Le premier est Armand von Schweiger-Lerchenfeld (1846-1910), un voyageur et officier autrichien.
Armand von Schweiger-Lerchenfeld |
Le second, présenté comme “contributeur” et “éditeur scientifique”, est Frédéric Kohn Abrest (pseudonyme : Paul d’Abrest) (1850 - 1893), un écrivain et journaliste autrichien, d'origine “bohémienne”, qui acquit la nationalité française.
Leur commun ouvrage comporte trois parties : 1) la Tripolitaine (une région historique de la Libye) ; 2) l’Égypte ; 3) “L'expédition anglaise en Égypte et le soulèvement du Soudan”. Les quelques extraits qui suivent proviennent évidemment de la seconde partie. Ils relatent un voyage effectué par l’officier autrichien (aucune mention, dans l’ouvrage, de ce détail, mais cela semble évident).
Conscients du sempiternel “mystère” qui enveloppe quelques questions sur l’origine et “l’état civil” des pyramides, les auteurs s’attardent plutôt, comme de nombreux “voyageurs” peu avertis de la chose archéologique, sur les impressions et sensations ressenties devant le spectacle grandiose des “véritables symboles de l'antiquité égyptienne”. Puis ils s’aventurent quand même dans quelques considérations plus techniques qu’ils admettent, à tort ou à raison, comme des certitudes - la destination des pyramides (des mausolées) et leur édification par accroissements successifs -, tout en reprenant à leur compte une erreur manifeste, concernant la pyramide de Khéops, “la plus ancienne que l'on connaisse”.
“Pendant les premières heures du trajet d'Alexandrie au Caire, le regard du voyageur contemple avec curiosité le panorama qui se déroule sous ses yeux. Les terres que traverse le railway sont toutes cultivées, mais d'après une méthode qui semble toute nouvelle à l'Européen ; des canaux coulent de tous les côtés, et, sur le haut des digues, l'on découvre les longs convois de chameaux ; des barques aux mâtures élevées glissent sur les eaux, et ce spectacle est complété pour (par ?) la voûte d'azur inaltérable du ciel. Mais ce panorama ne se modifie guère, et le trajet est juste assez bref pour que l'on ne s'aperçoive pas de son excessive monotonie. Il faut cependant noter le grand pont de fer suspendu jeté sur un bras du Nil, à peu de distance de Tanta, dans le premier delta.
Mystère autour de “l’heure créatrice” des pyramides
Quand on a passé le second delta, on commence à apercevoir les véritables symboles de l'antiquité égyptienne, les Pyramides. C'est par la portière d'un wagon que l'on salue aujourd'hui ces respectables blocs de pierre qui résument plus de quarante siècles. Le mystère qui entoure aujourd'hui encore, en dehors des suppositions et des inductions, l'heure créatrice de ces monuments sera-t-il jamais percé à jour ? Leur état civil authentique sera-t-il connu ? Tout ce que nous savons aujourd'hui, c'est que, quatre mille ans avant l'ère chrétienne, un certain Ménès a créé le royaume égyptien et a fondé la ville de Memphis. Ce fut un pharaon du nom de Kakeu qui publia les premières lois, et c'en est un autre, qui s'appelait Hesepti, qui, le premier, divulgua les mystères de la science. Mais un voile épais recouvre diverses périodes de l'histoire d'Egypte ; c'est à peine si quelques points de repère percent à travers ce mystère, comme les pointes des obélisques tout couverts d'or. Et comme les inscriptions de ces monuments, l'histoire de l'Égypte est écrite pour nous en hiéroglyphes indéchiffrables.
Avant de s'abîmer dans le dédale de la ville des califes, l'étranger fera bien de se promener pendant quelque temps parmi les témoignages muets de l'ancienne grandeur égyptienne ; il se préparera ainsi à la transition entre l'Egypte d'autrefois et l'Égypte moderne.
Cliché Francis Frith |
Les pyramides sont trois fois remarquables : d'abord parce quelles prouvent par leur solidité et
par l'importance de leur construction l'énergie et la vigueur d'un peuple qui, avec des moyens très restreints et au prix d'immenses difficultés, a su enfanter des merveilles qui ont défié le temps ; en second lieu, parce que ces mêmes ouvrages témoignent de la puissance et de l'esprit d'entreprise qui a distingué les souverains qui ont régné despotiquement sur les bords du Nil ; enfin, par le but auquel elles étaient affectées, les pyramides constituent un symbole à la fois historique et social, le seul que l'antique Égypte nous ait laissé.
On a beaucoup discuté sur la destination des pyramides ; les uns ont voulu y voir des greniers à blé ; d'autres, des observatoires ; d'autres encore ont prétendu que les pharaons les avaient fait tout simplement édifier pour occuper des bras et nourrir la population. Aujourd'hui, il est prouvé d'une façon irréfutable que les pyramides étaient des mausolées réservés à la sépulture royale. L'œuvre des pyramides se rattache ainsi à une idée qui a de tout temps dominé dans la vallée du Nil : l'immortalité de l'âme.
Selon les vieux Égyptiens, l'âme de tout individu décédé descendait aux enfers ; là, elle était pesée par un préposé spécial. Ce juge décidait si l'âme pouvait être envoyée au ciel, si elle avait encouru la damnation ou si elle devait recommencer sa carrière terrestre.
Les âmes de cette dernière catégorie étaient logées d'abord dans le corps de différents animaux, et ce n'est qu'après de longues pérégrinations, au bout de quelques milliers d'années, qu'elles retrouvaient leur place dans le corps des défunts confiés à la terre. Par conséquent, il fallait conserver ces dépouilles mortelles de telle façon qu'après des siècles l'enveloppe terrestre fût en état de recevoir la vie nouvelle qui devait lui être insufflée. Il fallait d'abord momifier le cadavre ; mais cette précaution elle-même pouvait être insuffisante, si la momie n'était pas mise à l'abri de tout danger de destruction extérieure. Il fallait donc l'enterrer, non dans un simple tombeau, mais dans une véritable forteresse dont toutes les parois seraient complètement murées.
Pas de hauteur réglementaire
Les pyramides offraient toutes les garanties de sécurité et d'impénétrabilité. L'intérieur a des chambres, et l'on y a trouvé des sarcophages. Les noms des monarques enterrés là étaient inscrits sur les murailles. C'est ainsi que l'on s'y est reconnu.
Les recherches ont prouvé qu'il n'y avait pas de hauteur réglementaire normale pour ces édifices. Quand un roi montait sur le trône, il se faisait construire une petite pyramide pour être sûr d'avoir sa sépulture en cas de décès subit ou prématuré. Puis on recouvrait cette enveloppe d'une seconde pyramide qui englobait la première, et on y faisait succéder un troisième, un quatrième et souvent un cinquième revêtement de pierre, jusqu'à ce que le roi mourût, ou que la hauteur du monument fût jugée suffisante.
Aujourd'hui les gigantesques pyramides de rois de la quatrième dynastie (Chafru, Chafra et Menkera) sont privées depuis longtemps de leur funèbre contenu, et cependant l'aspect seul de ces monuments produit sur l'âme une impression indéfinissable, impression solennelle et triste à la fois, surtout si l'on parcourt les innombrables tombeaux qui entourent de toutes parts les pyramides de Gizeh, et lorsque l'œil s'arrête sur le grand sphinx, si célèbre et dont l'âge dépasse encore celui de la pyramide de Chéops, la plus ancienne que l'on connaisse. Cette statue de marbre était consacrée à Horus, dieu du soleil et de la lumière ; sa figure est tournée vers l'est, son vaste corps de lion repose accroupi dans le sable. La croupe et les grosses pattes sont aujourd'hui intactes ; la face, par contre, a été fort maltraitée : elle est à peu près méconnaissable.”
Source : Gallica