts, avec la biographie et de nombreuses gravures, Tome 19, 1870-1872
Tableau de John Varley, 1873 |
Les habitations de tous les peuples primitifs ont affecté une forme plus ou moins conique. Nous pourrions citer ici de nombreuses preuves tirées des écrits des historiens de tous les temps ou des récits des voyageurs modernes qui ont visité les peuplades sauvages ; mais toute cette érudition occuperait beaucoup de place, absorberait le temps du lecteur et n'aboutirait qu'à constater un fait sans l'expliquer ; nous aimerions mieux chercher la raison du fait pour voir s’il pouvait en être autrement. Une protection contre la pluie et le vent, un obstacle entre l’homme et les dangers extérieurs qui le menaçaient, voilà à peu près tout ce qu'on cherchait dans les premières habitations, qui devaient nécessairement s'exécuter par des procédés d'une extrême simplicité.
Il y avait une manière de vaincre facilement les difficultés de cette première construction, une manière trop simple pour que l'idée n'en vînt pas à l’esprit et pour qu'on ne l'adoptât pas avec empressement : quelques cannes, pieux ou branches élagués, plantés en rond, rapprochés par leurs sommets et liés avec des des roseaux ou de petites branches flexibles, offraient un bâti qu'il était ensuite très facile de compléter en le couvrant d'un revêtement d'écorce d'arbre, de gazon, de terre détrempée, avec ou sans mélange d’herbes ou de petits cailloux, etc.
La matrice commune de tous les styles d'architecture dans le cône et ses variétés
Voilà la première habitation, un cône : rien de plus simple, comme on voit, et, cependant de cette forme élémentaire sont sortis comme du sein de leur mère commune, toutes les maisons de nos villes, tous les palais de nos grandes cités, les édifices où s’assemblent nos législateurs et les forteresses qui protègent nos soldats.
L'architecture entière est sortie de ces germes, et toutes les lignes essentielles et fondamentales qui se rencontrent dans les mille variétés architectoniques exécutées par les hommes se retrouvent toutes dans la matrice commune de tous les styles d'architecture, dans le cône et ses variétés.
Tous les peuples primitifs ont exécuté de grands travaux de forme pyramidale ; la plupart de ces monuments sont composés d'un noyau intérieur en terre, qu’on a ensuite revêtu d'une maçonnerie formée tantôt de pierres irrégulières et tantôt de pierres équarries : on en trouve dans l'lnde, dans presque tous les pays de l'Europe, dans l'Asie Mineure, en Égypte et jusque dans les deux parties du nouveau monde. Ces constructions pyramidales sont quelquefois à base circulaire, mais les plus importantes sont à base carrée ; tantôt les surfaces latérales sont lisses du haut en bas, et tantôt elles offrent l'aspect d'escaliers gigantesques : il s'en trouve qui sont faites de pierre calcaire, de granit, de marbre et de briques.
De tous les monuments de forme pyramidale, ceux de l'Égypte sont les plus célèbres à tel point même que, pour la masse du public, le mot ‘pyramide’ désigne spécialement ces monuments.
Les pyramides de l'Égypte furent de tout temps un sujet d'étonnement pour les étrangers et de triomphe pour les Égyptiens. On en compte encore une cinquantaine dans la basse Égypte, et autrefois il y en avait certainement plusieurs centaines dans l'Égypte entière. Hérodote parle assez longuement des pyramides, ainsi que Diodore de Sicile et plusieurs autres écrivains de l'antiquité. Les modernes ont voulu attribuer à ces monuments toutes sortes de destinations : des philologues, faisant dériver ‘pyramide’ de ‘puros’, froment, ont voulu qu'elles fussent des greniers à blé ! les greniers de Joseph ! Singuliers greniers que ces masses presque sans vide intérieur ; d'autres, en raison de l'orientation régulière des pyramides, y ont reconnu des observatoires, des gnomons, des monuments astronomiques ; d'autres encore y ont vu des édifices religieux élevés en l'honneur du soleil ou du printemps fécondant.
O'Brien, auteur irlandais, y voit le symbole religieux du principe femelle et poursuit jusqu'à l'indiscrétion le développement de son hypothèse ; enfin, il y a vingt ans environ, M. de Persigny soumit au jugement de l'Académie un mémoire dans lequel l'auteur considérait les pyramides comme des constructions qui se rattachent toutes à un plan unique, plan qui aurait eu pour objet de protéger les parties cultivées de la vallée du Nil contre l'invasion des sables du désert : il s'efforçait d'abord de prouver que ces gigantesques monuments, bien qu'ayant servi de sépultures aux souverains qui les firent élever, avaient pour principale destination celle qui vient d'être indiquée, destination justifiant suffisamment les sommes immenses employées dans leur construction. On reconnaîtrait, suivant M. de Persigny, en examinant les directions de la vallée principale et des vallées secondaires, ainsi que la direction des vents dominants, que les pyramides de l'Égypte et de la Nubie ont chacune l'emplacement, l'orientation et les dimensions convenables pour représenter en quelque sorte les aiguilles d'un barrage unique. Ce barrage discontinu, il est vrai, se trouve disposé de telle sorte que son action n'aurait pas été moins efficace contre l'envahissement des sables qu'un barrage continu que les circonstances topographiques rendaient évidemment impossible. L'Académie ne se prononça pas définitivement sur la conception de M. de Persigny, qui présentait au moins ces deux caractères favorables, de ne pas nier l'objet spécial des pyramides, qu'on sait, à n'en plus douter, avoir été des tombeaux, et de présenter une vue d'unité et d'ensemble d'un grand peuple.
Un noyau formé d’une élévation naturelle du terrain, qu'on a ensuite enveloppé d'une série successive de chemises de pierres
Quant aux dépenses des pyramides, on s'en exagère peut-être l'importance : la plupart du temps, leur noyau est formé d'une élévation naturelle du terrain qu'on a ensuite enveloppé d'une série successive de chemises de pierres, jusqu'à ce que l'ensemble eût atteint les dimensions voulues.
Quant aux détails d'art, bas-reliefs, moulures, ornements, statues, etc., il n'y en avait guère, et assurément les tombeaux de certains empereurs romains ont dû coûter beaucoup plus que les pyramides égyptiennes. Qu'on se rappelle d'ailleurs ces paroles de Diodore de Sicile, et on sera moins surpris que les pyramides ne soient que de simples tombeaux.
“Ils ne pensaient pas (dit l'historien) que la fragilité du corps pendant sa vie méritât de solides habitations ; aussi ne regardaient-ils le palais des rois que comme une hôtellerie appartenant successivement à tous et où chacun ne faisait qu'un instant de séjour. Mais leurs tombeaux, ils les considéraient comme leur véritable et particulière demeure, comme leur domicile fixe et perpétuel, et ils n'épargnaient rien pour rendre indestructibles des monuments qui devaient être les dépositaires éternels de leurs corps et de leur mémoire.”
Parlant du tombeau d'Osymandyas, composé de plusieurs chambres, le même auteur rapporte qu'on y lisait cette inscription : “Si quelqu'un veut savoir où je repose, il faut qu'il détruise quelques-uns de ces ouvrages.” On ignorait, en effet, dans quelle chambre reposait le corps d'Osymandyas. Avec de telles idées, il n'est pas surprenant que les rois égyptiens aient fait de grandes dépenses pour leurs tombeaux.
Nous donnerions volontiers de plus amples détails sur les pyramides de l'Égypte, de la Nubie, etc.; nous ferions avec plaisir la comparaison de ces monuments avec ceux de même nature élevés en Asie, en Europe et en Antique ; nous rapporterions les découvertes récentes faites dans les grandes pyramides de l'Égypte par le colonel Howard Wyse et autres ; mais nous devons nous restreindre et renvoyer aux ouvrages spéciaux : au deuxième livre d'Hérodote, intitulé ‘Euterpe’ ; à la ‘Description des pyramides” de Grobert ; au grand ouvrage d'Égypte, aux ‘Éclaircissements sur le cercueil de Mycerinus’ de M. Ch. Lenormant ; au ‘Voyage à Méroë” de Gaillaud ; à l'article ‘Pyramide’ du ‘Dictionnaire historique d'architecture de M. Quatremère de Quincy, etc.
Nous ajouterons cependant, pour satisfaire une curiosité légitime, qu'on ne saurait fixer une époque exacte et citer l'auteur certain de la construction de chacune des pyramides d'Égypte : les anciens eux-mêmes se contredisaient sur ces points ; cependant les rois auxquels on les attribue se sont succédé presque immédiatement, de telle sorte que tous rentrent dans la limite de deux siècles environ, ce qui détermine la date au moins approximative de ces monuments.
Les trois pyramides égyptiennes les plus importantes qui nous restent sont celles de Ghizé, attribuées aux rois Chéops, Chephren et Mycerinus ; la pyramide de Chéops, la plus grande de toutes, occupe le plateau d’un rocher qui s'avance comme un isthme vers la plaine, situation ajoutant beaucoup à son effet imposant. Sans compter la hauteur du plateau, qu'Hérodote évaluait à 33 mètres environ, la pyramide elle-même, qui est comme les deux autres, à plan carré, doit avoir eu 146 mètres 18 cent. de hauteur car, bien que découronnée, elle mesure encore 145 mètres de hauteur, et, par I’inclinaison des faces, on peut apprécier ce qui manque. (...)
Ajoutons qu'en Amérique, dans le Yucatan, on trouve des terrasses immenses formant des troncs de pyramides et construites, suivant toutes les probabilités par les habitants du pays, antérieurement à l'arrivée des Espagnols, et qu'il en est une ayant jusqu'à 500 mètres de côté.”