samedi 8 décembre 2018

"La pyramide est une sorte de grammaire qui contient les principes essentiels du beau et de la stabilité" (Léon Hugonnet)


extraits de En Égypte, 1883, par Léon Hugonnet (1840-19..), homme de lettres, anarchiste réfugié en Suisse.
 
photo MC
"À mon avis, il ne suffit pas de faire aux pyramides une simple excursion de touriste. ll est nécessaire de se rendre fréquemment sur le plateau de Gizeh, en étudiant chaque fois attentivement un détail différent. J'ai procédé de cette façon. (...)
Lorsqu'on se trouve à leur pied, l'impression que l'on ressent n'a rien d'extraordinaire, ce qui tient à ce qu'on n'a pas cessé de les voir depuis le Caire et que d'en bas on ne peut juger de la hauteur. Il faudrait venir en voiture et leur tourner le dos, jusqu'à ce que l'on soit arrivé à une distance de deux cents mètres. Si à ce moment on se retournait subitement on sentirait réellement son cœur battre avec violence. Mais l'enthousiasme n'est pas sans mélange, car on ne peut s'empêcher de songer aux milliers d'esclaves sacrifiés sans autre utilité que celle d'affirmer éternellement l'orgueil d'un petit nombre d'hommes et l'abjection des peuples. (...)
Assis sur le degré inférieur de la pyramide, j'eus le loisir d'examiner le mode singulier de construction adopté par ses architectes. Cheops est composée de cent deux assises, formant autant de gradins en pierre extraite des carrières de Thorrah, aujourd'hui Mokatam, sur la rive droite du Nil. La précision et la solidité avec lesquelles sont pratiqués les joints tiennent du prodige. En effet, chaque pierre étant incrustée dans la suivante, il n'y a pas de déviation possible, et ces assises offrent plus de solidité même que les couches de rocher. Chaque pierre est creusée de plusieurs centimètres dans lesquels s'emboîte une saillie égale de la pierre supérieure. Jamais, dans aucune construction, on ne s'est résigné à un tel surcroît de travail. (...)
... à la naissance du couloir horizontal, on rejoint le canal ascendant qui s'agrandit au point que l'on peut s'y tenir debout. Il a une longueur totale de 45 mètres et une hauteur de 8 mètres sur 2 mètres de large. Huit assises d'énormes pierres placées en encorbellement forment un plafond qui a l'aspect d'une voûte. De chaque côté se trouvent de petits trottoirs dans lesquels on a pratiqué vingt-huit trous d'environ 0 m. 33 de large, sur moitié moins de profondeur. C'est sans doute là-dessus que se tenaient les hommes de peine qui hissaient le sarcophage ou les blocs obturateurs glissant dans la rainure du milieu. C'est encore de cette façon, du reste, les guides vous font monter. On est au milieu et ils vous tirent par les mains, en suivant chacun un des petits trottoirs latéraux. (...)
(Dans la Chambre du Roi) nous aperçûmes deux étroites ouvertures communiquant avec l'extérieur, sortes de cheminées dont la destination était sans doute de renouveler l'air ou de laisser échapper la fumée, pendant que l'on construisait la pyramide. Mais du moment où le revêtement eut été placé, ces deux ventilateurs ne semblent pas avoir eu de destination. On a pensé qu'ils pouvaient servir à des observations astronomiques, car ils sont dans le même plan vertical et forment avec l'horizon des angles égaux ; ils indiquent d'ailleurs le méridien que les Égyptiens connaissaient fort bien. Mais toutes ces hypothèses ne sont admissibles qu'avant l'achèvement complet du monument. (...)
Au point de vue esthétique, la pyramide est une sorte de grammaire qui contient les principes essentiels du beau et de la stabilité. Elle est placée sur une hauteur, condition essentielle ; le point le plus élevé est au centre du monument, aucune partie n'est masquée, la symétrie et l'harmonie sont parfaites, et il est impossible qu'un écroulement ait lieu"