Je n'ai trouvé aucune information sur Louis Malosse (1870-1896), l'auteur de l'ouvrage Impressions d'Égypte, édité en 1896, dont est extrait le texte ci-dessous.
Il est en tout cas évident que la construction des pyramides d'Égypte représente, aux yeux de ce jeune voyageur français, un mystère impénétrable ne donnant lieu à aucune improvisation, toujours malvenue en la matière. Par contre, l'auteur traduit admirablement les sensations qu'il éprouve face aux "trois colosses de l'antiquité", avec un brin de poésie et une fraîcheur du sentiment qui célèbrent, à leur manière, l'art des bâtisseurs de jadis.
photo Nina Aldin Thune - Wikimedia commons - GNU Free Documentation License
"J'ai connu un Anglais qui avait parcouru le monde et qui se plaisait à dire que rien dans l'œuvre de Dieu ne l'avait frappé d'étonnement. (…) Il n'emportait des sites qu'il avait visités qu'une amère déception, des couchers de soleil et des nuits étincelantes qu'il avait contemplés qu'un souvenir médiocre. (…)
Peut-être aussi n'avait-il vu de l'Égypte que le canal de Suez ?... Je crois qu'il est difficile à l'homme qui a vu les pyramides campées à la lisière du désert de Libye et de la plaine fertile du Nil, avec, dans le fond, le Caire et tous ses minarets gardant comme des sentinelles la colline sablonneuse du Mokattam, de formuler une appréciation aussi sèche et aussi décevante. Je ne parle pas des pyramides vues un matin dans une brusque et première apparition. Elles désillusionnent plutôt. Je crois qu'aucun esprit, même le plus prévenu, n'est à l'abri de cette impression quelque peu triste qui se traduit souvent par cette phrase désenchantée : Comment ! Ce n'est que ça !...
Nos lectures nous ont trop représenté les pyramides comme des masses fabuleuses, pour qu'elles nous satisfassent tout d'abord. L'Anglais sceptique ne les avait probablement vues que sous ce jour. Il avait oublié qu'en Orient, la nuit est la grande réparatrice des choses, que c'est elle qui fait paraître sublimes les spectacles qui sont moroses dans la journée. Il ne savait pas que l'Égypte est un pays qu'il faut voir à l'approche de la nuit, après le soleil couchant, à l'heure où tout prend des proportions fantastiques, où il n'est rien qui ne revête une apparence magique. S'il avait vu les pyramides rougies par les derniers reflets de l'astre et grandies démesurément dans ce flamboiement du ciel et du désert par une puissance invisible, il se serait incliné devant les splendeurs de la nature, il aurait proclamé la grandeur du créateur qui sut préparer de tels cadres aux futures œuvres grandioses de l'homme. (...)
Certes, les pyramides sont intéressantes par elles-mêmes. Elles le sont encore davantage cependant par les souvenirs qu'elles évoquent. Des siècles d'histoire revivent en elles et par elles. On voit comme à travers une lueur les âges reculés où elles furent édifiées à la gloire d'un pharaon. La longue série des dynasties gravitant autour d'elles comme le point central de la civilisation égyptienne, comme le plus ancien monument de l'art pharaonique, se déroule dans un réveil brusque du passé. Puis viennent les conquérants, ceux de Perse et ceux de Syrie, ceux de Grèce et ceux de Rome. L'esprit rappelle les Ptolémées, les légions de Pompée et celles d'Antoine, les hordes fanatiques accourues de la Mecque, puis les chevaliers des croisades, et enfin les brigades françaises, les vétérans des armées de la République, ceux mêmes qui, enflammés par le mot sublime de leur général en chef, anéantirent devant les trois colosses de l'antiquité la cavalerie des Mamelucks.
Cette accumulation de pierres ordonnée par un pharaon autour de la chambre qui lui servira de tombeau semble fabuleuse. Le mystère qui plane sur les moyens employés pour la construction grandit encore la fable. Le génie de ces hommes, de ceux qui firent exécuter comme de ceux qui exécutèrent ces colossaux hypogées, reste impénétrable. On se sent écrasé par cette œuvre de granit qui a défié le temps et les destructeurs. Et pourtant, il s'en fallut de peu que l'une s'écroulât sous la main des hommes. (…)
Il faut à tous ces monuments de l'antiquité égyptienne la sécheresse du sable. Le désert seul leur convient comme décor. Les masses de pierre ne s'harmonisent sous ce grand soleil de feu qu'avec le sable doré ou rougi par lui. Les pyramides sont restées hors des atteintes du Nil. Le limon fertilisant n'est pas allé jusqu'à elles. Comme au temps où elles furent bâties, elles reposent toujours sur des rochers de granit ensevelis sous les sables du désert. Derrière elles s'étend toujours l'immense plaine morne.
Et pourtant, là, sur cette limite de deux mondes, le désert et la plaine verte, au pied de cette falaise rocheuse qui supporte les plus célèbres monuments du passé, des spéculateurs ont construit à la hâte, dans la fièvre du gain, sans souci de la légende antique et de la grandeur du site, un hôtel plusieurs fois agrandi, où les jeunes misses trouvent à cinq heures le thé qui leur est cher, et les jeunes sportsmen le lawn-tennis où ils peuvent exercer leurs muscles et leur adresse. Le progrès n'a rien épargné. Une société industrielle n'a-t-elle pas récemment demandé la concession d'un funiculaire conduisant au sommet de la Grande Pyramide ! (…)
L'heure de la féerie suit celle qui voit le soleil disparaître derrière l'horizon de sable. Les trois masses de granit deviennent prodigieusement énormes. Elles se détachent alors très noires sur un fond pourpre. Il se produit un phénomène d'incendie lointain se développant autour des colosses de plus en plus sombres. Un tel spectacle épouvantait jadis les peuples envahisseurs qui le voyaient pour la première fois. Il confond encore notre admiration. Il impose, malgré ce qu'a pu dire un voyageur sceptique, un enthousiasme juste pour l'œuvre de la nature."
Source : Gallica
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