vendredi 21 mai 2010

Inventaire des chaussées du site de Guizeh, par Edme-François Jomard (XIXe s.)

J'ai déjà présenté sur ce blog quelques textes d'Edme-François Jomard (1777-1862), extraits de la Description de l'Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'armée française (1829, tome V), éditée par Charles Louis Fleury Panckoucke .
Dans ce nouvel extrait, j'ai regroupé deux passages de l'ouvrage où il est question des chaussées attenantes aux pyramides. L'auteur les énumère, puis se risque à une interprétation de leur fonction, en faisant référence - comme par hasard !- à Hérodote.
Illustration extraite de la Description de l'Égypte

"L'édifice que je viens de décrire [le 'monument de l'est', jouxtant la troisième pyramide de Guizeh] est d'autant plus remarquable qu'il est lié et fait suite à une chaussée en pente, dirigée comme lui sur l'axe de la troisième pyramide : cette chaussée est un autre ouvrage bien digne des Égyptiens. Sa largeur est de 14m 2 (environ 44 pieds), et sa longueur, 260 mètres (801 pieds environ), mesurée sur la pente, laquelle est de plus de 1 pour 15. En y comprenant ce que j'ai appelé le vestibule, la longueur totale serait de 291 mètres (897 pieds environ).
Au bout de ce grand plan incliné est une autre rampe encore plus inclinée, tournant au sud-est. Cette partie n'est point construite, mais la première est soutenue dans toute sa longueur, et des deux côtés, d'un mur bâti en assises régulières. Les pierres en sont encore plus longues que celles du monument de l'est : si je ne me trompe, j'en ai vu de 8 à 10 mètres (25 à 30 pieds) de long. Au sommet de la pente, ce mur de soutènement a 13 ou 14 mètres et six assises de haut ; les pierres ont jusqu'à 2 mètres et plus d'élévation.
On ne peut nier que cette construction ne mérite de figurer à côté des grands ouvrages des Égyptiens ; mais elle ne présente point aujourd'hui tout l'intérêt dont elle serait susceptible si l'on en connaissait la destination. Sans doute il est probable que c'est l'une des chaussées sur lesquelles, selon Hérodote, furent charriées les pierres des pyramides, (1) et ici la vraisemblance est qu'elle servit particulièrement à conduire les blocs de granit destinés à revêtir la Troisième.
Ces blocs, selon moi, furent apportés par eau sur le canal occidental, ancien bras du Nil, jusqu'à un village tout voisin, Koum el-Eçoued (la butte noire) , qui est dans la direction de la chaussée, et où l'on trouve aujourd'hui des ruines. Son nom est peut-être de tradition, il ne serait pas sans rapport avec la couleur des pierres, qui, suivant les anciens, y furent transportées de l'Éthiopie, c'est-à-dire des carrières voisines de Syène. Pourquoi les aurait-on fait venir par le fleuve même, pour se mettre dans la nécessité de les transporter ensuite par terre, à travers un espace de deux lieues au moins d'étendue ? Ma conjecture est bien confirmée par les restes d'une chaussée de même longueur que la précédente, à 600 mètres environ de distance et dans la même direction, et qui semble avoir fait suite à celle de la Troisième pyramide. (…)
Il me reste, pour finir cette description, à parler succinctement de quelques autres vestiges d'antiquité que l'on observe sur le site des pyramides, en commençant par les chaussées. Déjà , en traitant de la troisième pyramide, j'en ai décrit une très bien conservée ; une autre, qui peut-être lui faisait suite, longue aussi de 260 mètres, est à l'est, à peu près dans la même direction et fort peu éloignée du terrain cultivé. (2)
Une dernière se voit à l'est de la Grande pyramide ; elle est coudée et touche à la plaine ; sa longueur est d'environ 400 mètres ; la première partie est dirigée vers l'angle sud-ouest du monument, la seconde au milieu de la face de l'est. Cette chaussée est très ruinée, mais on la suit bien sur le terrain. Peut-être est-ce le reste de celle qui, selon Hérodote, avait 5 stades de long (ou 924 mètres). Il la regardait comme un ouvrage presque aussi considérable que la pyramide ; elle avait servi, dit-il, à transporter les pierres tirées de la montagne Arabique. Comme l'historien nous en donne toutes les mesures, il est facile d'apprécier son assertion : la largeur était de 10 orgyies ou 18m 72 ; sa plus grande hauteur était de 8 (14m 98). Ainsi, supposé la base horizontale, la pente de ce plan incliné n'était guère que de 1 pour 60, le quart seulement de celle de la première chaussée ; mais le texte même d'Hérodote s'opposerait dans ce cas à ce qu'on admît une pente aussi faible ; car le plateau des pyramides était, dit-il, à cent pieds au-dessus de la plaine, c'est-à-dire 16 orgyies 2/3, faisant 30m 8. Or, la distance de la pyramide (du milieu de la face de l'est) à ce même point n'est que de 700 mètres. Quand même on le reculerait assez pour trouver les 5 stades ou 3000 pieds, la pente totale aurait été de 1 pour 30 ; tellement que la plus grande hauteur, toujours suivant le même calcul, devait être plutôt 18 orgyies que 8. Mais il est probable que la chaussée avait été construite sur un sol en pente, c'est-à-dire sur le versant de la montagne. Quant à la comparaison du travail avec celui de la pyramide même, à ne considérer que le cube de pierres, on trouve qu'elle a bien peu de fondement, puisqu'un des solides fait au plus la vingtième partie de l'autre : je reviendrai sur ce passage d'Hérodote."

(1) Suivant M. Gratien Le Père, on trouve sur le parement de ces chaussées des figures d'animaux et d'autres sculptures hiéroglyphiques ; il en conclut qu'elles n'ont pas été construites seulement pour le transport des pierres, et qu'elles avaient un objet religieux, qu'elles servaient à des cérémonies : s'il a aperçu ces figures sur la chaussée de la troisième pyramide, ce qu'il n'explique pas, cette observation m'aurait échappé, mais ce voyageur ne dit pas les avoir vues lui-même.

(2) M. Gratien Le Père pense qu'elle n'a pas servi au transport, mais que c'était une digue bâtie pour rejeter le Nil vers l'est; mais c'est au sud, et non au nord Memphis que fut construite la digue destinée à cet usage

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