Extrait de Voyage sur les côtes de l'Arabie Heureuse, sur la Mer Rouge et en Égypte ; contenant le récit d'un combat des Anglais avec M. de Suffrein, et leur expédition contre le Cap de Bonne-Espérance en 1781, 1788, par Henry Rooke, écuyer, major d'infanterie, traduit de l'anglais, d'après la 2e édition.
"Je partis d'ici avant hier après midi, accompagné d'un gros (sic) d'amis pour visiter les pyramides.
Nous avions pour montures des ânes qui nous conduisent à Bulac, port dépendant de cette ville ; de-là nous nous embarquâmes sur le Nil pour aller à Giza, c'est à-dire pour naviguer l'espace d'environ une lieue, car cette place est située un peu plus haut sur l'autre côté du fleuve, vis-à-vis le vieux Caire. Plusieurs voyageurs ont prétendu que c'était l'emplacement de l'ancienne Memphis, mais ils n'ont pas d'autorité pour prouver leur assertion.
Arrivés à cet endroit, nous trouvâmes sur le bord de l'eau une maison préparée pour nous recevoir, fournie de viande et de liqueurs. Nous étions redevables de ces attentions à des Italiens établis au Caire.
Notre premier soin en mettant pied à terre fut de trouver le Cheikh de la tribu arabe habitante des environs de Giza et des pyramides, afin de lui communiquer notre projet, et de le prier de nous escorter le lendemain matin. Nous dépêchâmes donc un ambassadeur vers ce Cheikh qu'il ne tarda pas à nous amener. Quelques personnes de la compagnie avaient déjà fait connaissance avec lui dans une circonstance semblable. Elles lui offrirent en notre présence un verre d'eau-de-vie qu'il ne refusa pas, quoique Musulman. Après qu'il en eut bu près d'une bouteille, nous fîmes avec lui tous nos arrangements pour le jour suivant, et il se retira.
Nous étions convenus ensemble de partir à trois heures du matin, le Cheikh suivi d'un aide de camp nous vint prendre à cette heure. Il avait eu soin de se munir de flambeaux de cire pour examiner l'intérieur des pyramides, et d'autres choses nécessaires. Montés sur nos ânes, nous arrivâmes au pied des pyramides à la pointe du jour. La lumière naissante leur donna un air plus majestueux à nos yeux, et je ne sais si j'éprouvai plus d'étonnement et plus de satisfaction à la première vue de ces masses énormes qu'en les considérant dans tous leurs détails.
Après les avoir admirées pendant quelque temps, nous nous préparâmes à descendre dans l'intérieur de la grande pyramide, la seule des trois où l'on puisse pénétrer. Ayant allumé nos flambeaux, nous nous glissâmes dans une petite ouverture qui se trouve sur un des côtés de la pyramide, à un quart de la hauteur, en partant de la base. Nous rampâmes sur nos mains et nos genoux dans ce passage raboteux, et nous arrivâmes à l'appartement le plus bas ; n'y trouvant rien d'intéressant, nous montâmes bientôt par un chemin plus aisé à la grande chambre.
En arrivant nous vîmes un appartement bien proportionné. À l'extrémité est un sarcophage de granite qui contenait sans doute le corps du Prince qui éleva cette pyramide pour lui servir de tombeau. Cette chambre est revêtue de granite, neuf pierres longues en forment la voûte.
Elle a trente-six pieds de long, dix-huit de large, et vingt de haut. Le sarcophage est long de sept pieds, profond et large de quatre.
Il y a encore une chambre au-dessus de celle-ci , mais on n'a pas pratiqué de chemin pour y pénétrer. On soupçonne qu'il doit également y en avoir une au-dessous de celle où nous sommes entrés d'abord. Le chemin qui peut y conduire est une espèce de trou profond ou de puits, qui s'étend probablement sous l'île formée par la crue annuelle du Nil. Ma supposition est appuyée du témoignage d'Hérodote. Cet historien nous apprend qu'il y avait un tombeau dans cette île.
Après avoir attentivement examiné tout cet intérieur, nous nous glissâmes dehors demi-suffoqués par la poussière et par le défaut d'air : il fallut nous reposer quelques instants et bientôt nous montâmes sur un des côtés de la pyramide qui présentent une suite de marches ou de gradins un peu altérés, car l'ancien poli est gâté ; les pierres placées dans l'ordre que je viens de vous indiquer, forment des degrés qui conduisent jusqu'à la cime de l'édifice, d'où l'on a la vue la plus vaste et la plus magnifique ; le Nil coulant au milieu d'une campagne fertile qui s'étend au loin, des villages innombrables, le vieux Caire, Giza, les pyramides de Sacara où sont les catacombes, etc. etc.
Quoique la contrée soit couverte de pyramides sans nombre, cependant les trois dont je vous donne ici une courte description sont les seules que nous appelions par excellence les pyramides. Les naturels du pays les désignent sous le nom de el haram di Giza, parce qu'elles sont voisines de la place de ce nom. Elles se trouvent environ à neuf milles des rives du Nil au milieu d'une riche contrée, sur un terrain élevé au pied duquel vient battre l'eau dans le temps de l'inondation.
Ces trois pyramides sont de différentes grandeurs. La plus considérable a, selon les mesures de Greaves, sept cents pieds en carré, elle couvre onze acres de terre, son plan incliné est égal à sa base, de manière que les angles et la base forment un triangle équilatéral. La hauteur perpendiculaire est de cinq cents pieds, la cime a treize pieds en carré.
La seconde pyramide couvre autant de terrain que la première ; mais elle est moins haute de 40 pieds.
La base de la plus petite a trois cents pieds en carré, sa hauteur est de quatre-vingts pieds.
Les restes des pierres qui revêtissaient la surface de ces pyramides se trouvent dispersés à leurs pieds, et les font paraître un peu moins grandes ; dans certains endroits ils forment une éminence qui marque un quart de la pyramide dont l'aspect serait plus imposant si elle était débarrassée de tous ces décombres, la surface des deux plus grandes était en pierres ordinaires, mais un superbe granite rouge couvrait la petite pyramide comme on peut le voir par les morceaux dispersés à l'entour, et par quelques portions encore subsistantes en place.
Quoique l'on ne soit parvenu à découvrir une entrée que dans la plus grande des trois, cependant il est probable que les deux autres en ont une également avec des chambres, puisque Strabon nous dit qu'au milieu des pyramides, on peut ôter une pierre pour s'ouvrir un passage aux tombeaux. On a déjà fait sur la seconde plusieurs tentatives inutiles, car à l'un des côtés on voit une brèche considérable.
Nous n'avons aucuns renseignements certains sur l'époque de la construction de ces édifices énormes, ni sur les Rois qui les ont fait bâtir : Hérodote, à la vérité, semble nous les désigner d'une manière positive ; mais d'autres auteurs sont d'un avis différent, et nous n'avons rien de positif. Ce sont, sans contredit, des monuments surprenants tant pour leur antiquité que pour leur grandeur et leur construction. L'on doit avoir eu bien des peines à élever une aussi grande masse de pierres où l'on n'a laissé que de petits espaces pour former les appartements destinés à renfermer les corps des Rois. On apportait par eau de la haute Égypte les matériaux au lieu même de la construction. Pline nous apprend que trois cent seize mille hommes furent employés pendant vingt années à la grande pyramide, et que les trois furent terminées en soixante-huit ans.
Non loin de celles-ci on en voit une foule d'autres plus petites. Autour de la place où sont les grandes pyramides, il y a beaucoup de trous et de cellules creusés dans le roc, l'entrée en est chargée de caractères hiéroglyphiques."