dimanche 25 octobre 2009

"Tant d'opinions différentes..."

Dans ses Lettres sur l'Égypte, où l'on offre le parallèle des mœurs anciennes et modernes de ces habitants, où l'on décrit l'état, le commerce, l'agriculture, le gouvernement du pays et la descente de St. Louis à Damiette, tirée de Joinville et des auteurs arabes, avec des Cartes géographiques, tome 1, 1786, l'orientaliste, traducteur du Coran, Claude-Étienne Savary (1750-1788), écrit :
 



Après que nous eûmes gravé nos noms sur le sommet de la pyramide [Khéops], nous descendîmes avec précaution, car nous avions l'abîme devant nous. Un morceau de pierre qui se serait détaché sous nos pieds ou nos mains, eût pu nous y précipiter.
Arrivés au bas de la pyramide, nous en fîmes le tour en la contemplant avec une sorte d'effroi. Lorsqu'on la considère de près elle semble faite de quartiers de rochers ; mais à cent pas, la grandeur des pierres se perd dans l'immensité de l'édifice, et elles paraissent très petites.
Ses dimensions sont encore un problème. Depuis Hérodote jusqu'à nos jours un grand nombre de voyageurs et de savants les ont mesurées, et la différence de leurs calculs, loin d'éclaircir les doutes, n'a fait qu'augmenter l'incertitude.
(...) MM. Schaw, Thévenot et les autres voyageurs qui ont prétendu que cette pyramide n'avait point été achevée parce qu'elle est ouverte, et qu'elle est sans revêtement, sont dans l'erreur. Il suffisait de remarquer les débris du mortier que l'on trouve encore en plusieurs endroits des gradins avec des éclats de marbre blanc, pour voir qu'elle a été revêtue ; et lorsqu'on lit avec quelque attention la description qu'en ont donnée les anciens, les doutes s'évanouissent et la vérité brille dans tout son jour.
(...) J'ai rassemblé sous vos yeux (...) les recherches des anciens et des modernes au sujet de la grande pyramide ; j'y ai joint les observations qui m'ont été fournies par la présence des objets ; je désire qu'elles puissent vous en donner une idée satisfaisante et vous éviter la peine de parcourir de nombreux volumes, dont la lecture réfléchie ne ferait qu'augmenter vos doutes, aussi longtemps que vous ne vous transporteriez point sur les lieux pour les examiner avec la plus scrupuleuse attention. Je vous l'avouerai, (...), après avoir médité sur les descriptions qui ont paru de ces monuments antiques, il m'était impossible d'asseoir un jugement fixe, et je demeurais dans une incertitude accablante. La vérité que je cherchais se cachait à l'ombre de tant d'opinions différentes, et plus je m'instruisais, moins j'étais éclairé. J'ai cru la voir lorsqu'au pied de la pyramide, dans son intérieur ténébreux, sur son sommet élevé, j'ai porté le flambeau de la réflexion. Puisse-t-elle avoir guidé ma plume, et fait entrer la conviction dans votre âme ; car, même en matière scientifique, le doute est un tourment !
Hérodote nous apprend qu'on avait écrit en caractères égyptiens, sur le marbre de la grande pyramide, la dépense qu'il en avait coûté, seulement en légumes, pour nourrir les ouvriers employés à sa construction. En ôtant le revêtement, on a détruit ces hiéroglyphes ; mais quand ils subsisteraient encore, comme ils subsistent en mille endroits de l'Égypte, ces caractères ne peignent plus la pensée à notre esprit. Ce sont aujourd'hui des traits muets, insensibles comme la pierre qui les a reçus. Faut-il qu'une langue, dont l'intelligence nous apprendrait l'histoire de l'ancienne Égypte, et jetterait un rayon de lumière à travers les ténèbres qui couvrent les premiers âges du monde, soit ensevelie avec les prêtres qui l'inventèrent !

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