mercredi 19 mai 2010

"Au cœur d'une pyramide - Une mission archéologique en Égypte", de Michel Valloggia

Comportant quelques considérations générales sur les pyramides memphites, puis sur le déroulement et les fonctions d'une mission archéologique en Égypte, cet ouvrage - le catalogue d'une exposition qui s'est tenue en 2001 au Musée romain de Lausanne-Vidy - est essentiellement consacré au complexe funéraire d'Abou Rawash, et plus particulièrement à la pyramide de Djédefrê (Radjedef), un site que connaît bien l'archéologue suisse Michel Valloggia, auteur de l'ouvrage et commissaire de l'exposition, puisqu'il est le directeur de la mission franco-suisse à l'œuvre sur place.
Djédefrê reste un personnage peu connu de l'histoire pharaonique. Fils de Khéops, ayant accédé à sa succession de façon légitime ou non, il régna quelque 25 années (2580-2555 ?). On sait également de lui qu'il se fit l'apôtre du dogme hiélopolitain : il revendiqua ainsi le titre de "fils de Rê". Mais pourquoi opta-t-il pour le site d'Abou Rawash, à 8 km au nord de Guizeh, délaissant le plateau de Guizeh pour y faire construire sa propre pyramide ? (1)
Les diverses campagnes de fouilles du complexe funéraire n'ont pas été facilitées, dans la mesure où le site a été utilisé comme tour de guet du temps des Romains, avant d'être exploité comme carrière pour la construction des monuments cairotes, puis de servir de camp militaire à la fin du XXe siècle


Pyramide de Djédefrê, photo de Jon Bodsworth (Wikimedia commons)

En dépit de ces difficultés, somme toute familières aux archéologues patentés, les fouilles d'Abou Rawash ont apporté, selon Michel Valloggia, des révélations majeures sur la logique constructive des pyramides prises globalement, notamment celles de la IVe dynastie.
Si la partie supérieure de la pyramide est aujourd'hui totalement détruite, son infrastructure n'en apparaît que plus clairement : les bâtisseurs égyptiens choisissaient leur site de construction compte tenu des fondations naturelles qu'offrait un tertre rocheux. "L'établissement d'une coupe longitudinale, écrit Michel Valloggia, sur l'ensemble des superstructures et infrastructures a apporté, pour la première fois dans la discipline, d'intéressantes précisions sur la construction d'une pyramide. Ainsi, au nombre des paramètres requis pour le choix d'un site, la présence d'un massif rocheux pourrait bien avoir joué un rôle important, négligé jusqu'ici."
"Négligé jusqu'ici" ? Les spécialistes apprécieront... Toujours est-il qu'à Abou Rawash, la masse naturelle représentait 44% du volume total de la pyramide et que "la récupération des pierres de la pyramide, systématiquement menée depuis l'Antiquité, s'est évidemment interrompue à l'altitude supérieure du rocher".
Deuxième révélation : à la base des faces de la pyramide de Djédefrê, les bâtisseurs égyptiens ont aménagé "un lit de fondation déversé, taillé dans le rocher suivant une pente moyenne d'environ 12°. Il s'agit d'un dispositif bien attesté pour la IVe dynastie, notamment dans les assises de fondation de la pyramide satellite nord-est du complexe de Chéops à Gîza. Ce procédé, qui prévient le glissement des assises édifiées contre le noyau de calcaire, illustre clairement la maîtrise des constructeurs confrontés aux lois de la statique."
Bien que délaissé et longtemps ignoré, le site d'Abou Rawash "renferme tous les éléments constitutifs des grands tombeaux royaux de la IVe dynastie : un temple d'accueil, une chausse montante et une enceinte bâtie autour d'aménagements monumentaux".


Pyramide de Djédefrê - la "descenderie" - photo de Jon Bodsworth
 (Wikimedia commons)


Afin de compléter cette présentation de l'ouvrage, j'ai adressé un message à Michel Valloggia, où je lui posais les questions suivantes :
– quels sont les éléments découverts à Abou Rawash, que l'on ne connaissait pas déjà par d'autres fouilles précédentes sur les autres pyramides memphites, qui permettent de mieux appréhender la "logique constructive" de ces pyramides ?
- pourquoi Radjedef n'a-t-il pas choisi, pour la construction de sa pyramide, le plateau de Guizeh ? Était-il rejeté (par le clergé égyptien ?) pour sa défense du culte hiélopolitain ?
- les vestiges de la pyramide de Radjedef permettent-ils de percevoir ou induire la configuration de cette pyramide dans son élévation ?

Michel Valloggia a eu l'obligeance de me répondre en ces termes :
Cher Monsieur,
Votre message m'est bien parvenu et je vous en remercie. En fait, le catalogue d'exposition auquel vous faites allusion date maintenant de plus de dix ans ! Depuis, sept autres campagnes de fouilles ont eu lieu avec d'importants résultats ; notamment la découverte d'une pyramide satellite, destinée à l'épouse du roi, avec du matériel inscrit au nom de Chéops ... De plus, l'ensemble du complexe funéraire a été dégagé, apportant son lot d'informations sur la conception des complexes funéraires de la IVème dynastie. Les travaux de terrain sont maintenant terminés et mon rapport final est sous presse, à l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire. Ces deux volumes devraient paraître avant la fin de cette année apportant, je pense, toutes les réponses à vos questions. Publié avec deux de mes collaborateurs MM. J.Bernal et C.Higy, intitulé : "Le complexe funéraire royal de Rêdjedef à Abou Rawash : Étude historique et architecturale", cet ouvrage entrera dans la collection scientifique de l'IFAO et vous pourrez, sans doute, le trouver prochainement en bibliothèque.


(1) "Selon Michel Baud, il n'est pas si étonnant que le pharaon ait choisi un site différent de celui de son père. En réalité, ce qui est étrange, c'est plutôt la volonté de Khéphren, le demi-frère de Djédefrê, de se faire inhumer près de Khéops. L'égyptologue français ajoute que, contrairement à l'idée reçue, la structure de la pyramide elle-même ne présente rien d'inhabituel. Les chercheurs évaluent l'angle du monument entre 50° et 52° degrés, soit une pente équivalente à celle de la pyramide de Khéops." (Heritage Key, via Historizo, sous la signature d'Esperluette)

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