Un vice-président de la même société, Jules Duval, fait les observations suivantes : “Comme ses nombreux collègues, M. Guillemin a passé quelques semaines dans la basse Égypte et sur le parcours du canal creusé ou tracé de Port-Saïd à Suez ; il a vu les hommes, les terres, les cieux, les mers, le Nil surtout, père de l'Égypte, et l'œuvre herculéenne qui s'exécute dans l'isthme et qui sera le complément du fleuve nourricier. En face de ces grands spectacles, il a admiré la puissance du génie et du travail humains, domptant et fécondant la nature. Mais dans ses courses rapides à cheval, à âne, en barque, en paquebot, il n'a pu que recueillir des notes rapides qu'il a révisées et rédigées plus tard dans le silence du cabinet.”
Des “courses rapides”, des “notes rapides” : c’est bien en effet ce qui ressort du récit proposé par Alfred Guillemin de sa visite des pyramides de Guizeh : il ne gratifie ses lecteurs que du strict minimum.
Il fut en effet une époque où les touristes/visiteurs considéraient le site des pyramides d’abord comme un terrain d’exploits sportifs, avec l’aide obligée, et supportée tant bien que mal, des “Arabes” ou “Bédouins” locaux. C’est à peine si l’on envisageait de découvrir aussi l’intérieur de ces monuments qui étaient autre chose que de simples montagnes artificielles.
Cliché de l'agence Rol (1915) |
“Pour aller visiter les pyramides de Gizeh, on prend généralement de bon matin un âne et son jeune guide au Caire. Il suffit de dire à ce dernier “Aux Pyramides !” Le prix fait, il tient l'étrier de gauche pour aider à enfourcher la bête, et il la met aussitôt au galop, la suivant à toutes jambes et l'excitant sans cesse. (...)
L'ascension de la plus grande pyramide, faite avec l'aide de quatre Arabes, est assez pénible ; la visite de l'intérieur l'est beaucoup plus encore. Presque tous ceux qui ont exécuté l'une ou l'autre se sont accordés à dire qu'ils ne recommenceraient certainement pas une aussi fatigante entreprise.
L'ascension de la seconde des deux plus grandes pyramides, laquelle est presque aussi haute que la première, présente beaucoup de difficulté et même de danger. Cette pyramide a conservé, vers sa pointe, une partie du revêtement en granit rose dont elle était entièrement ornée, et que le temps détruit successivement ; on en rencontre des blocs qui ont roulé jusqu'à sa base. Ceux qui restent encore en place font avant-corps sur le massif, paraissent suspendus, sans soutien, et sur le point de s'écrouler.
Très peu de personnes ont hasardé de grimper sur la petite plate-forme très irrégulière de son sommet, en cherchant des points d'appui pour les mains et les pieds entre les joints du revêtement, offrant toujours une surface unie, mais dépolie par l'action séculaire de l'air et du soleil. La descente est encore plus dangereuse.
La grande pyramide a environ 200 mètres d'élévation et est composée de 208 à 212 degrés différant entre eux de hauteur depuis 73 centimètres jusqu'à 1 mètre 40 centimètres.
Hérodote assure qu'elle était revêtue de marbres polis et parfaitement joints ensemble, dont le moindre avait 30 pieds de long. Il ajoute qu'elle s'était conservée jusqu'alors sans être aucunement endommagée.
Ces pyramides sont orientées vers les quatre points cardinaux du ciel. L'inclinaison des entrées est uniforme. Ces dernières sont toutes tournées vers le Nord.
On attribue la construction de la plus grande à Chéops ; celle de la seconde, qui n'en est pas très éloignée, à Céphren, son frère et successeur, et celle de la troisième, beaucoup plus petite, à Micerinus, dont Strabon rapporte qu'on lisait le nom inscrit sur la face exposée au nord. Les Arabes ont appelé cette dernière pyramide “l'antique édifice de la fille”, probablement d'après le récit d'Hérodote que la fille de Chéops, en se livrant à ses amants, exigea de chacun d'eux une pierre de taille, et que de la multitude de ces dons, elle fit construire cette pyramide.
Le Sphinx, “emblème de la fécondation du Nil”
Toutes les pyramides ont été violées, tant celles de Gizeh que les autres. Depuis longtemps on était parvenu à découvrir leur entrée et à pénétrer dans l'intérieur.
Le Sphinx, monument hiéroglyphique, moitié femme, moitié lion. était l'emblème de la fécondation du Nil, qui croît et inonde l'Egypte sous les signes de la Vierge et du Lion. Son image était reproduite partout. Celui qu'on voit auprès des pyramides de Gizeh est colossal. Il présente seulement la tête qui a été sculptée à même la carrière dont il fait partie.
Les Arabes, fidèles à leur religion interdisant toute représentation de figure humaine, en ont brisé plusieurs portions de la face.
On voit encore autour des trois pyramides de Gizeh les bases plus ou moins élevées, en pierres énormes, d'une infinité de petites pyramides, dont les matériaux les plus faciles à transporter ont été employés à la construction des murs et de la citadelle du Caire par Salah-Eddin l'an 572 de l'hégire et par différents autres califes.”
Source : Gallica