extrait de la "Description de l'Égypte" |
Les trois principales Pyramides connues des voyageurs sont à environ neuf milles du Caire. Je ne parlerai ici que de la plus grande des trois. Sa description suffira pour donner une idée des autres. D’ailleurs tant d’écrivains modernes en ont parlé que je ne pourrais que tomber dans des répétitions inutiles.
Cette Pyramide est située sur le haut d’une roche, dans le désert des sables de l’Afrique, à un quart de lieue de distance, vers l’ouest des plaines d’Égypte. Elle forme un carré dont chaque côté de la base a six cent soixante pieds ; le circuit total est par conséquent de deux mille six cent quarante pieds, et la superficie occupe soixante douze mille six cents pieds de terrain, c’est-à-dire douze mille cent toises carrées. (...)
Le massif de cette amas énorme de pierres, pris dans son total, est de trois cent treize mille cinq cent quatre-vingt dix toises cubes. Parmi ces pierres, il y en a d’une grandeur extraordinaire. Plusieurs portent trente pieds de long sur quatre d’épaisseur, et trois de largeur. Le tout était anciennement revêtu de marbre à l’extérieur, et couvert de différentes figures hiéroglyphiques.
Une montée qu’on ne peut regarder sans admiration
Pénétrons maintenant dans l’intérieur de ce vaste tombeau. Au commencement du chemin qui va en montant, on rencontre à main droite un grand trou, où l’on peut aller quelque temps en se courbant. À la fin on éprouve de la résistance ; ce qui fait croire que ce n’a jamais été un passage, mais que cette ouverture s’est faite par la longueur du temps. Après qu’on s’est glissé par ce passage étroit on arrive un espace où l’on peut se reposer, et l’on trouve deux autres chemins, dont l’un descend, et l’autre monte : à l’entrée du premier, il y a un puits qui, à ce qu’on dit, conduit dans une grotte à la distance de soixante-sept pieds, après quoi on trouve un chemin creusé dans le roc, plein de sable et d’ordures. Lorsqu’on est revenu de ce premier chemin, qui est à main droite, on entre à gauche dans un second qui a vingt-sept toises de long. Il y a des trous à chaque pas pour y mettre les pieds. Les curieux qui vont visiter les Pyramides doivent être obligés à ceux qui ont fait ces trous : sans cela il serait impossible de monter en haut, et encore faut-il être alerte pour en venir à bout, à l’aide du banc de pierre qu'on tient ferme d’une main, pendant que l’autre est occupée à tenir un flambeau. Outre cela il faut faire de fort grands pas parce que les trous sont éloignés de six paumes l’un de l’autre.
Cette montée qu’on ne peut regarder sans admiration peut passer pour ce qu’il y a de plus curieux dans cette Pyramide. Les pierres qui en composent les murailles sont unies comme une glace, et si bien jointes les unes aux autres qu’on dirait que ce n’est qu’une seule pierre. Il en est de même du plancher sur lequel on marche, et le plafond est dans le même goût. Ce chemin qui mène à la chambre des sépulcres persuade que ce n’était point là la véritable entrée de la Pyramide : sans doute que celle qui conduisait à cette chambre était plus aisée et plus large. Si les Pyramides étaient les tombeaux des anciens Rois, il fallait qu’on eût ménagé une route plus commode pour y porter les corps, car comment les faire passer par un chemin où l’on ne peut marcher qu’en grimpant ? Si nous en croyons Strabon, on entrait dans la grande Pyramide en levant la pierre qui est sur le sommet.
Au bout de la montée on entre dans une chambre au milieu de laquelle est un sépulcre vide, taillé d’une seule pierre, qui, lorsqu’on frappe dessus, rend un son comme une cloche. La largeur de ce sépulcre est de trois pieds et un pouce, la hauteur de trois pieds quatre pouces, et a longueur de sept pieds et deux pouces. Il est tout nu, sans ornements, sans couverture, sans balustrade ; soit que tout cela ait été rompu, soit qu’il n’y en ait jamais eu. Le Roi qui a fait construire cette Pyramide n’y a point été enterré.
Une petite chambre carrée qui ne sert qu'à se reposer
Pour en visiter les dehors, on monte par les degrés dont j’ai parlé, en reprenant de temps en temps haleine. Environ à la moitié de la hauteur, à un des coins du côté du nord, qui est l’endroit où on peut monter avec moins de peine, on trouve une petite chambre carrée, où il n’y a rien de curieux à voir, et qui ne sert qu’à se reposer, ce qui n’est pas inutile. (...)
Toutes les Pyramides en général ont une ouverture qui donne passage dans une allée basse, fort longue, et qui conduit à une chambre où les anciens Égyptiens mettaient les corps de ceux pour lesquels les Pyramides étaient faites. Si l’on ne voit pas, c’est qu’elles sont bouchées par le sable que le vent y a apporté. Dans toutes, il y a des puits profonds, carrés et taillés dans le roc. Cependant celui de la grande Pyramide, dont Pline fait mention, et qu'on voit encore de nos jours, n’a tout au plus que quarante pieds de profondeur. Ces puits servaient probablement d’entrée aux souterrains. Il y en a de semblables dans les grottes qu’on voit dans le voisinage des Pyramides. (...)
D’anciens auteurs disent que cent mille ouvriers furent occupés en même temps à la construction de la grande Pyramide ; et qu’ils étaient relevés par un pareil nombre de trois mois en trois mois. Dix années entières furent employées à tailler et voiturer les pierres ; et il fallut vingt ans pour achever l’ouvrage. (...)
L'idée "très simple et très juste" d'Hérodote
Quelques modernes se sont épuisés en raisonnements et conjectures pour expliquer par quels moyens les Égyptiens ont pu élever de pareilles masses à la hauteur à laquelle ils les ont portées. Il est cependant bien facile, d’après Hérodote, de se faire une idée très simple et très juste de la manière dont les Pyramides ont été construites. Selon cet historien, elles étaient composées de différentes assises de pierres qui diminuaient successivement de largeur suivant que l’exigeaient les proportions de l’édifice. L’assise inférieure débordait donc toujours celle qu’on élevait immédiatement au-dessus, ce qui formait une espèce d’escalier. Ainsi on voit qu’il ne fallait que du temps et de la patience pour élever les plus grosses pierres à telle hauteur que ce fût. Une machine fort simple, faite en forme de bascule ou de levier, très facile à manier selon Hérodote, et posée sur la première assise, servait à y élever les pierres destinées à la construction de la seconde. Celle-ci construite, on y établissait une machine toute semblable, et ainsi de suite. Car il restait toujours sur chacune des assises déjà construites une ou plusieurs machines qui servaient à élever successivement les pierres de degrés en degrés. En réitérant cette manoeuvre, on parvenait à transporter facilement les matériaux au plus haut de l’édifice ; et cette opération est assez naturelle et même expéditive. Quant au revêtement extérieur qui originairement était en carreaux soit de marbre, soit de briques, il est sensible qu’on aura commencé par le haut en descendant toujours jusqu’au pied. Telles étaient les fameuses Pyramides d’Égypte qui, par leur solidité autant que par leur grandeur, ont triomphé du temps et des barbares, à l’exception du marbre que l’avidité des Arabes a fait disparaître.”