mercredi 7 juin 2017

“Des édifices monstrueux, construits en entier de pierres taillées, sans le secours de nos machines” (Gottfried Gabriel Bredow - XVIIIe-XIXe s. - à propos des pyramides égyptiennes)

L’écrivain allemand Gottfried Gabriel Bredow (1773-1814) a été professeur d'histoire au collège d'Eutin, puis dans les universités d'Helmstaedt, de Francfort-sur-l'Oder et de Breslau. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire ancienne, dont Les éléments de l'histoire générale simplifiés : à l'usage des écoles primaires et Histoire universelle à l'usage de la jeunesse.
Quoique destinés à de jeunes lecteurs, ces ouvrages contiennent quelques détails techniques qui, tout en restant flous, concernent les techniques de construction censées avoir été utilisées par les anciens Égyptiens pour le transport des pierres par voie d’eau et l’aménagement de l’intérieur de leurs monuments (des corridors, des chambres, mais pas de portes ni de fenêtres !)
Les textes qui suivent sont extraits de ces deux manuels, dans leur traduction proposée par Jean-Louis Moré.

Tableau de Charles-Louis Balzac - 1809
Nous ne connaissons que peu de chose de ce qui se passa dans les temps les plus reculés ; encore le peu que nous en connaissons est-il incertain. Les événements les .plus anciens dont nous ayons jusqu'à un certain point des notions à peu près sûres ne vont guère au-delà de mille années avant la naissance de Jésus-Christ : ce qui est antérieur à cette époque, ou est complètement fabuleux on tellement mélangé de fictions que l'on n'en peut distinguer la vérité.
L’Égypte seule, remarquable par sa constitution naturelle, a conservé des monuments de l'art humain qui sont les plus anciens. (...)
L'Égypte manquait de bois et de métaux ; mais on y trouvait une quantité considérable de pierres dans les montagnes, frontières de l'est. C'est de là que furent tirés les monstrueux blocs de pierre appelés ‘Obélisques’, et les masses nommées ‘Pyramides’, qui comptent plus de 5000 ans.
Les obélisques sont des colonnes carrées, se terminant en pointe, d'un seul bloc ; ils ont de cinquante à cent quatre-vingts pieds de longueur : quatre de ces anciens obélisques se trouvent maintenant à Rome. 

Une île autour de laquelle un canal conduit les eaux du Nil

Les pyramides sont des édifices carrés, d'une dimension gigantesque ; elles s'élèvent sur une large base ayant des faces inclinées, construites en pierre calcaire ; les pyramides ont une hauteur de deux cents à huit cents pieds, et reposent en outre sur des élévations ; au centre de ces élévations se trouve une île autour de laquelle un canal conduit les eaux du Nil. Il existe au-dessus et au-dessous du sol des pièces et des couloirs, mais point de fenêtres.
Ces immenses édifices étaient les lieux où on déposait les morts, après les avoir embaumés. On enlevait à ces corps toutes les parties d'une corruption facile, et on les remplaçait dans l'intérieur par des baumes extrêmement forts ; on recouvrait ensuite l'extérieur d'une matière du genre de la poix et transparente ; ainsi préparés, on les appelait momies ; il s'en est conservé jusqu'à nous, qui ont maintenant 3000 ans.

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Il n'existe, en Égypte, point d'autres maisons que celles construites avec des briques ou des pierres taillées ; on n'a aucune relation qui constate qu'il y en ait eu d'autres, même dans les temps les plus reculés. L'observation que l'argile et la terre glaise délayées dans l'eau sont un mastic liant et excellent, avait été faite depuis fort longtemps ; aussi s'en servit-on dès lors pour cimenter ensemble et les pierres et les briques. Malgré les travaux pénibles qu'exige la coupe des pierres, les Égyptiens ont laissé des monuments durables de ce que, sans beaucoup d'art, la patience des hommes parvient à exécuter.
Ils élevèrent dans des temps reculés, bien au-delà de mille années avant la naissance de Christ, par conséquent plus de 3.000 ans avant notre époque, des édifices monstrueux, construits en entier de pierres taillées, et tout cela sans le secours de nos machines. Plusieurs de ces édifices gigantesques se sont conservés ; ils excitent encore l'étonnement des voyageurs. Les plus remarquables sont les Pyramides, édifices carrés dont les murs de pierre fuient en s'élevant. Le plus grand d'entre eux a 2.640 pieds de circonférence et 500 pieds d'élévation ; il est donc plus haut qu'aucune des grandes tours d'Europe.
Si l'on pouvait déjà, il y a plus de 3.000 ans, élever de semblables édifices, on peut en conclure que l'art de construire des bâtiments en pierre date des temps les plus reculés. (...)

Les mains de l'homme et une persévérance patiente

Les bois et les métaux manquent presque entièrement en Égypte, mais on y trouve en revanche un grand nombre de pierres et de rochers, surtout vers l'orient sur les frontières de l'Arabie. Les maisons égyptiennes étant toutes en briques ou en pierres taillées, ainsi que nous l'avons vu, le peuple égyptien fut le plus ancien qui posséda l'art de construire des édifices solides. Malgré cela, les Égyptiens n'avaient point tous les instruments dont nous nous servons pour édifier nos maisons ; les mains de l'homme et une persévérance patiente les remplaçaient. Et avec des moyens si bornés ils élevèrent cependant à une époque inconnue leurs obélisques et leurs pyramides gigantesques. (...)
Les pyramides, comme je l'ai déjà dit, étaient gigantesques. On en voit encore quarante de différentes grandeurs. Elles sont construites en pierres calcaires posées les unes sur les autres, sans être liées avec de la chaux ou du mortier ; elles demeurent unies par leur propre poids. On a également dû tirer les pierres dont elles sont construites des carrières de l'Orient ; ces matériaux chargés sur des radeaux ont suivi la route des canaux et du Nil, pour arriver sur la place où ils ont été entassés à des hauteurs incroyables de 500 et même de 800 pieds.
Ces édifices ne furent point élevés dans des plaines, mais sur des collines que le fleuve n'atteignait pas dans ses inondations. Il fallut aplanir le sol dans une circonférence de près de 1500 pas, puis l'entourer d'une digue, pour pouvoir conduire les quartiers de rochers sur la colline. On éleva ensuite des terrassements en guise d'échafaudage, pour amener de nouvelles pierres sur la première couche ; les terrassements suivirent l'exhaussement de la pyramide, jusqu'à son sommet. Ce ne fut que quand elle fut terminée qu'on enleva les terrassements entassés sur les quatre côtés.
On trouve qu'au-dessous des plus grandes pyramides, les collines ont été profondément creusées, pour y construire des réduits, de manière à faciliter le transport jusqu'au pied de l'édifice par des canaux.

La plus grande infamie consistait à n'être pas enterré avec solennité

Le seul récit de ces travaux merveilleux frappe d'étonnement ; on admire la force et la constance des hommes qui parvinrent à les achever. Ce qu'on ne saurait comprendre, c'est la destination de semblables masses de pierres, percées à la vérité de corridors et renfermant des chambres, mais sans portes ni fenêtres. N'aurait-on si péniblement entassé ces masses énormes que pour en faire des tombeaux, ainsi qu'on le raconte ? L'esprit et le caractère de la nation égyptienne différaient tellement de notre manière de penser et de nos mœurs que nous ne pouvons asseoir aucun jugement à cet égard. Beaucoup de choses prouvent cependant le respect tout particulier que cette nation entretenait pour les morts ; aussi embaumait-on à grands frais les corps qu'on conservait ensuite comme momies. Dans les banquets, la momie d'un ami était placée auprès des convives, la table était garnie des portraits en bois des défunts. La plus grande infamie consistait à n'être pas enterré avec solennité. Il existait en Egypte un tribunal des morts, composé de quarante juges. Avant la sépulture, ce tribunal écoutait toutes les plaintes portées contre le défunt et décidait ensuite si le mort avait ou non mérité par sa bonne conduite dans ce monde les honneurs des funérailles. Les rois eux-mêmes n'étaient point exemptés d'êtres jugés par ce tribunal, et plus d'un souverain de l'Égypte, qui durant sa vie avait mal gouverné, fut ensuite condamné par son peuple à demeurer sans sépulture. Les Égyptiens avaient aussi la fausse croyance que tant que le corps, quoique privé de vie, se conservait entier, l'âme y demeurait attachée. Du reste, en songeant à ce que la folie de la mode peut parmi nous, et combien la vaine gloire nous porte à vouloir surpasser les autres dans tout ce que nous considérons comme grand, comme beau, nous comprendrons facilement comment les rois d'Égypte purent user, ou plutôt abuser de leurs sujets, en les occupant à élever ces édifices colossaux, qu'ils se préparaient pour mausolées.