Illustration extraite de answers.com
Au cours d'un voyage effectué en Égypte, dont le récit a été publié en 1834-1835, le Maréchal Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse (1774-1852), put revivre l'admiration qu'il ressentit lorsqu'il découvrit pour la première fois les pyramides de Guizeh, lors de la campagne menée par Bonaparte.À noter particulièrement, dans cette relation, l'observation faite par le duc de Raguse des conduits "étroits et profonds" qui ont déjà fait l'objet d'exploration. On remarquera également que l'auteur reprend un détail technique (partiellement erroné) mentionné dans d'autres relations : l'un des deux conduits de la Chambre du Roi "va en s'élevant", alors que l'autre "va en s'abaissant".
J'étais impatient de voir de près ces monuments gigantesques, les plus extraordinaires que jamais les hommes aient construits. L'étendue et la difficulté des travaux ont exigé une accumulation de moyens proportionnés, et par conséquent immenses : il a fallu, pour élever ces édifices, sans utilité pour les vivants, une constance inouïe, et que leurs fondateurs pussent disposer d'une foule innombrable d'esclaves. L'érection des pyramides n'a pas été le caprice bizarre d'un seul souverain, non plus qu'une entreprise isolée et unique ; ce fut l'accomplissement d'une pensée qui tenait aux croyances religieuses les plus profondes, relativement à l'avenir. Ces croyances étaient universelles, car chacun réalisa la même pensée suivant ses facultés, et il en résulta ce nombre considérable de pyramides, grandes ou petites, encore existant aujourd'hui, ou dont on retrouve les débris. Ces idées n'avaient pas pris naissance en Égypte : elles appartenaient aux peuples primitifs de la vallée du Nil, puisque l'île de Méroë, dans le Sennaar, plaine sortie du sein des eaux avant l'Égypte, est remplie de monuments semblables.
L'impression que les pyramides de Ghizéh font éprouver varie d'une manière singulière, selon la distance d'où on les voit. En remontant le Nil, dès qu'on les a découvertes à l'horizon, elles grandissent constamment à l'œil, à mesure qu'on avance vers le Caire ; près de cette ville on dirait que ce sont des montagnes, et quand on réfléchit que ces montagnes si régulières sont sorties de la main des hommes, l'étonnement s'unit à l'admiration. C'est ce que nous éprouvâmes, il y a trente-huit ans, quand nous nous disposions à combattre à leur ombre et que Napoléon nous disait : "Soldats, du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent !"
C'est du Caire que les pyramides apparaissent dans toute leur gloire. Digne ornement d'un pays dont les souvenirs ont tant d'éclat et remontent si haut dans les siècles écoulés, elles sont là comme pour rendre témoignage de ce que fut cette contrée que nous avons peine à comprendre, et qui exerça sur le monde une puissance que son étendue et sa population ne semblaient pas lui promettre. Une résidence habituelle au Caire accoutume à regarder les pyramides comme une des nécessités de cette terre, comme une parure qui lui est propre ; on ne conçoit pas que le paysage puisse en être dépouillé, elles en font partie comme un ouvrage de la nature.
À mesure qu'on approche des pyramides on croirait qu'elles s'abaissent et que leurs dimensions s'amoindrissent. Soit que l'œil s'habitue à leur aspect imposant, soit que le désert uni et monotone qui les entoure, n'offrant aucun point de comparaison, empêche d'apprécier leur masse énorme, il est certain que l'effet qu'elles produisent va toujours en s'affaiblissant. On le sent et l'on s'en étonne, sans pouvoir se soustraire à celte impression ; mais elle est passagère. Quand on arrive jusqu'à les toucher, quand on lève la tête et que les regards s'élancent vers leur sommet, lorsqu'enfin on en fait le tour et qu'on mesure ainsi leur étendue, la surprise renaît, et, en se rappelant les plus grands monuments que l'Europe possède, on se dit que si l'église de Saint-Pierre de Rome ou celle de Strasbourg étaient transportées ici, la croix qui les domine ne serait pas de niveau avec la plate-forme ; que si le Louvre était adossé à cette pyramide, le faîte ne correspondrait pas à la moitié de sa hauteur ; alors l'admiration subjugue, et ce que vous voyez a le prestige d'une illusion des sens.
Les dimensions des pyramides sont connues, ainsi je n'en dirai rien. Elles s'élèvent sur le rocher, dont quelques portions se révèlent dans l'intérieur, et l'on doit croire que les premiers travaux furent faits autour d'une saillie formant un noyau de cent cinquante pieds de hauteur. Un rocher sculpté en forme de sphinx, et en partie ensablé, semble être le gardien de ces monuments. Il est à supposer que cette figure indique à peu près la hauteur qu'avait le rocher avant l'excavation qui fut pratiquée pour y asseoir le monument.
Les pyramides ont été bâties avec des matériaux pris sur place ou dans d'autres carrières de la chaîne libyque ; mais on employa aux revêtements extérieurs, et à ceux des galeries, des pierres de choix tirées du mont Moqattam. Indépendamment de leur nature, qui l'indique, une inscription existant dans ces carrières, et que notre illustre Champollion a expliquée, le dit d'une manière formelle.
Les pierres sont grandes et taillées régulièrement. Leur épaisseur varie de deux à trois pieds ; elles ont une largeur à peu près égale, et trois ou quatre pieds de long ; leur cube est donc de douze, quinze et vingt pieds. Elles sont placées en retrait et présentent une suite de gradins d'une hauteur différente, selon l'épaisseur des pierres, ce qui facilite la montée et la descente. Rien ne les lie entre elles : il n'y a ni mortier ni crampons ; mais comme leur taille est bonne, l'assiette en est solide. Un revêtement en pierres lisses les recouvrait : on peut en voir les restes dans la partie supérieure de la seconde pyramide ; la grande en a été entièrement dépouillée. Deux de ses arêtes, celles opposées, qui regardent le sud-ouest et le nord-ouest, sont assez fortement endommagées ; les deux autres sont intactes. La base de la pyramide est recouverte de sable, ce qui en diminue à l'œil la hauteur de soixante pieds environ. La plate-forme est carrée, et, de ce point, la vue est immense : elle embrasse une grande partie de la Basse-Égypte.
Cette plate-forme est couverte de noms : je fus fort étonné d'y trouver le mien, que cependant, en 1798, je n'y avais pas inscrit. Parti de Ghizéh, avec le général Desaix, pour aller voir les pyramides, un accident me força de rétrograder, et me priva du plaisir que je m'étais promis. J'ignore qui m'a suppléé en cette circonstance. J'y ai gravé de nouveau mon nom en 1834, et ainsi il s'y trouve maintenant deux fois, avec l'indication de deux époques bien éloignées l'une de l'autre, et suivi de titres différents.
Nous pénétrâmes dans l'intérieur par un boyau étroit qui descend d'abord et se relève ensuite, et dans lequel on ne peut avancer qu'en rampant sur les mains et sur les genoux. La chaleur y est extrême. Ayant oublié mon thermomètre, je ne pus prendre la température de ces souterrains.
Après avoir monté péniblement pendant assez longtemps, on arrive à une chambre sépulcrale, située au centre de la pyramide, et qui a trente-deux pieds de long sur seize de large : elle est entièrement revêtue de granit noir du plus beau poli ; le plafond est du même granit et composé de bandes mises dans le sens de la largeur. Au fond de la chambre est un très beau sarcophage de granit noir. On l'a trouvé vide, car cette pyramide avait été anciennement ouverte et visitée, soit par les Perses, soit par les Grecs ou les Romains : rien n'a pu mettre les cendres qu'elle renfermait à l'abri de la profanation des hommes.
Une chose remarquable, c'est qu'il y a, dans l'épaisseur de la pyramide, deux conduits étroits et profonds, dont l'entrée est placée dans la chambre sépulcrale ; ils ont un pied et demi de largeur ; l'un va en s'élevant, et l'autre en s'abaissant. Des sondes ont été poussées à une distance de quatre-vingt-dix-sept pieds, sans qu'on en ait atteint l'extrémité. Il est assez probable qu'ils arrivaient anciennement à la surface extérieure.
Quels en étaient le but et l'usage ? Au moment où le corps du roi Chéops fut déposé dans son tombeau, des hommes se dévouèrent-ils à sa garde et furent-ils enfermés avec lui ? Ces conduits étaient-ils destinés à leur donner de l'air et des aliments ? Ou bien servaient-ils, au moyen de quelques procédés, à produire des effets d'acoustique qui passaient pour des oracles ? Il n'y a guère de solution à obtenir, ni d'explications satisfaisantes à donner.
Une autre chambre sépulcrale existe au dessous de la première : c'est à ces deux chambres, aux deux conduits dont je viens de parler, au canal étroit qui sert de chemin pour pénétrer, et à un puits profond qui descend jusqu'au niveau du Nil, que se bornent toutes les découvertes faites dans cette pyramide, dont l'érection paraîtrait aujourd'hui au-dessus des forces des plus grandes sociétés européennes, et qui fut l'œuvre, plusieurs fois renouvelée, d'un petit peuple.
La seconde pyramide est à peu près de la même grandeur que la première ; à la vue on ne remarque aucune différence. Seulement les matériaux sont moins beaux, les pierres de plus petites dimensions, les assises moins régulières, et la maçonnerie n'est pas aussi soignée.
Toutes les dégradations que ces monuments ont subies sont l'ouvrage des hommes beaucoup plus que celui des siècles. Cependant, dans toutes les pyramides, les arêtes tournées vers le sud-est et le nord-ouest sont les plus dégradées. C'est un effet singulier qui doit être le résultat de l'action de l'atmosphère et de la direction des vents.
Cette seconde pyramide fut ouverte par Belzoni. Comme dans la première, des couloirs rapides et étroits conduisent à une chambre sépulcrale où se trouvait un sarcophage, dont le couvercle était brisé. Il renfermait des ossements que l'on a jugé être ceux d'un bœuf, ce qui autoriserait à penser que le dieu Apis partageait quelquefois avec les rois d'Égypte la gloire d'avoir une pyramide pour tombeau. Une inscription arabe fit connaître à Belzoni que cette pyramide avait déjà été ouverte du temps des califes.
La troisième est d'une dimension beaucoup plus petite ; mais les matériaux qui ont servi à l'élever sont aussi beaux que ceux de la grande, et de plus elle était revêtue, non de pierres calcaires, mais de morceaux de granit rouge qui gisent encore auprès d'elle ; ils n'ont pu se trouver ainsi amoncelés que par les barbares qui ont détruit ces monuments.
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