Après avoir visité et décrit les pyramides d’Abousir et de Saqqarah (note de Pyramidales), puis porté son attention sur “les dimensions et les formes apparentes” de la Grande Pyramide (note de Pyramidales), l’auteur consacre un long développement à la construction intérieure de cette pyramide “attribuée à Chéops”.
Ses observations sont, somme toute, très classiques, si ce n’est qu’il fait totalement l’impasse sur les superstructures de la Chambre du Roi, dites “chambres de décharge”. Par contre, il accorde une attention particulière à la manière dont les couloirs de la pyramide ont été obstrués et, conséquemment, à la voie suivie par les ouvriers pour évacuer le monument au terme de sa construction.
Cliché de John et Edgar Morton |
Nous parcourûmes ces sombres corridors, et nous visitâmes toutes les cavités intérieures connues jusqu'à ce moment. Nos observations se trouveront résumées dans les détails qu'on va lire.
L'entrée de la galerie est à 45 pieds environ au-dessus de la base de la pyramide, à la face nord-est : les pierres qu'on a brisées pour l'ouvrir forment un talus qui permet d'en approcher sans toucher aux assises du monument.
“Sombres corridors” et “cavités intérieures”
Cette galerie, que je désignerai par le n° 1 pour éviter toute confusion, a trois pieds 5 pouces de largeur sur une hauteur égale ; elle descend avec une inclinaison de 26 degrés dans une longueur de 95 pieds. Elle aboutit à une autre presque semblable ayant 112 pieds de développement : ce sera le n° 2 ; mais l'inclinaison de celle-ci, également de 26 degrés, est ascendante. Un gros bloc de granit la ferme exactement à l'endroit où elle se joint avec la première. Pour ouvrir une communication de l'une à l'autre galerie, il a fallu tourner cet obstacle et briser les pierres moins dures qui forment le massif.
On entre ainsi dans le canal n° 2. Parvenu à son extrémité supérieure, on se trouve sur un palier. À droite existait l'orifice d'un puits très profond, taillé en zigzags dans le rocher et dont l'accès est maintenant interdit. Là commence un couloir horizontal ayant 117 pieds de longueur ; je lui donne le n°3 ; il aboutit à une chambre nommée la chambre de la reine. Elle a 17 pieds 10 pouces de long sur 16 pieds 1 pouce de large ; elle est voûtée en dos d'âne. On y remarque une niche avant 3 pieds de profondeur, 3 de large et 8 de hauteur dans une des parois et du côté oriental.
En sortant de cette pièce, il faut revenir sur ses pas jusqu'au palier. On entre alors dans une autre galerie que nous marquerons d'un n° 4 et qui fait suite au n° 2. Elle se dirige toujours avec une inclinaison de 26 degrés vers le centre de la pyramide.
Elle a 125 pieds de long, 6 1/2 de large et 25 en hauteur ; de chaque côté sont des banquettes de 21 pouces sur 19 dans lesquelles les constructeurs ont pratiqué des mortaises. Huit assises de pierres en encorbellement forment les murs latéraux et la voûte.
Au bout de la grande galerie dont il est question, il existe un second palier où aboutit un autre passage horizontal (n° 5) de 17 pieds 10 pouces de longueur qui conduit à la chambre du roi, laquelle a 32 pieds sur 16 et 18 de hauteur ; la voûte, qui est plate, est composée de neuf pierres ; les sept du milieu ont 4 pieds de large et plus de 16 de long, puisqu'elles portent sur les murs du sud et du nord.
À l'extrémité ouest de la salle est un sarcophage en granit de 7 pieds de long sur 3 de large ayant 3 pieds 6 pouces de profondeur ; son couvercle a disparu. Le diamètre de ce sarcophage est plus considérable que celui du passage n° 5 ; donc, c'est au moment de la construction et avant que les murs de la chambre fussent terminés qu'on l'a mis à la place qu'il occupe. (...)
Où se trouvaient les blocs destinés à boucher les galeries, avant leur emplacement final ?
Cliché de Jon Bodsworth |
M. de Maillet démontre (...) qu'après les funérailles, toutes les galeries furent remplies par des
blocs parfaitement ajustés aux dimensions des emplacements qu'ils devaient occuper.On a garni le canal n° 1 de blocs taillés sur sa hauteur et sa largeur : on les fit glisser par l'ouverture extérieure jusqu'au fond de ce conduit. Quand on examine avec quelle précision les quartiers de granit qui en composent les parois sont joints sans ciment ; quand on reconnaît l'impossibilité d'introduire une lame de canif dans les interstices, on ne saurait douter que le vide n'ait été rempli avec autant de soin et une égale perfection.
Mais les blocs qui furent placés pour les boucher dans les conduits numéros 2 , 3, 4 et 5, ne vinrent pas du dehors. Il y avait impossibilité matérielle à leur passage par le n° 2, puisqu'il est plus étroit à son point de jonction avec le n° 1 que dans le reste de son étendue, et puisque la masse de granit qui le ferme encore a son extrémité inférieure y est retenue par le rétrécissement des parois. Or, puisque l'entrée de ce canal n° 2 n'a pas pu donner passage au bloc qui le termine, il faut bien en conclure qu'il y a été amené de l'intérieur du monument, ainsi que toutes les pierres ou tous les quartiers de granit avec lesquels on avait rempli en totalité ce couloir et ceux n° 3, 4 et 5.
La “prodigieuse intelligence de l'architecte”
Où se trouvaient donc ces matériaux quand les galeries étaient libres ? On les avait suspendus dans la capacité supérieure de la galerie n° 4. Le lecteur a sans doute remarqué que, par exception, celle-ci a 25 pieds de hauteur, 6 1/2 de largeur, sur une longueur de 125 pieds, tandis que les numéros 4,2,3 et 5 n'ont généralement qu'une hauteur et une largeur de 3 pieds 3 pouces. C'était donc pour loger tous les matériaux que ce n° 4 avait de si grandes dimensions ; c'était une espèce de magasin provisoire ; trois ou quatre rangs de pierres taillées dans les proportions nécessaires, s'y trouvaient suspendus et laissaient au-dessous d'eux un passage tant qu'on a eu besoin de communiquer avec la chambre du roi. Mais lorsque l'accès des salles eut été interdit, on a descendu les pierres une à une pour les faire glisser. Les mortaises dont j'ai parlé avaient pour but de faciliter le travail et de protéger les ouvriers par des barres transversales qui retenaient les blocs dans leur marche.
Indépendamment de toutes ces précautions, l'architecte avait ménagé de distance en distance des espaces plus larges que le diamètre des galeries.
Ces espaces ne pouvaient donc être entièrement remplis avec les pierres de la galerie n° 4 ; mais ils l'ont été avec d'autres que les constructeurs avaient attachées à la voûte, au-dessus rnême de ces larges places. Quand le moment fut arrivé de compléter la fermeture, on les a descendues comme une herse ; on peut encore voir les rainures faites exprès dans les parois, pour empêcher les déviations lors de la chute verticale ; on peut voir aussi les cavités supérieures où elles étaient retenues temporairement.
Ces pierres énormes se trouvant plus larges que le canal, entraient à droite et à gauche dans l'épaisseur des parois. Ce devait être aux yeux de l'architecte un obstacle absolu, infranchissable pour ceux qui tenteraient de pénétrer jusqu'aux chambres sépulcrales. Le plus considérable de ces blocs encastrés se trouvait à quelques pieds de l'entrée de la salle du roi. Dernière protection, dernier rempart capable d'arrêter les profanateurs, si quelque chose pouvait protéger un trésor, même imaginaire, contre la cupidité des hommes.
Illustration de John et Edgar Morton |
Je néglige beaucoup d'autres détails qui décèlent aussi la prodigieuse intelligence de l'architecte.
Rien ne saurait donner l'idée de la multiplicité de ses prévisions et de l'étonnante régularité de tous les travaux.
Après avoir expliqué par quel mécanisme ingénieux on était parvenu à remplir les canaux, il me reste à dire comment les ouvriers pouvaient arriver à la galerie n° 4, et comment ils ont pu en sortir quand le passage par le canal n° 1 ou par le n° 2, leur a été interdit.
C'est ici que je dois rappeler à la mémoire le puits taillé dans le rocher, dont l'orifice est près du premier palier au bout du canal n° 2. Il est de forme ovale et n'a que 2 pieds de diamètre. Des entailles irrégulières rendent la descente moins pénible et moins périlleuse qu'on ne le croirait au premier abord. (...)
Voilà quelle fut évidemment la destination du puits; c'était l'issue ménagée pour la sortie des ouvriers chargés de remplir les galeries. (...)
Des explorations plus modernes ont ouvert de nouvelles tranchées dans le corps de la pyramide et découvert trois chambres également superposées comme les deux salles précédemment connues ; peut-être en trouvera-t-on encore d'autres, car les traditions populaires parmi les Arabes en donnent sept à ce monument, et portent qu'elles étaient consacrées à sept planètes.
“Des règles uniformes (de construction) imposées pour des motifs qui nous sont inconnus”
Telle est la construction intérieure de la grande pyramide attribuée à Chéops. Si elle n'a pas servi de modèle à celle de Céphren, il faudrait en conclure que la construction de ces sortes d'édifices était soumise à des règles uniformes imposées pour des motifs qui nous sont inconnus ; car Belzoni, qui fit ouvrir cette seconde pyramide, en trouva l'entrée à la même hauteur et à la même distance proportionnelle des angles que celle de la première ; il y trouva aussi un canal semblable au n° 1, avec une même pente de vingt-six degrés ; d'autres galeries, les unes horizontales, les autres ayant une inclinaison pareille ; deux chambres sépulcrales et un puits. Mais, au lieu d'être confectionnées en pierres énormes comme dans la pyramide de Chéops, les deux salles et la plupart des galeries sont creusées dans le roc vif. Sur ce point, on n'a pas coupé la colline au niveau de celle qui porte Chéops ; au contraire, l'on a utilisé la masse compacte du rocher pour en former le cœur de la pyramide. (...)
(La pyramide) de Chéops est éloignée d'environ cinq cents pas de Céphren. Cette distance est occupée presque totalement par une vallée sablonneuse au fond de laquelle passait autrefois un certain volume d'eau qui isolait de toutes parts le rocher servant de piédestal à la première.”
Source : Gallica
À suivre