mercredi 5 décembre 2018

"Chéops et Chéphren, à l'exemple de tous les autres rois, étaient honorés par un culte spécial" (guide destiné aux hôtes du khédive, à l'occasion de l'inauguration du canal de Suez)


Extrait du guide "touristique" : Itinéraire des Invités aux fêtes d'inauguration du Canal de Suez, qui séjournent au Caire et font le voyage du Nil, 1869, publié par ordre de S.A. le Khédive.
 
cliché d'Antonio Beato, 1868
"Départ le matin de Boulaq. Navigation jusqu'à Gyzeh. Temps d'arrêt pour la visite aux Pyramides. Une charmante route de 4 kilomètres environ de longueur, conduit en face de ces monuments. Les trois grandes pyramides sont les tombeaux de Chéops, de Chéphren et de Mycérinus ; les petites sont les tombeaux des membres de la famille de ces rois. La grande avait primitivement 146 mètres de hauteur ; dans l'état actuel elle n'en a plus que 138 ; son cube est de 2,562,576 mètres. Tout ce que l'on a dit, toutes les phrases qu'après Hérodote on a faites sur la haine que ces rois s'étaient attirée par suite des corvées imposées aux Égyptiens qui travaillaient aux Pyramides, peut être réduit à néant ; les monuments contemporains, témoins bien plus croyables qu'Hérodote lui-même, nous montrent en effet que, de leur vivant et après eux, Chéops et Chéphren, à l'exemple de tous les autres rois, étaient honorés par un culte spécial ; quant à Mycérinus, c'était un roi si pieux, qu'il est cité dans le Rituel comme l'auteur d'un des livres les plus en renom de la littérature religieuse de l'Égypte. 
En ce qui regarde l'usage auquel les Pyramides étaient destinées, c'est faire violence à tout ce que nous savons de l'Égypte, à tout ce que l'archéologie nous a appris sur les habitudes monumentales de ce pays, que d'y voir autre chose que des tombeaux. Les pyramides, quelles qu'elles soient, sont des tombeaux, massifs, pleins, bouchés partout même dans leurs couloirs les plus soignés, sans fenêtres,sans portes, sans ouverture extérieure. Ils sont l'enveloppe gigantesque et à jamais impénétrable d'une momie, et une seule d'entre elles aurait montré à l'intérieur un chemin accessible d'où, par exemple, des observations astronomiques auraient pu être faites comme du fond d'un puits, que la pyramide aurait été ainsi contre sa propre destination. En vain dira-t-on que les quatre faces orientées dénotent une intention astronomique ; les quatre faces sont orientées parce qu'elles sont dédiées par des raisons mythologiques aux quatre points cardinaux, et que dans un monument soigné comme l'est une pyramide une face dédiée au nord, par exemple, ne peut pas être tournée vers un autre point que le nord. 
Les Pyramides ne sont donc que des tombeaux, et leur masse immense ne saurait être un argument contre cette destination puisqu'on en trouve qui n'ont pas six mètres de hauteur. Notons d'ailleurs qu'il n'est pas en Égypte une pyramide qui ne soit le centre d'une nécropole, et que le caractère de ces monuments est par là amplement certifié.
Ce qu'on voit aujourd'hui des Pyramides n'en est plus que le noyau. Originairement elles étaient recouvertes d'un revêtement lisse qui a disparu. Elles se terminaient en pointe aiguë. Les pyramides étant des tombeaux hermétiquement clos, chacune d'entr'elles (au moins celles qui ont servi à la sépulture d'un roi), avaient un temple extérieur, qui s'élevait à quelques mètres en avant de la façade orientale. Le roi déifié comme une sorte d'incarnation de la divinité y recevait un culte. Les trois grandes Pyramides de Gyzeh ont comme les autres un temple extérieur.
La preuve que les pyramides étaient des monuments hermétiquement clos, c'est que quand Amrou voulut pénétrer dans la grande, il ne put le faire qu'en perforant violemment la face nord à peu près sur la ligne de son centre, ce qui le fit tomber par hasard à l'intérieur sur le couloir montant. Comme à cette époque le revêtement était entier et que par conséquent il n'y avait point de décombres accumulés à la base, il s'ensuit que la place même de l'entrée ne se voyait pas du dehors."