vendredi 2 octobre 2009

"Un objet d'admiration à la postérité"

Du mathématicien français Alexis Jean-Pierre Paucton (1736 ou 1732-1798), dans son ouvrage Métrologie ou Traité des mesures, poids et monnaies des anciens peuples et des modernes (1780) :



Les historiens ne sont point d'accord sur l'ancienneté de cette pyramide [Khéops], non plus que des autres que l'on voit en Égypte, et principalement dans les environs du Caire et de l'ancienne Memphis. Hérodote en attribue la construction à Chéops, et Diodore de Sicile à Chemmis. Ce dernier écrivain qui voyagea en Égypte soixante ans avant l'Ère vulgaire, dit que la base est carrée, ce qui est attesté de tous ceux qui l'ont vue depuis ; il ajoute qu'elle est construite toute entière de pierres très difficiles à travailler, mais aussi d'une durée éternelle. Car, dit-il, bien que la tradition porte qu'il y a aujourd'hui mille ans que la pyramide subsiste, et que d'autres même assurent qu'il y a trois mille quatre cents ans, elle s'est conservée jusqu'à nos jours sans être endommagée en aucun endroit.
Ces témoignages qui font remonter le temps de la construction de la pyramide au moins à trois mille ans de celui où nous vivons, sont ce qu'il est plus raisonnable de croire de son antiquité. Car ce sont des fables que ce que rapportent quelques écrivains de l'ancienneté des pyramides d'Égypte. Joseph Ben Altiphasi qui en a décrit deux, dit que l'une fut bâtie par Schur, fils de Schahvalvac avant le déluge ; l'autre par Hermès, qui est, ajoute-t-il , l'Hénoch des Hébreux, lequel ayant prévu cette inondation universelle, mit dans cette pyramide ses Livres avec ce qu'il avait de plus précieux et de plus rare. Ceux de Sabée croient aussi qu'Agathémon, qui est Seth, fut enseveli dans une de ces pyramides, dans une autre Hermès, et c'est à peu près ce qu'en rapporte le P. Kircher.
Selon les voyageurs modernes, la grande pyramide est située sur le haut d'une roche dans le désert de sable d'Afrique, à un quart de lieue de distance vers l'ouest des plaines d'Égypte. La roche s'élève d'environ cent pieds au-dessus du niveau de ces plaines, mais avec une rampe aisée et facile à monter ; elle contribue en quelque chose à la beauté et à la majesté de l'ouvrage,et sa dureté fait un fondement proportionné à la masse de ce grand édifice.
Pour visiter la pyramide en dehors, on monte en reprenant haleine de temps en temps ; car, au rapport de Thévenot, elle a deux cent huit degrés de grosses pierres. Quand on est parvenu au haut, on se trouve sur une plate-forme d'où l'on découvre d'autres pyramides, le Caire, une partie de l'Égypte, le désert sablonneux du pays de Bahrein sur la côte occidentale du golfe Persique en Arabie, les déserts de la Thébaïde et la mer. La plate-forme qui, à la regarder d'en-bas, semble faite en pointe, est de dix ou douze grosses pierres ; elle est carrée comme la base de la pyramide.
(...) On aurait assez de peine à deviner quelle a été l'intention des Rois d'Égypte en faisant construire les pyramides. Les uns veulent qu'elles aient été consacrées aux dieux. D'autres soutiennent qu'elles ont été bâties par les conseils de Joseph, fils du Patriarche Jacob, pour y serrer du froment, et Piérius Valerianus dit que ceux du pays les nomment encore les greniers de Pharaon. Il y en a même une qui a été nommée Haram Jusef, et c'est la même qu'on nomme aujourd'hui Haram Ilahun, du village dont elle est proche, éloigné de deux journées de chemin du Caire ; mais ces opinions manquent absolument de fondement, et il n'est pas vraisemblable que pour conserver du blé, on ait eu recours à tant de pierres, que pour tirer de la nécessité un nombre incroyable d'ouvriers on se soit avisé de les charger d'un travail plus insupportable que la misère ; et de la manière que ces pyramides sont bâties, il n'est pas possible qu'on en ait voulu faire de simples greniers. Elles furent élevées, selon Diodore, pour la sépulture des Rois d'Égypte ; et selon Pline, ou pour empêcher que le peuple ne fût oisif et dans le cas de se révolter, ou par vanité pour faire montre de leur puissance et de leur opulence : Regum pecunia otiosa ac stulta ostentatio. Aristote a cru que les Rois n'ont été portés à cette dépense prodigieuse que pour affermir leur tyrannie, en rendant pauvres tous leurs sujets, qui étant épuisés d'argent et accablés d'un travail continuel, étaient hors d'état de se révolter. C'est une politique très mal entendue, mais qui est encore aujourd'hui pratiquée dans le même pays par la voie des impositions.
Un édifice aussi extraordinaire que la pyramide dont nous venons de parler, construit moins pour aucune utilité réelle que pour être un objet d'admiration à la postérité, et pour éterniser dans la mémoire des générations, les noms de ceux qui en ont été les auteurs, a dû nécessairement recevoir sur quelqu'une de ses dimensions, l'une des mesures géodésiques de l'Égypte , une ou plusieurs fois répétées. Cette particularité que j'avais soupçonné devoir caractériser la pyramide, a été pour moi un motif de curiosité; j'ai désiré savoir quelle pourrait être cette mesure ; elle était facile à apercevoir, on en pourra juger.
(Suivent de nombreuses considérations sur les mesures de la Grande Pyramide, inspirées des études de Strabon, Pline et M. De Chazelles qui a le mérite de s'être rendu sur place... ce qui, à l'évidence, n'est pas le cas de l'auteur)
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