Dans ses Diverses leçons, suivans celles de Pierre Messie et du sieur de Vauprivaz (1604), Loys Guyon, sieur de La Nauche, conseiller du Roi, se réfère à la lointaine histoire des Pharaons bâtisseurs pour étayer ses conseils destinés au roi de France (Henri IV ?).
La leçon est claire, en dépit de quelques obscurités dues au style de l’époque (il m’a paru toutefois préférable de garder le texte dans sa version originale) : en construisant les pyramides, les monarques égyptiens cherchaient à immortaliser leur nom et leur périple terrestre. Mais du point de vue de Louis Guyon, le flou le plus total règne sur l’histoire des mausolées royaux de l’ancienne Égypte : on ne sait pas avec exactitude quand les pyramides ont été construites ; on ignore également les “noms et qualités” de leurs bâtisseurs.
Utilisant cette histoire comme contre-exemple, l’auteur-conseiller recommande plutôt au souverain de France d’autres réalisations et constructions, plus utiles à son peuple, pour pérenniser sa sage gouvernance.
“Que diray-je des trois pyramides et Sphynx d’Egypte, qui sont mises entre les sept merveilles du monde ? Que pour en bastir une seule, il cousta la vie à plus de cent mil hommes, qui ne furent jamais faites que pour eterniser la memoire de ceux qui les faisoient edifier, et mesme je pense que les autres deux furent cause du mesaise et de la mort de beaucoup d’hommes, outre les precedens.
Les autheurs, tant anciens que modernes, qui en ont escrit, ne sont d’accord ny du tems, ny des personnes qui les ont faites. Ceux qui habitent sur les lieux en sçavent moins que nous, car ils disent que de pere en fils, ils sçavent que la plus grande fut bastie par un Cleophe Pharaon, id est Roy d’Egypte ; la seconde, par Chebree, frere du premier ; la tierce par Aschis.
On peut entrer dans la plus grande, et en une chambre on y voit encor aujourd’huy un coffre de marbre grisastre, sans couvercle, dans lequel estoit, comme ie presuppose, le corps embaumé de celuy qui la fit edifier, qui n’y est pas à present, dont on peut penser qu’il a esté frustré de sa pretension vaine, estimant qu’il demeureroit là iusqu’au iour de la resurrection : combien qu’il fust idolatre : et avant Moyse, ou pour le moins du temps, ou prochain, et pourroit estre que ce corps auroit servy de medecine à quelques hommes meurtris, ou a des oyseaux, chiens ou chevaux, comme l’on fait des autres corps Mumiez, que l’on aporte d’Egypte par deça, et ailleurs.
Aucuns tiennent que c’est le sepulchre d’une tres belle courtisane, qui s’appelloit Saphon, qui composoit fort bien en vers, et qu’il avoit esté fait par ceux qui luy avoyent fait l’amour. D’autres ont opinion que Rodoppé, une autre diablesse de courtisane, tant renommee, fut enterree là par un Roy Egyptien.
Herodote escrit qu’une des pyramides fut bastie par un Cleophas, et ie pense qu’il entend ce Cleophas duquel nous avons parlé, et qu’il dependit tous ses thresors, les moyens et la vie de ses suiets, et ne la pouvant parachever, commanda à sa fille de se prostituer, exposer son honneur au plus offrant ; ce qu’elle fit,, requerant à un chacun qui venoit devers elle, luy donner une pierre. C’est celle qui est au milieu des trois, vis à vis de la grande, portant en chacun front cent cinquante pieds.
Or voila un bel honneur à ce Roy, pour eterniser sa memoire, prostituer sa fille, combien que ie croye que ce soyent fables.
Par ainsi, ces bastisseurs de pyramides sont frustrez de leur immortelle renommee, car on se sçait pour asseuré ny leurs noms, ny leurs qualitez, ny en quels temps elle furent basties. Autant en faut-il entendre des superbes murailles de Babylonne Caldaïque, desquelles il ne s’en voit pour le iourdhuy une seule pierre, et encor moins de son bitume ; et les iardins bastis sur des arches, et ponts faits sur le fleuve d’Euphrate. C’est assez parlé des trop somptueux edifices, qui ont cousté la vie et ruyne de ceux qui les ont fait bastir. Il faut dire maintenant comme les Monarques, Roys et autres Princes doivent bastir pour immortaliser leurs noms, non seulement en ce bas monde, mais par dessus tous les cieux, de quoy i’ay voulu faire un chapitre à part, afin que cestuy-cy ne fust ennuyeux au lecteur pour estre trop long et fascheux.
Comme les Princes pourront bastir pour immortaliser leurs noms sans souler le peuple
Le Prince voyant son Royaume sans guerre, non endebté, ne se doit mettre à bastir pour faire parler de luy apres son decez, comme les flatteurs de Cour leur persuadent, et comme les tyrans ont coustume de faire, mais plustost doit acquerir l’amour de son peuple par bienfaits, menant une vie vertueuse. Puis si son naturel s’incline à bastir, il doit adviser quelque lieu, ou quelque Temple ou Eglise qui seroit ruinee, et pourtant necessaire, ou un hospital, un pont, rendre seurs les chemins des voleurs, ou faire bastir des phares ou lanternes pour donner conduitte aux navigeans sur mer : cer ce sont ceux qui enrichissent les Royaumes, si on y tient l’oeil et police.
Comme sceut tres bien faire Ptolemee Philadelphe Roy d’Egypte, qui pour asseurer les navigeans sur la mer Alexandrine, fit bastir un tres haut phare ou lanterne, et un beau et fort chasteau tout aupres pour asseurer le port, qu’on voit encores auiourd’huy en son entier, pour tenir ceste coste de mer en crainte des Pyrates, qui faisoyent auparavant dix mil extorsions aux marchands ; et aussi pour donner guyde et conduitte de nuict, par le phare : car ceste mer est tres dangereuse des escueils ou rochers, bans, sables et autres choses qui s’y trouvent, et y voulut estre enterré.
Sostrate Gnidien, grand Architecteur, fut deputé pour faire bastir toutes ces choses, et ne voulut imiter les Pharaons ses predecessseurs, qui avoyent tant travaillé à faire faire si grandes montaignes de pierres et de briques, desquels on ne sçait le nom, ny de colosses, ny de palais somptueux, mais fait bien bastir un beau logis et spacieux, ou entre autres sales y en avoit une tres grande, remplie de livres de toutes sciences, histoires, ou autres, et de diverses langues ; et combien qu’il ne fust Iuif, et qu’il n’eust la cognoissance du vray Dieu, si voulut il avoir la saincte Bible, ou vieux testament, pour l’y mettre, et la fit traduire en langue Grecque, et l’admira bien. Il retira aupres de soy tous les plus doctes personnages qu’il peust sçavoir, et les entretint avec grands frais. Cestuy s’est immortalisé qui estoit environ cent quarante deux ans devant la nativité de Iesus, iusqu’à nostre temps.,Les Idolatres, Chrestiens, Mahometans, Mameluts, Grecs, Romains, Persans, bref presque tout le monde la eu, et l’a-on encor en grande admiration : mesmement iusqu’auiourd’huy les Turcs honorent fort sa sepulture, qui est tout contre le phare, et environ l’equinoxe Automnal, les Egyptiens d’apresent chantent durant trois iours et trois nuicts certains hymnes à sa louange, et se festoyent les uns les autres ; et de tous les autres Roys bastisseurs de pyramides, colosses, sphynx, ils n’en font aucune mention.”
Source : Gallica
La leçon est claire, en dépit de quelques obscurités dues au style de l’époque (il m’a paru toutefois préférable de garder le texte dans sa version originale) : en construisant les pyramides, les monarques égyptiens cherchaient à immortaliser leur nom et leur périple terrestre. Mais du point de vue de Louis Guyon, le flou le plus total règne sur l’histoire des mausolées royaux de l’ancienne Égypte : on ne sait pas avec exactitude quand les pyramides ont été construites ; on ignore également les “noms et qualités” de leurs bâtisseurs.
Utilisant cette histoire comme contre-exemple, l’auteur-conseiller recommande plutôt au souverain de France d’autres réalisations et constructions, plus utiles à son peuple, pour pérenniser sa sage gouvernance.
“Que diray-je des trois pyramides et Sphynx d’Egypte, qui sont mises entre les sept merveilles du monde ? Que pour en bastir une seule, il cousta la vie à plus de cent mil hommes, qui ne furent jamais faites que pour eterniser la memoire de ceux qui les faisoient edifier, et mesme je pense que les autres deux furent cause du mesaise et de la mort de beaucoup d’hommes, outre les precedens.
Les autheurs, tant anciens que modernes, qui en ont escrit, ne sont d’accord ny du tems, ny des personnes qui les ont faites. Ceux qui habitent sur les lieux en sçavent moins que nous, car ils disent que de pere en fils, ils sçavent que la plus grande fut bastie par un Cleophe Pharaon, id est Roy d’Egypte ; la seconde, par Chebree, frere du premier ; la tierce par Aschis.
On peut entrer dans la plus grande, et en une chambre on y voit encor aujourd’huy un coffre de marbre grisastre, sans couvercle, dans lequel estoit, comme ie presuppose, le corps embaumé de celuy qui la fit edifier, qui n’y est pas à present, dont on peut penser qu’il a esté frustré de sa pretension vaine, estimant qu’il demeureroit là iusqu’au iour de la resurrection : combien qu’il fust idolatre : et avant Moyse, ou pour le moins du temps, ou prochain, et pourroit estre que ce corps auroit servy de medecine à quelques hommes meurtris, ou a des oyseaux, chiens ou chevaux, comme l’on fait des autres corps Mumiez, que l’on aporte d’Egypte par deça, et ailleurs.
Aucuns tiennent que c’est le sepulchre d’une tres belle courtisane, qui s’appelloit Saphon, qui composoit fort bien en vers, et qu’il avoit esté fait par ceux qui luy avoyent fait l’amour. D’autres ont opinion que Rodoppé, une autre diablesse de courtisane, tant renommee, fut enterree là par un Roy Egyptien.
Herodote escrit qu’une des pyramides fut bastie par un Cleophas, et ie pense qu’il entend ce Cleophas duquel nous avons parlé, et qu’il dependit tous ses thresors, les moyens et la vie de ses suiets, et ne la pouvant parachever, commanda à sa fille de se prostituer, exposer son honneur au plus offrant ; ce qu’elle fit,, requerant à un chacun qui venoit devers elle, luy donner une pierre. C’est celle qui est au milieu des trois, vis à vis de la grande, portant en chacun front cent cinquante pieds.
Or voila un bel honneur à ce Roy, pour eterniser sa memoire, prostituer sa fille, combien que ie croye que ce soyent fables.
Par ainsi, ces bastisseurs de pyramides sont frustrez de leur immortelle renommee, car on se sçait pour asseuré ny leurs noms, ny leurs qualitez, ny en quels temps elle furent basties. Autant en faut-il entendre des superbes murailles de Babylonne Caldaïque, desquelles il ne s’en voit pour le iourdhuy une seule pierre, et encor moins de son bitume ; et les iardins bastis sur des arches, et ponts faits sur le fleuve d’Euphrate. C’est assez parlé des trop somptueux edifices, qui ont cousté la vie et ruyne de ceux qui les ont fait bastir. Il faut dire maintenant comme les Monarques, Roys et autres Princes doivent bastir pour immortaliser leurs noms, non seulement en ce bas monde, mais par dessus tous les cieux, de quoy i’ay voulu faire un chapitre à part, afin que cestuy-cy ne fust ennuyeux au lecteur pour estre trop long et fascheux.
Extrait de la "Description de l'Égypte"
Comme les Princes pourront bastir pour immortaliser leurs noms sans souler le peuple
Le Prince voyant son Royaume sans guerre, non endebté, ne se doit mettre à bastir pour faire parler de luy apres son decez, comme les flatteurs de Cour leur persuadent, et comme les tyrans ont coustume de faire, mais plustost doit acquerir l’amour de son peuple par bienfaits, menant une vie vertueuse. Puis si son naturel s’incline à bastir, il doit adviser quelque lieu, ou quelque Temple ou Eglise qui seroit ruinee, et pourtant necessaire, ou un hospital, un pont, rendre seurs les chemins des voleurs, ou faire bastir des phares ou lanternes pour donner conduitte aux navigeans sur mer : cer ce sont ceux qui enrichissent les Royaumes, si on y tient l’oeil et police.
Comme sceut tres bien faire Ptolemee Philadelphe Roy d’Egypte, qui pour asseurer les navigeans sur la mer Alexandrine, fit bastir un tres haut phare ou lanterne, et un beau et fort chasteau tout aupres pour asseurer le port, qu’on voit encores auiourd’huy en son entier, pour tenir ceste coste de mer en crainte des Pyrates, qui faisoyent auparavant dix mil extorsions aux marchands ; et aussi pour donner guyde et conduitte de nuict, par le phare : car ceste mer est tres dangereuse des escueils ou rochers, bans, sables et autres choses qui s’y trouvent, et y voulut estre enterré.
Sostrate Gnidien, grand Architecteur, fut deputé pour faire bastir toutes ces choses, et ne voulut imiter les Pharaons ses predecessseurs, qui avoyent tant travaillé à faire faire si grandes montaignes de pierres et de briques, desquels on ne sçait le nom, ny de colosses, ny de palais somptueux, mais fait bien bastir un beau logis et spacieux, ou entre autres sales y en avoit une tres grande, remplie de livres de toutes sciences, histoires, ou autres, et de diverses langues ; et combien qu’il ne fust Iuif, et qu’il n’eust la cognoissance du vray Dieu, si voulut il avoir la saincte Bible, ou vieux testament, pour l’y mettre, et la fit traduire en langue Grecque, et l’admira bien. Il retira aupres de soy tous les plus doctes personnages qu’il peust sçavoir, et les entretint avec grands frais. Cestuy s’est immortalisé qui estoit environ cent quarante deux ans devant la nativité de Iesus, iusqu’à nostre temps.,Les Idolatres, Chrestiens, Mahometans, Mameluts, Grecs, Romains, Persans, bref presque tout le monde la eu, et l’a-on encor en grande admiration : mesmement iusqu’auiourd’huy les Turcs honorent fort sa sepulture, qui est tout contre le phare, et environ l’equinoxe Automnal, les Egyptiens d’apresent chantent durant trois iours et trois nuicts certains hymnes à sa louange, et se festoyent les uns les autres ; et de tous les autres Roys bastisseurs de pyramides, colosses, sphynx, ils n’en font aucune mention.”
Source : Gallica