samedi 8 mai 2010

Les pyramides : "des tombeaux massifs, hermétiquement clos, et rien de plus" (J.-B. H. de Vaujany – XIXe s.)

Jean-Baptiste Henry de Vaujany fut directeur des études à l'école des langues du Caire. Dans son ouvrage à caractère encyclopédique Le Caire et ses environs, caractères, mœurs, coutumes des Égyptiens modernes, édité en1883, il consacre un long chapitre aux pyramides de Guizeh. J'en propose ci-dessous de larges extraits que j'ai scindés en cinq parties :
1 - mode de construction des pyramides ;
2 - leur destination ;
3 - description détaillée de la pyramide de Khéops (avec référence à un plan joint, pas très lisible.... mais on s'y retrouve quand même si l'on a quelque connaissance de la configuration de l'édifice) ;
4 - narrations et affabulations des historiens arabes ;
5 - de l'art et de la manière de dépister les violateurs.
"Les pyramides sont a environ douze kilomètres de la place de l'Esbékieh et à huit kilomètres et demi du Nil. (...) 

Le champ des pyramides s'étend depuis Abou-Rouch, au nord et près du plateau de Giseh, jusqu'à Illahoun, dans le Fayoum. Tout cet immense terrain appartient à la nécropole de Memphis. Les pyramides sont disposées par groupes plus ou moins espacés, qu'on distingue par le nom des villages actuels qu'ils avoisinent, c'est-à-dire, en allant du nord au sud, Abou-Rouch, Giseh, Abousir, Saqqarah, Dachour, Matanièh et Meïdoum, De tous ces monuments, les plus grands et les plus connus sont les trois pyramides de Giseh. La pierre est la matière employée pour les construire, sauf de rares exceptions que l'on rencontre à Dachour au Fayoum et à Thèbes, où quelques-unes sont en briques crues.
Les pyramides ne sont autre chose que des constructions tumulaires. Pour les élever on préparait sur le roc une surface unie, en ayant soin de laisser au centre une petite éminence sur laquelle l'édifice devait être commencé. Une chambre sépulcrale était d'abord creusée dans le roc, puis recouverte par une petite pyramide autour de laquelle on ajoutait successivement plusieurs couches extérieures ; on augmentait ainsi, par chaque construction nouvelle, les dimensions du monument, en ayant soin de ménager au fur et à mesure de son extension, les couloirs intérieurs. Les travaux étaient subordonnés à la durée de la vie du fondateur, et immédiatement après sa mort, son corps était placé dans la chambre qui lui avait été préparée. On comblait ensuite les couloirs avec des blocs de pierre, et l'on terminait la pyramide par un revêtement lisse qui en cachait l'entrée.
Souvent même, par surcroit de précautions, pour mieux mettre la momie à l'abri de toute violation, on avait soin d'établir dans l'intérieur plusieurs passages destinés à donner le change, si l'entrée extérieure était découverte.  

On a beaucoup discuté sur la destination des pyramides, et, sans qu'on sache trop pourquoi, c'est toujours la pyramide de Khéops qui a servi de base et de point de départ aux suppositions ; cependant il n'y a pas de raison pour que ce monument ait eu un autre objet que les soixante et quelques autres semblables que l'on trouve en Égypte, tous situés dans les nécropoles et renfermant tous des sarcophages.
Plusieurs théories plus fausses les unes que les autres ont été émises au sujet de ces gigantesques monuments ; certains voyageurs se sont formé une opinion personnelle et l'ont publiée. Des ouvrages ont été écrits pour prouver que les pyramides, et surtout la grande, étaient destinées "à servir d'étalons pour toutes les mesures en usage chez les Égyptiens, et pour faciliter les observations astronomiques" ; on a même essayé de démontrer que ces masses énormes n'avaient été bâties que "pour arrêter l'envahissement des sables du désert" ou pour "guider les caravanes et les navigateurs du Nil"... Ces diverses opinions, surtout les deux dernières, sont complètement dénuées de bon sens et ne méritent pas d'être réfutées.
On a pu autrefois ignorer la véritable destination des pyramides ; mais aujourd'hui toutes les autorités sont d'accord pour reconnaître que ce sont des tombeaux massifs, hermétiquement clos, et rien de plus. Chacune d'elles (au moins celles qui ont servi à la sépulture d'un roi) avait un temple extérieur qui s'élevait à quelques mètres en avant de la face orientale. Le roi déifié comme une sorte d'incarnation de la Divinité, y recevait un culte. "Les pyramides, dit M. Mariette, sont l'enveloppe gigantesque et à jamais impénétrable d'une momie, et une seule d'entre elles aurait montré à l'intérieur un chemin accessible d'où, par exemple, des observations astronomiques auraient pu être faites comme du fond d'un puits, que le monument aurait été ainsi contre sa propre destination. En vain dira-t-on que les quatre faces orientées dénotent une intention astronomique ; les quatre faces sont orientées parce qu'elles sont dédiées, par des raisons mythologiques, aux quatre points cardinaux, et que dans un monument soigné comme l'est une pyramide, une face dédiée au nord, par exemple, ne peut pas être tournée vers un autre point que le nord. Les pyramides ne sont donc que des tombeaux, et leur masse immense ne saurait être un argument contre cette destination, puisqu'on en trouve qui n'ont pas six mètres de hauteur. Notons d'ailleurs qu'il n'est pas en Égypte une pyramide qui ne soit le centre d'une nécropole, et que le caractère de ces monuments est par là amplement certifié."
 
Pyramide de Khéops
Le personnage le plus remarquable de la IVe dynastie, environ quarante siècles avant notre ère, est le roi Khéops, que les textes contemporains appellent Khoufou. C'est lui qui fit élever, pour lui servir de tombeau, la plus grande et la plus remarquable des pyramides que possède l'Égypte.
Khéops fit la guerre aux nomades d'Arabie et défendit victorieusement contre leurs attaques les établissements militaires que Snefrou, son prédécesseur, avait fondés dans la péninsule sinaïtique. Les prisonniers faits dans cette campagne furent sans doute employés, d'après l'usage, à aider aux travaux de la pyramide qu'il fit élever.
Hérodote, qui visita l'Égypte il y a environ vingt-trois siècles, raconte que Khéops fit endurer au peuple toutes sortes de misères, et que le souvenir des peines qu'avait coûté l'érection des pyramides s'était conservé à travers les âges dans la mémoire des Égyptiens.
(Après deux longues citations d'Hérodote et de Diodore de Sicile, l'auteur poursuit :)

L'entrée de la pyramide de Khéops se présente aujourd'hui sous la forme d'une ouverture à peu près carrée qui se trouve à la troisième assise, à environ 18 mètres du sol. Le couloir D, où l'on s'engage, a 1 mètre 20 de hauteur sur 1 mètre 06 de largeur ; il descend en pente douce par une inclinaison de 26° 41'. À 77 mètres de l'orifice extérieur, le couloir devient horizontal, tout en conservant ses mêmes dimensions. On avance encore de 8 mètres et l'on arrive à une chambre carrée C de 6 mètres de côté sur 4 de haut. Cette chambre dont rien n'indique l'emploi, et qui du reste parait avoir été inachevée, est à peu de chose près dans le grand axe vertical de la pyramide, à 32 mètres au-dessous de sa base, qui elle-même est à 30 mètres au-dessus des eaux moyennes du Nil.
Au fond et en face de l'entrée s'ouvre une nouvelle galerie horizontale D qui se dirige vers le sud sur une longueur de 16 mètres, mais elle n'aboutit à rien. En 1837, le colonel Wyse y fit creuser un puits à une profondeur de 11 mètres sans rien découvrir dans le sol inférieur. Au dire d'Hérodote, les eaux du Nil étaient amenées dans cette chambre par un canal souterrain ; le fait est possible, puisqu'elle se trouve à 2 mètres au-dessous du fleuve ; telle était peut-être l'intention du fondateur de la pyramide, mais à en juger par l'irrégularité des parois du caveau, les travaux furent sans doute abandonnés avant d'avoir commencé le canal qui devait communiquer avec le Nil.
La galerie qui conduit à la chambre souterraine est aujourd'hui comblée par les sables jusqu'au point O, c'est-à-dire à 25 mètres de l'entrée. En cet endroit, se trouve un bloc de granit qui ferme l'orifice d'une seconde galerie E. Ne pouvant forcer ce bloc, on l'a tourné (à une époque inconnue) en pratiquant un passage P à travers la masse même de la maçonnerie. On a découvert ainsi un couloir ascendant de 35 mètres de longueur. Au point G, la galerie devient beaucoup plus spacieuse, et une nouvelle bifurcation se présente.
En suivant le couloir horizontal H, qui est de la même longueur que celui que l'on vient de quitter, on arrive à la chambre I, dite de la Reine, placée exactement dans l'axe vertical de la pyramide, à 22 mètres au-dessus du niveau du sol ; sur le côté occidental de ce couloir est l'ouverture d'un puits presque entièrement comblé qui communique avec le couloir B.
En revenant au point de bifurcation G, on s'engage dans la grande galerie J, qui est la continuation du couloir E, et l'on arrive, après une ascension pénible de 50 mètres, à un palier R autrefois fermé par quatre grandes dalles de granit glissant dans des rainures, et servant à masquer la chambre K dite du Roi, à 21 mètres et demi au-dessus de la précédente. Cette pièce a 5 m,08 de haut, 10 m,33 de long et 5 m,43 de large ; elle ne contient qu'un sarcophage en granit rouge, sans ornements ni hiéroglyphes ; c'est là qu'était déposée la momie royale. Au-dessus de la chambre sépulcrale, on a découvert cinq petites pièces basses superposées, qui paraissent n'avoir d'autre objet que d'alléger la pression de la maçonnerie supérieure sur le plafond de la chambre royale. C'est là que le cartouche du roi Khéops (Khoufou) a été trouvé.  

L'an 820 de J.-C., la pyramide avait encore son revêtement de granit, couvrant ses quatre faces comme une cuirasse qui l'avait rendue jusque-là invulnérable contre les attaques du temps et des hommes. À cette époque, le khalife Abd-Allah-el-Ma'moun, fils d'Haroun-el-Rachid, en fit. rechercher l'entrée. La tradition, appuyée par le récit des historiens arabes, disait alors que les pyramides avaient été bâties par Saourid ou Soris, roi d'Égypte, qui vivait trois cents ans avant le déluge. Saourid était un grand prince renommé dans tout l'univers pour sa justice et son humanité. Une nuit, il eut un songe dans lequel il vit le ciel renversé sur la terre, toute la création bouleversée, et les astres errer pêle-mêle parmi les hommes qui poussaient des cris effroyables et tombaient par milliers la face contre terre. Saourid comprit que ce rêve annonçait quelque épouvantable cataclysme ; il rassembla tous les prêtres et les magiciens du royaume ; les oracles furent consultés, et ils annoncèrent au roi que ce terrible songe présageait un déluge universel, lequel serait suivi, après bien des siècles, d'un embrasement général où la terre entière périrait par le feu. Alors Saourid ordonna qu'on bâtît les pyramides pour y enfouir, et sauver ainsi de la fureur des eaux, le corps des rois ses prédécesseurs, les archives, les lois du royaume gravées sur l'airain, les tables astronomiques des prêtres, les joyaux de la couronne, le trésor public, en un mot tout ce que l'Égypte possédait de plus rare et de plus précieux.
On se mit à l'œuvre immédiatement, et pour donner plus de solidité aux monuments, on fit venir de Syène, par le Nil, les plus grandes pierres remarquables par leur dureté. Quand les pyramides furent achevées, on y transporta tous les objets qu'elles étaient destinées à conserver. La plus grande surtout renfermait les richesses lés plus précieuses : ce qu'on y avait caché de vases d'or et d'argent, de bijoux, de statues et de pierreries était incalculable ; des monnaies d'or de toutes sortes étaient placées en colonnes ; chaque pièce valait au moins mille dinars (15,000 fr.). Persuadé de l'existence de ces richesses, le khalife ordonna d'ouvrir la pyramide. Les ingénieurs firent attaquer vivement le milieu de la face nord et, en employant le fer, le feu, le vinaigre, on réussit à creuser un passage dans le gros de la maçonnerie, au point S, à quelques pieds au-dessus de la base. Le travail était d'une difficulté extrême ; plusieurs fois les ouvriers découragés renoncèrent d'aller plus loin ; mais les promesses et la violence redonnaient des bras aux travailleurs. La galerie était à une profondeur d'environ trente mètres lorsque la chute accidentelle de quelques pierres produisit un bruit sourd et prolongé, qui partait d'une galerie supérieure voisine. Le vrai passage fut bientôt découvert avec son entrée A placée à 7 mètres et demi à gauche de la ligne du centre. "Alors on pénétra par un chemin difficile dans une chambre tout en granit poli ; huit blocs seulement formaient le plancher, huit le plafond, voûté en auvent, et seize les côtés ; le tout ajusté si habilement qu'il était impossible de faire entier la pointe d'un canif dans les joints. Il y avait au fond de la pièce un grand coffre de pierre ; les chercheurs de trésors crurent qu'il contenait les richesses dont ils avaient ouï parler ; mais leur surprise fut grande et leur désappointement non moins grand encore quand ils virent que ce coffre était vide et sans couvercle... Le peuple murmura alors contre le khalife, blâmant sa sotte avidité, pour laquelle on avait travaillé en vain. El-Ma'moun, ennuyé de ces discours, fit porter secrètement beaucoup de pièces de monnaie que l'on cacha au fond d'une galerie. Les ouvriers trouvèrent ce faux trésor, et, dans leur naïve crédulité, proclamèrent partout qu'ils avaient découvert les trésors des Pharaons."
Un autre historien arabe, Abd-el-Hakim, raconte qu'une statue ressemblant à un homme a été trouvée dans le sarcophage, et que cette statue, qui était probablement la caisse de la momie, renfermait un corps
"avec une cuirasse d'or incrustée de bijoux, portant des caractères tracés avec une plume et que personne n'a compris". Cette version est sans doute erronée : il est certain que la pyramide avait déjà été violée lorsque les ouvriers du khalife y entrèrent, puisque le couloir qu'ils découvrirent au-dessus du leur les conduisit sans difficulté dans la chambre du sarcophage. Les herses de granit qui fermaient l'entrée avaient été brisées, les blocs qui obstruaient les galeries n'existaient plus, et l'énorme monolithe qui marque la bifurcation des couloirs B et E avait déjà été tourné au moyen du passage P.  À quelle époque la pyramide fut-elle violée ? l'histoire n'offre rien de précis à ce sujet. En remontant au delà de l'époque musulmane, rien, pendant les périodes romaine et grecque, ne fait mention d'un pareil acte de vandalisme. Ne serait-ce pas plutôt à Cambyse que l'on pourrait attribuer une semblable profanation ? Lorsque le conquérant perse revint de sa campagne malheureuse en Éthiopie, il dévasta les temples de Memphis et couronna ses œuvres de cruauté "en faisant violer les tombeaux des anciens rois, dont il dispersa les momies..."

Quoi qu'il en soit, les violateurs de la pyramide, comme s'ils avaient voulu cacher leur sacrilège aux générations futures, eurent soin de refermer l'entrée extérieure du monument de manière à ne laisser aucune trace apparente de leur coupable action.
L'intérieur de la pyramide est disposé de manière à dépister les explorateurs et à leur faire prendre le change sur la place réelle de la momie. En suivant le raisonnement de M. Mariette, supposons que l'entrée cachée sous le revêtement soit découverte ; un premier obstacle se présente : ce sont les blocs dont le couloir B est rempli. Réussit-on à les briser et à passer outre, on arrive dans la chambre C. S'aperçoit-on que cette chambre n'est pas la véritable, il faut sonder le couloir B dans toutes ses parties pour trouver le point d'embranchement d'un second couloir qu'on suppose définitif. Mais cette fois c'est à des blocs de granit qu'il faut s'attaquer. D'après la disposition des pierres, on reconnaît que l'endroit cherché se trouve au point O. La place est ici défendue par un énorme monolithe ; briser l'obstacle présenterait des difficultés insurmontables ; il faut alors le tourner en se frayant un chemin P à travers la maçonnerie qui l'enserre, et l'on se trouve dans le couloir ascendant E.
À l'extrémité de ce couloir, le palier G n'a pas la disposition qu'il présente aujourd'hui ; il est entièrement bouché, ainsi que l'orifice du puits. Si on force le passage, il est naturel de suivre pour guide le dallage régulier, et alors l'explorateur s'engage dans le couloir H sans soupçonner qu'un autre passage ascendant est sur sa tête. Il arrive ainsi à la chambre I. S'apercevant encore que cette chambre n'est pas la véritable, il examine minutieusement toutes les parties du couloir, et finit par découvrir la galerie J qui conduit cette fois dans la vraie chambre, après avoir brisé les herses de granit qui en défendent l'entrée.
Le puits lui-même trouve son explication dans cette manière de concevoir la raison d'être de la distribution intérieure du monument. Pendant la construction de la pyramide, des blocs de la dimension du couloir E ont été déposés dans la grande galerie J. L'édifice étant achevé et la momie en place, on laisse glisser par leur seul poids les blocs dans le couloir E, on bouche le palier G, puis les ouvriers descendent par le puits et remontent à la lumière par le couloir B, qui à son tour est comblé par les blocs qu'on y introduit par son orifice extérieur.
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source : Gallica
Illustrations extraites du livre de Henry de Vaujany

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