lundi 16 mars 2009

La rampe frontale, à géométrie variable, version Jean-Philippe Lauer


Dans son ouvrage Le mystère des pyramides (Presses de la Cité, 1974, 380 pages), l'architecte-archéologue Jean-Philippe Lauer, spécialiste de la pyramide "à degrés" de Saqqarah, prend soin d'exposer, analyser et critiquer les théories les plus représentatives (à son époque) relatives à la construction des pyramides, notamment de celle qui résume par excellence l'art pyramidal - Khéops -, avant d'exposer sa propre vision (ou interprétation) des techniques constructives des bâtisseurs égyptiens. Même les théories "mystiques" ou pseudo-scientifiques font partie de l'inventaire, comme pour donner encore plus d'assise à un argumentaire scientifique basé sur la stricte observation du "terrain" et les acquis irréfutables de la recherche archéologique.

Première conviction de Jean-Philippe Lauer, contredisant une lecture trop rapide d'Hérodote :"Si (...) les théories sur les instruments de levage des constructeurs égyptiens de l'Ancien Empire restent fort hypothétiques, nous trouvons, en revanche, à toutes les époques des indications certaines de l'emploi de rampes, soit pour la construction des édifices, soit pour leur exploitation comme carrières." (op.cit. p. 289)

S'il exclut tout procédé de levage, l'archéologue n'a d'autre solution à sa disposition que celle d'une rampe. Après un examen approfondi des théories élaborées en conformité avec cette technique de construction, il précise sa théorie personnelle :"L'idéal serait évidemment que la rampe [frontale] eût, au niveau de chaque assise à construire, la même largeur que cette dernière, mais la rampe aurait alors atteint un volume beaucoup trop important, et il suffisait en réalité de ne lui accorder qu'une fraction de cette dimension de l'assise. Si tout près du sommet une largeur de voie de 2,50 m était suffisante, il semble que la construction des assises de base de grandes pyramides aurait nécessité une largeur de 70 à 100 mètres. Or, un pareil écart était aisément réalisable au moyen de la rampe à large voie initiale que nous préconisons, où, tandis que la rampe s'exhausse d'assise en assise et s'allonge, sa largeur se trouve au contraire proportionnellement réduite." (p. 280)

Entre autres avantages, cette rampe permettait au "principe de halage" d'être appliqué jusqu'au sommet du monument : "Il était, par exemple, possible aux haleurs de faire coulisser leurs câbles de traction sur de gros rondins fixés horizontalement au-dessus des bords de la plate-forme provisoire de la pyramide, soit en redescendant eux-mêmes de quelques mètres sur la rampe, soit plutôt en poursuivant leur chemin sur une plate-forme de brique crue, qui aurait prolongé celle de la pyramide même. Cette plate-forme additionnelle, sorte de tour-échafaudage aux parois ne présentant qu'un fruit léger, aurait été construite à partir d'un revêtement de brique crue provisoire, de deux ou trois coudées (1,05 m à 1,60 m) d'épaisseur, qu'il était nécessaire d'élever tout autour de la pyramide - et en même temps qu'elle - pour permettre l'ajustage de front des blocs de parement, puis leur ravalement à effectuer depuis le sommet. Cette tour-échafaudage se serait ainsi élevée avec chacune des dernières assises de la pyramide, sans difficulté sur quelques mètres de hauteur, jusqu'au niveau où devait être placé le gros monolithe en granit du pyramidion terminal." (p. 283)

À l'examen des théories élaborées par d'éminents égyptologues (dont Croon), concernant la forme des rampes, Jean-Philippe Lauer propose la conclusion suivante :"Telles seraient les deux méthodes générales, celle de la grande rampe perpendiculaire et celle des rampes enveloppantes, qui ont pu, à notre avis, être employées pour la construction des pyramides. Elles nécessitaient à peu près le même cube de brique et de remblai, mais la seconde avait l'inconvénient à partir d'un certain niveau de présenter des coudes à angle droit, complication évidente pour le halage des traîneaux. Il est vraisemblable que les deux systèmes furent tentés par les Égyptiens qui, à notre avis, durent finalement adopter le premier."
Quant au texte d'Hérodote relatif aux "machines faites de morceaux de bois courts", texte qui a bien évidemment inspiré les théories "machinistes", Jean-Philippe Lauer pense qu'il est "assez sujet à caution". En tout cas, ce texte, qui a servi notamment de base à la théorie de Hermann Strub-Roessler sur l'utilisation de grandes chèvres de bois, ne résiste pas à quelques objections majeures. Les appareils de levage tels que conçus par Strub-Roessler ne correspondent en rien aux "morceaux de bois courts" cités par Hérodote. En outre, l'assise des chèvres sur les gradins de la partie de pyramide déjà construite "paraît bien insuffisante pour en assurer la stabilité". Enfin, pour la partie supérieure de la pyramide, à plus de 100 mètres de hauteur, comment concevoir la manoeuvre de tels instruments de levage, avec des câbles de retenue qui auraient dû atteindre 150 ou 200 mètres de longueur?

En résumé : la rampe perpendiculaire, version Lauer, a dû commencer tout près de la pyramide avec une grande largeur de voie. Puis son point de départ s'est éloigné progressivement de la pyramide au fur et à mesure que celle-ci gagnait en hauteur : le talus s'élevait alors progressivement, tandis que sa largeur de voie diminuait.

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