jeudi 1 octobre 2009

"De toutes les figures qu'on peut donner aux édifices, [la pyramide] est la plus durable"


Extraits de l'Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des connaissances humaines, mis en ordre par M. de Felice, 1774.
À noter notamment ces informations qui sont aujourd'hui reléguées au rang des anecdotes :
- en cas d'embonpoint, mieux vaut s'abstenir de visiter l'intérieur de la Grande Pyramide !
- la véritable entrée de la pyramide : par le sommet ;
- les encoches dans la Grande Galerie ont été aménagées pour faciliter la progression des visiteurs...


(...) quoique ce soit un ouvrage prodigieux d'architecture, c'est le plus inutile que les hommes aient jamais exécuté ; cependant comme ce monument est le plus célèbre de l'antiquité, que tous les historiens en ont parlé avec admiration, qu'il subsiste encore de nos jours, du moins en partie, et que nos voyageurs modernes, Thévenot, le Brun, Greaves, le père Vansleb, Gemelly et autres ont été exprès sur les lieux pour le décrire et le mesurer, il convient d'entrer ici dans des détails un peu étendus sur ces fameuses pyramides. Les anciens tombent tous d'accord qu'elles ont été bâties pour servir de tombeaux à ceux qui les ont élevées : Diodore de Sicile et Strabon le disent clairement ; les Arabes le confirment, et le tombeau qu'on voit encore aujourd'hui dans la plus grande pyramide, met la chose hors de doute.
(...) Si l'on cherche la raison de la figure qu'on donna aux pyramides, on trouvera sans peine qu'elles furent bâties de la sorte parce que [de] toutes les figures qu'on peut donner aux édifices, celle-là est la plus durable, le haut ne chargeant point le bas, et la pluie qui ruine ordinairement les autres bâtiments ne pouvant nuire à des pyramides, parce qu'elle ne s'y arrête pas. Peut-être aussi qu'ils ont voulu par-là représenter quelques-uns de leurs dieux, car alors les Égyptiens représentaient leurs divinités par des colonnes et par des obélisques. Ainsi nous voyons dans Clément Alexandrin, que Callirhoé, prêtresse de Junon, mit au haut de la figure de sa déesse, des couronnes et des guirlandes car dans ce temps-là les statues des dieux avaient la figure de colonnes ou d'obélisques. Pausanias dit que dans la ville de Corinthe, Jupiter Melichius était représenté par une pyramide, et Diane par une colonne.
(...) Toutes ces pyramides ont une ouverture qui donne passage dans une allée basse fort longue, et qui conduit à une chambre où les anciens Égyptiens mettaient les corps de ceux pour lesquels les pyramides étaient faites. Si l'on ne voit pas ces ouvertures dans toutes les pyramides, cela vient de ce qu'elles sont bouchées par le sable que le vent y a apporté. Sur quelques-unes on trouve des caractères hiéroglyphiques assez bien conservés.
Toutes les pyramides étaient posées avec beaucoup de régularité. Chacune des trois grandes, qui subsistent encore, sont placées à la tête d'autres plus petites, que l'on ne peut néanmoins connaître que difficilement parce qu'elles sont couvertes de sable ; toutes sont construites sur un rocher uni, caché sous du sable blanc ; et il y a quelque apparence que les pierres dont on les a bâties ont été tirées sur le lieu même ; aucune de ces pyramides n'est égale, ni parfaitement carrée. Toutes ont deux côtés plus longs que les deux autres.
Dans toutes les pyramides, il y a des puits profonds, carrés et taillés dans le roc. Il y a aussi de ces puits dans les grottes qui sont au voisinage des pyramides ; ces grottes sont creusées au côté d'une roche en assez mauvais ordre, et sans symétrie par dehors, mais fort égales et bien proportionnées par dedans. Le puits est le lieu où les Égyptiens mettaient les corps de ceux pour qui la grotte avait été faite. Les murailles de quelques-unes ont des figures hiéroglyphiques, taillées aussi dans le roc, les unes plus grandes, les autres plus petites. Les trois principales pyramides connues des voyageurs sont à environ neuf milles du Caire.
La plus belle de toutes est située sur le haut d'une roche, dans le désert de sable d'Afrique, à un quart de lieue de distance, vers l'oued des plaines d'Égypte. Cette roche s'élève environ cent pieds au-dessus du niveau de ces plaines, mais avec une rampe aisée et facile à monter : elle contribue en quelque chose à la beauté et à la majesté de l'ouvrage et sa dureté fait un fondement proportionné à la masse de ce grand édifice.
Pour pouvoir visiter cette pyramide en dedans, il faut ôter le sable qui en bouche l'entrée car le vent y en pousse continuellement avec violence une si grande quantité qu'on ne voit ordinairement que le haut de cette ouverture ; il faut même, avant que de venir à cette porte, monter sur une petite colline, qui est vis-à-vis, tout auprès de la pyramide, et qui sans doute s'y est élevée du sable que le vent y a poussé, et qui ne pouvant être porté plus loin à cause de la pyramide qui l'arrêtait, s'y est entassé de la sorte. Il faut aussi monter seize marches, avant que d'arriver à l'entrée de l'ouverture qui est du côté du nord.
On prétend qu'autrefois on la fermait après y avoir porté le corps mort, et que pour cet effet, il y avait une pierre taillée si juste que lorsqu'on l'y avait remise, on ne la pouvait discerner d'avec les autres pierres, mais qu'un bâcha la fit emporter, afin qu'on n'eût plus le moyen de fermer la pyramide. Quoi qu'il en soit, cette entrée est carrée et elle a la même hauteur et la même largeur depuis le commencement jusqu'à la fin. La hauteur est d'environ trois pieds et demi, et la largeur quelque chose de moins. La pierre qui est au-dessus en travers, a près de douze pieds de longueur et dix-huit pieds de largeur. Le long de ce chemin, on trouve une grande chambre longue de dix-huit pieds, et large de douze ; sa voûte est en d'os d'âne.
Quand on est venu jusqu'au bout de ce premier chemin, on rencontre une autre allée pareille, qui va un peu en montant ; elle est de la même largeur, mais si peu élevée, principalement dans l'endroit où ces deux chemins aboutissent, qu'il faut se coucher sur le ventre et s'y glisser en avançant les deux mains, dans l'une desquelles on tient une chandelle allumée pour s'éclairer dans cette obscurité. Les personnes qui ont de l'embonpoint ne doivent pas se hasarder à y passer, puisque les plus maigres y parviennent avec assez de peine.
Quelques voyageurs racontent que ce passage a plus de cent pieds de longueur, et que les pierres qui le couvrent et qui font une espèce de voûte ont vingt-cinq à trente paumes. Mais la fatigue que l'on essuie et la poussière qui étouffe presque ne permettent guère d'observer ces dimensions.
Au commencement de ce chemin qui va en montant, on rencontre à main droite un grand trou, où l'on peut aller quelque temps en se courbant ; à la fin on éprouve de la résistance : ce qui fait croire que ce n'a jamais été un passage, mais que cette ouverture s'est faite par la longueur du temps. Après qu'on s'est glissé par ce passage étroit, on arrive à un espace où l'on peut se reposer, et l'on trouve deux autres chemins, dont l'un descend et l'autre monte à l'entrée du premier ; il y a un puits, qui à ce qu'on dit, conduit dans une grotte à la distance de 67 pieds, après quoi on trouve un chemin creusé dans le roc, plein de sable et d'ordures. Lorsqu'on est revenu de ce premier chemin qui est à main droite, on entre à gauche dans un second qui a 27 toises de long. Il y a des trous à chaque pas pour y mettre les pieds.
Les curieux qui vont visiter les pyramides doivent être obligés à ceux qui ont fait ces trous : sans cela il serait impossible de monter au haut, et il faut encore être alerte pour en venir à bout, à l'aide du banc de pierre qu'on tient ferme d'une main, pendant que l'autre est occupée à tenir la chandelle. Outre cela il faut faire de fort grands pas, parce que les trous sont éloignés de six paumes l'un de l'autre. Cette montée, qu'on ne peut regarder sans admiration, peut passer pour ce qu'il y a de plus considérable dans les pyramides. Les pierres qui en font les murailles sont unies comme une glace de miroir , et si bien jointes les unes aux autres qu'on dirait que ce n'est qu'une seule pierre. Il en est de même du fond où l'on marche, et la voûte est superbe.
Ce chemin, qui conduit à la chambre des sépulcres, persuade que ce n'est point là qu'était la véritable entrée de la pyramide : il faut que celle qui conduisait à cette chambre soit plus aisée et plus large, car si les pyramides étaient les tombeaux des anciens rois, il faut qu'on ait ménagé une route plus commode pour y porter les cadavres ; et comment les faire passer par un chemin où l'on ne peut marcher qu'en grimpant ? Si nous en croyons Strabon, on entrait dans la grande pyramide en levant la pierre qui est sur le sommet. À quarante stades de Memphis, dit-il, il y a une roche sur laquelle ont été bâtis les pyramides et les monuments des anciens rois. L'une de ces pyramides est un peu plus grande que les autres ; sur son sommet il y a une pierre qui pouvant être aisément ôtée, découvre une entrée qui mène par une descente à vis jusqu'au tombeau : ainsi on pourrait avoir élevé cette tombe par le moyen de quelque machine, sur le haut de la pyramide, avant que les pierres qui la couvrent y fussent posées, et l'avoir fait descendre ensuite dans la chambre.
Au bout de la montée on entre dans cette chambre ; on y voit un sépulcre vide taillé d'une seule pierre qui, lorsqu'on frappe dessus, rend un son comme une cloche. La largeur de ce sépulcre est de trois pieds et un pouce ; la hauteur de trois pieds et quatre pouces, et la longueur de sept pieds et deux pouces. La pierre dont il est fait a plus de cinq pouces d'épaisseur ; elle est extraordinairement dure, bien polie, et ressemble à du porphyre. Les murailles de la chambre sont aussi incrustées de cette pierre.
(...) Pour visiter la pyramide en dehors, on monte en reprenant de temps en temps haleine. Environ à la moitié de la hauteur, à un des coins du côté du nord, qui est l'endroit où l'on peut monter avec moins de peine, on trouve une petite chambre carrée où il n'y a rien à voir, et qui ne sert qu'à se reposer, ce qui n'est pas inutile. Quand on est parvenu au haut, on se trouve sur une plate-forme, d'où l'on a une agréable vue sur le Caire et sur toute la campagne des environs, sur d'autres pyramides qu'on découvre, et sur la mer que l'on a à main gauche.
La plate-forme qui, à la regarder d'en bas, semble finir en pointe, est de dix ou douze grosses pierres et elle a à chaque côté qui est carré seize à dix-sept pieds. Quelques-unes de ces pierres sont un peu rompues et la principale de toutes, sur laquelle était la plupart des noms de ceux qui avaient pris la peine de monter au haut de cette pyramide, a été jetée en bas par quelques voyageurs.
On ne peut descendre autrement que par le dehors ; quand on a bâti la pyramide, on a tellement disposé les pierres les unes sur les autres qu'après en avoir fait un rang avant que d'en poser un second, on a laissé un espace à se pouvoir tenir dessus, ou du moins suffisant pour asseoir les pieds fermes. Le Brun dit avoir compté deux cent dix rangs de pierre, les unes hautes de quatre paumes, les autres de cinq, et quelques-unes de six. Quant à largeur, quelques-unes ont deux paumes, d'autres trois ; d'où il est aisé de comprendre qu'il doit être difficile de les monter.
Il est néanmoins encore plus mal aisé de descendre, car quand on regarde du haut en bas, les cheveux dressent à la tête. C'est pourquoi le plus sûr est de descendre à reculons et de ne regarder qu'à bien poser les pieds à mesure que l'on descend. D'ailleurs de toutes les pierres dont la grande pyramide est faite, il n'y en a presque point qui soient entières ; elles sont toutes rongées par le temps, ou écornées par quelqu'autre accident, de forte que quoiqu'on puisse monter de tous côtés jusqu'à la plate-forme, on ne trouve pourtant pas la même facilité à descendre.

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