jeudi 13 mai 2010

"Les chambres sépulcrales sont ordinairement creusées dans le roc vif ; et les pyramides ont été construites massivement au-dessus" (un dictionnaire du XIXe s.)

Pour pouvoir "briller en société", ou plus couramment pour accéder au statut d'"honnête homme", il fut un temps où il était de bon ton de posséder le dictionnaire ou l'encyclopédie récapitulant le minimum des connaissances nécessaires dans tous les domaines du savoir. "Avoir de la conversation" faisait partie des règles du savoir-vivre.
Dans le sillage des découvertes réalisées par les savants que Bonaparte avait emmenés dans ses bagages, l'Égypte était ainsi dans l'air du temps, à la mode pourrions-nous dire, aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle devenait même une destination privilégiée du tourisme naissant. En témoignent les très nombreuses publications de l'époque traitant d'égyptologie et dont ce blog se fait modestement l'écho.
C'est le cas de l'ouvrage dont on lira ci-dessous quelques extraits : Dictionnaire de la conversation et de la lecture - Inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, par une société de savants et de gens de lettres, sous la direction de W.Duckett, tome quinzième, 1857.
Certes, le tableau dressé par ce dictionnaire ne représente qu'un résumé de ce qu'il fallait savoir pour être de son temps, selon une technique éditoriale classique : proposer l'essentiel des connaissances, tout en suggérant des pistes pour un inventaire plus détaillé (ici : les écrits de Vyse), sans oublier le petit coup de griffe de la critique à notre cher Hérodote, taxé d'exagération dans ses évaluations.

 Photo Marc Chartier


"Pyramides. On appelle ainsi les tombeaux des anciens rois d'Égypte, construits à quatre pans sur une surface carrée, et se terminant en pointe : on désigne sous la même dénomination les corps qui offrent la même configuration. Les Arabes donnent aux pyramides le nom d'Haram, au pluriel Haramât, ce qui en y ajoutant l'article égyptien pi expliquerait la formation du mot pyramis (dérivé de Pharam). Quant au nom que les Égyptiens donnaient à ces monuments, on l'ignore.
Les plus nombreux et les plus grands de tous sont situés en Égypte, sur la rive occidentale du Nil, à partir du Caire jusqu'au Fayoum. Dans cet espace du désert on retrouve encore aujourd'hui la trace de soixante-sept pyramides. Chacune d'elles servait de sépulture à un roi, et il y en avait de dimensions moindres, à l'usage des divers membres de la famille royale. Les tombeaux particuliers, ceux même des princes, avaient, au contraire, la forme d'un carré oblong et la partie supérieure en était plate. Toutefois, cet usage d'élever des pyramides aux rois n'exista que dans l'ancien royaume d'Égypte, jusque vers l'an 2000 av. J.-C. On ne connaît pas une seule pyramide de roi qui date du nouveau royaume. Il existe cependant de cette époque diverses petites pyramides en briques, à Thèbes. En revanche, cet usage s'introduisit à partir du septième siècle av. J.-C. en Éthiopie, où l'on trouve dans l'île Méroé et dans les grands champs des morts situés aux approches du mont Barkal la forme des pyramides, non pas réservée seulement pour les tombeaux des rois, mais généralement appliquée.
Les groupes de pyramides d'Abou-Roasch, de Ghizeh, d'Abousir, de Sakkara et de Dahschour, appartenaient tous aux rois des dynasties de Memphis ; les plus anciens, ceux de Dahschour, à la troisième ; les plus grands, ceux de Ghizeh, à la quatrième ; les autres, aux dynasties suivantes ; ceux des environs du Fayoum, vraisemblablement à la douzième. Toutes ces pyramides furent construites entre l'an 3500 et l'an 2100 av. J.-C. Un fait bien remarquable, c'est qu'il n'en est pas fait la moindre mention par la Bible, non plus que par Homère.
Les deux plus grandes sont celle de Chéops (le Choufou des monuments) et celle de Céphren (le Chafra des monuments), de la quatrième dynastie manéthonienne. "Pour se rendre aux grandes pyramides, qu'on aperçoit sur sa droite quand on les regarde du haut de la citadelle du Caire, dit un voyageur moderne, il faut passer le Nil et prendre par le village de Ghizeh, aujourd'hui bien délabré, et dont Léon l'Africain, au commencement du seizième siècle, fait une ville très florissante. De loin, et à mesure qu'on s'en rapproche, elles produisent assez peu d'effet ; et l'on serait presque tenté de s'écrier : Comment ! ce n'est que cela ! Mais après avoir fait un kilomètre à peu près dans le sable, sans que le regard s'en détache d'une seconde, elles grandissent tout à coup à des proportions immenses ; et quand on arrive enfin à leur base, on est comme atterré, foudroyé, anéanti d'étonnement."
Les dimensions données par les anciens et par les modernes les plus exacts sont fort diverses, suivant le niveau où on les a prises et aussi suivant l'habileté de ceux qui ont mesuré et selon la nature de leurs instruments. Nous adopterons ici celles qui ont été indiquées par le colonel H. Vyse, dans son ouvrage intitulé The Pyramides of Ghizeh ( 3 vol. de texte et 3 vol. d'atlas, Londres, 1839-1842) ; et, réduisant ses estimations en mesures françaises, nous dirons que la grande pyramide, celle de Chéops, doit avoir sur chaque face de sa base, en chiffres ronds, 240 mètres ; la hauteur verticale est de 150 mètres et de 183 sur l'inclinaison de 51° 50' qu'ont les côtés. Il est facile de se rendre compte de la masse colossale, prodigieuse, résultant de ces dimensions multipliées les unes par les autres.
Simple écho de la tradition, Hérodote rapporte que Chéops mit près de trente ans à construire la Grande Pyramide. Il évalue à 370.000 le nombre des ouvriers qu'elle occupa à la fois, et qui se relayaient tous les trois mois par immenses escouades.
Il y a bien sans doute quelque exagération dans ces évaluations, comme aussi lorsqu'il dit qu'une inscription hiéroglyphique qu'il se sera fait expliquer, constate que la nourriture seule des ouvriers en oignons et en légumes avait dû représenter une somme équivalente à 5 millions de notre monnaie. Or, fait observer avec beaucoup de justesse le voyageur que nous avons déjà cité, "on ne vit pas de légumes et d'oignons seuls, même en Égypte, surtout lorsqu'on charrie des pierres comme celles des pyramides ; et l'on peut par ce seul article juger de ce que devait faire l'ensemble de tous les autres." Car à ces dépenses il faut ajouter le salaire des ouvriers, si minime qu'il fût, et la main-d'œuvre, fût-elle alors à peu près pour rien, comme elle l'est encore aujourd'hui en Égypte ; de même qu'il faut tenir compte de la valeur des matériaux employés, du calcaire, du granit, du marbre, du porphyre, de la syénite, etc.
La pyramide de Céphren a 201 mètres 66 centimètres à sa base et 632 mètres 66 centimètres de haut. La troisième pyramide, celle de Minchéris (le Menkera des monuments), successeur de Céphren, construite à peu de distance de la seconde, est beaucoup plus petite ; elle n'a que 118 mètres à sa base et 67 mètres de hauteur. Les pyramides, en pierres et plus anciennes, du Dahschour atteignent presque les dimensions des deux grandes pyramides de Ghizeh. Les chambres sépulcrales sont ordinairement creusées dans le roc vif ; et les pyramides ont été construites massivement au-dessus. C'est par exception que quelques salles ont été ménagées dans l'intérieur de la construction massive, comme par exemple dans la pyramide de Chéops.
Toutes les pyramides présentent leurs pans fort exactement orientés vers les quatre points cardinaux ; la plupart sont construites en pierre, et beaucoup aussi en briques noires provenant du Nil ; mais celles-ci, quand elles étaient terminées, recevaient également un revêtement en pierres lisses et polies, revêtement dont les pyramides de Ghizeh ne furent dépouillées par les Arabes qu'au quatorzième siècle de notre ère. La seconde pyramide a encore vers son sommet une partie de son revêtement, qui est de granit, tandis que celui de la Pyramide de Chéops devait être de marbre, à ce qu'on suppose. Hérodote, témoin oculaire, rapporte que les pierres dont se composaient le revêtement n'avaient pas moins de 10 mètres de long. À la grande pyramide on ne compte pas moins de deux cent trois assises de pierres magnifiques, superposées, sans que d'ailleurs ces assises, toutes en retraite les unes sur les autres, aient partout la même épaisseur. Cette épaisseur varie entre 66 centimètres et 1 mètre 33 centimètres. Selon Hérodote, ces assises ou étages servaient à établir les machines en bois destinées à monter les pierres d'un étage à l'étage supérieur. Les pyramides ne purent être bâties qu'à l'aide de plans inclinés immenses, sur lesquels on roulait successivement les pierres employées à leur édification et qu'il fallait tirer de plus de 80 myriamètres de là, de Silsileb, dans la Haute-Égypte. Sans doute on leur faisait descendre le Nil ; mais en raison des moyens, encore si imparfaits, dont disposait alors la mécanique, on peut juger ce qu'un tel transport a pu coûter. Quelles misères, quels efforts humains ne suppose-t-il pas ! "

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