Dans le texte ci-dessous, extrait de son ouvrage Examen critique de la succession des dynasties égyptiennes, édité en 1850, l'helléniste et égyptologue Charles Marie Wladimir Brunet de Presle (1809-1875), membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et de la Société nationale des antiquaires de France, se livre à quelques considérations générales sur le culte des morts tel que conçu et célébré par les anciens Égyptiens.
Je retiens surtout l'analyse, proposée par l'auteur, de l'évolution des rites funéraires, et plus particulièrement du mode d'ensevelissement dont les variations étaient liées aux "conditions où les peuples se trouvaient placés". La forme pyramidale n'est pas apparue ex nihilo : elle s'inscrit dans une histoire qui a débuté avec de "simples amas de sable et de pierres".
"Les Grecs faisaient honneur à l'Égypte du dogme sublime de l'immortalité de l'âme ; c'est à elle aussi qu'ils avaient emprunté l'idée de leur métempsycose.
Avant de s'élever à ces conceptions abstraites, les Égyptiens avaient dû considérer la mort d'une façon plus matérielle ; il n'est même pas certain que leurs dogmes se soient tout à fait dégagés des opinions primitives qui ont donné naissance à leurs rites funéraires.
Le respect pour les morts est un sentiment inhérent à l'humanité ; on ne saurait être indifférent pour le corps qui renfermait naguère un être aimé ; mais la corruption qui bientôt s'en empare contraint de se séparer de ces tristes restes. Le salut même des vivants oblige les chefs des peuples à veiller à ce que les cadavres ne restent jamais privés de sépulture. C'est encore une prescription qui se retrouve dans les diverses religions, ces premières lois de l'humanité. Mais les rites funèbres ont varié selon les conditions où les peuples se trouvaient placés. Le plus souvent, on a simplement recouvert le corps des morts d'un amas de sable et de pierres pour les défendre des animaux carnassiers, et en même temps élever un monument au défunt. Telle paraît être l'origine de ces tumuli que l'on retrouve dans presque toute l'Asie et dans quelques parties de l'Europe, et que l'on a considérés quelquefois comme le premier type des pyramides.
D'autres peuples, dans la Scythie, dans la Grèce, dans l'Inde, consumaient leurs morts. Cette pratique était considérée comme une purification, et permettait de conserver et de transporter avec soi la cendre de ses pères. En Égypte, où le bois était rare, la crémation n'aurait pu être pratiquée ; enterrer les morts dans la vallée que l'inondation couvre tous les ans eût été s'exposer à remplir le pays de germes de putréfaction pestilentielle.
La nature des lieux indiquait donc de déposer les corps dans des grottes sacrées, dans la chaîne des montagnes s'élevant au-dessus de la vallée, et qui avait probablement aussi offert aux Égyptiens leurs premières demeures. Dans de telles sépultures, sous un climat favorable, et avec les ressources que le pays offrait pour les embaumements, on obtint une conservation presque indéfinie des corps, qui entretint entre les vivants et les morts une sorte de commerce journalier ; et cette idée, qui semble innée chez l'homme, que tout n'est pas fini avec la vie, se développa davantage. (…)
Selon la métempsycose égyptienne, la longue migration des âmes condamnées à expier leurs fautes, sous la forme d'êtres d'un ordre inférieur, ne commençait qu'après la destruction du corps. De là l'importance extrême que les Égyptiens attachaient à leur sépulture ; de là les prodigieux travaux des rois, qui, peu soucieux d'embellir des palais, séjour passager, concentraient tous les efforts de leur puissance dans la construction de leur éternelle demeure ; de là aussi ces jugements auxquels les défunts étaient soumis, avant d'obtenir les honneurs funèbres qui leur assuraient en quelque sorte l'éternité. Ce culte des morts, et le respect pour la royauté intermédiaire entre les natures divine et humaine, introduisirent l'apothéose dans la théologie égyptienne, où elle se combine avec l'adoration des astres, qui semble avoir été un des éléments primitifs de cette religion. (…)
Nous sommes embarrassé pour choisir les points les plus essentiels entre tout ce qui a été dit depuis des siècles sur les pyramides, la plus ancienne et la seule qui subsiste des sept merveilles du monde. Ces montagnes artificielles destinées à couvrir le cadavre d'un seul homme ont semblé, à l'esprit philosophique des modernes, un exemple si exorbitant de la vanité d'un despote et de l'obéissance passive d'un grand peuple, que l'on s'est ingénié de toute façon pour y découvrir un but utile, tel que l'observation des astres, quelques appareils hydrauliques, ou une digue pour arrêter les sables envahissants du désert. Mais les témoignages unanimes de l'antiquité, et les sarcophages trouvés de nos jours dans plusieurs pyramides, ne peuvent laisser de doute sur leur destination funéraire. Leur masse grandiose s'explique par les opinions religieuses que nous avons exposées plus haut, et par la soumission des Égyptiens à leurs princes. Toutefois, il paraît que la construction des grandes pyramides excéda la patience du peuple, et qu'il fallut cacher ailleurs les corps des tyrans qui les avaient fait élever.
Les trois pyramides les plus prodigieuses, celles de Gizeh, près de l'ancienne métropole de Memphis, ne sont pas les plus anciennes; Manéthon les rapportait à des princes de la quatrième dynastie, et il attribuait déjà la construction de pyramides au troisième roi de la première dynastie. On trouve encore dans la basse Égypte les restes de près de quarante pyramides, dont vingt-huit, par leurs dimensions, paraissent avoir appartenu à des rois, et que l'on peut répartir, par conjecture, entre les princes des anciennes dynasties memphites. Les plus remarquables de ces pyramides, après celles de Gizeh, sont celles de Sakkarah, dont la principale renferme plusieurs caveaux, et semble, par sa construction et par le défaut d'orientation, devoir être une des plus anciennes ; celles d'Abousir, de Dashour, dont une offre vers le milieu un changement d'inclinaison ; celle de Meidoun, qui forme comme deux étages ; et les pyramides en briques crues d'Illaoum et de Novara. Cette dernière est, à ce qu'on croit, la pyramide du Labyrinthe.
On a quelquefois conclu de l'absence de toute inscription sur les pyramides, qu'elles étaient antérieures à l'invention de l'écriture; mais cette opinion n'est pas fondée.
En effet, il est maintenant établi que les pyramides de Gizeh avaient jadis un revêtement, aujourd'hui détruit presque entièrement, et sur lequel durent être sculptées les inscriptions dont parle Hérodote. Les couloirs et les chambres intérieures. dans lesquels on a pénétré n'offrent à la vérité aucune sculpture, et les sarcophages dont on a trouvé des restes sont sans inscriptions ; mais quelques hiéroglyphes tracés au pinceau d'une manière cursive sur des blocs de pierres dans l'intérieur du monument, probablement par les architectes, suffisent pour constater l'usage de l'écriture. Le point avancé auquel elle était déjà arrivée est encore mieux constaté par l'inscription du cercueil trouvé dans la troisième pyramide, et certainement contemporaine du monument. Nous n'oserions pas également attester l'antiquité de quelques constructions voisines des pyramides, par exemple, du tombeau d'Eimaï, dans lequel on a trouvé le cartouche de Schoufou ou Chéops. Nous avons des preuves que ces lieux ont longtemps continué à servir de nécropole : dans un énorme puits près de la grande pyramide, ou a trouvé un sarcophage avec le cartouche de Psammétichus. Quant aux cartouches anciens, leur présence dans des tombeaux de particuliers ne suffit pas pour prouver que ces tombeaux sont contemporains des princes qu'ils rappellent. Ce sont quelquefois les sépultures de personnes attachées à ce culte funéraire des rois dont nous avons parlé, et qui se perpétuait pendant des siècles. On a des indices que les pyramides étaient, dans l'origine, précédées de portiques et d'enceintes où s'accomplissaient les cérémonies du culte (…)."
Autre note sur cet auteur : ICI
Un autre morceau choisi de cet auteur dans l'Égypte entre guillemets :
Je retiens surtout l'analyse, proposée par l'auteur, de l'évolution des rites funéraires, et plus particulièrement du mode d'ensevelissement dont les variations étaient liées aux "conditions où les peuples se trouvaient placés". La forme pyramidale n'est pas apparue ex nihilo : elle s'inscrit dans une histoire qui a débuté avec de "simples amas de sable et de pierres".
Mastabas de la nécropole est du complexe de Khéops,
photo de Jon Bodsworth (Wikimedia commons)
"Les Grecs faisaient honneur à l'Égypte du dogme sublime de l'immortalité de l'âme ; c'est à elle aussi qu'ils avaient emprunté l'idée de leur métempsycose.
Avant de s'élever à ces conceptions abstraites, les Égyptiens avaient dû considérer la mort d'une façon plus matérielle ; il n'est même pas certain que leurs dogmes se soient tout à fait dégagés des opinions primitives qui ont donné naissance à leurs rites funéraires.
Le respect pour les morts est un sentiment inhérent à l'humanité ; on ne saurait être indifférent pour le corps qui renfermait naguère un être aimé ; mais la corruption qui bientôt s'en empare contraint de se séparer de ces tristes restes. Le salut même des vivants oblige les chefs des peuples à veiller à ce que les cadavres ne restent jamais privés de sépulture. C'est encore une prescription qui se retrouve dans les diverses religions, ces premières lois de l'humanité. Mais les rites funèbres ont varié selon les conditions où les peuples se trouvaient placés. Le plus souvent, on a simplement recouvert le corps des morts d'un amas de sable et de pierres pour les défendre des animaux carnassiers, et en même temps élever un monument au défunt. Telle paraît être l'origine de ces tumuli que l'on retrouve dans presque toute l'Asie et dans quelques parties de l'Europe, et que l'on a considérés quelquefois comme le premier type des pyramides.
D'autres peuples, dans la Scythie, dans la Grèce, dans l'Inde, consumaient leurs morts. Cette pratique était considérée comme une purification, et permettait de conserver et de transporter avec soi la cendre de ses pères. En Égypte, où le bois était rare, la crémation n'aurait pu être pratiquée ; enterrer les morts dans la vallée que l'inondation couvre tous les ans eût été s'exposer à remplir le pays de germes de putréfaction pestilentielle.
La nature des lieux indiquait donc de déposer les corps dans des grottes sacrées, dans la chaîne des montagnes s'élevant au-dessus de la vallée, et qui avait probablement aussi offert aux Égyptiens leurs premières demeures. Dans de telles sépultures, sous un climat favorable, et avec les ressources que le pays offrait pour les embaumements, on obtint une conservation presque indéfinie des corps, qui entretint entre les vivants et les morts une sorte de commerce journalier ; et cette idée, qui semble innée chez l'homme, que tout n'est pas fini avec la vie, se développa davantage. (…)
Mastaba Faraoun à Saqqarah, photo Jon Bodsworth (Wikimedia commons)
Selon la métempsycose égyptienne, la longue migration des âmes condamnées à expier leurs fautes, sous la forme d'êtres d'un ordre inférieur, ne commençait qu'après la destruction du corps. De là l'importance extrême que les Égyptiens attachaient à leur sépulture ; de là les prodigieux travaux des rois, qui, peu soucieux d'embellir des palais, séjour passager, concentraient tous les efforts de leur puissance dans la construction de leur éternelle demeure ; de là aussi ces jugements auxquels les défunts étaient soumis, avant d'obtenir les honneurs funèbres qui leur assuraient en quelque sorte l'éternité. Ce culte des morts, et le respect pour la royauté intermédiaire entre les natures divine et humaine, introduisirent l'apothéose dans la théologie égyptienne, où elle se combine avec l'adoration des astres, qui semble avoir été un des éléments primitifs de cette religion. (…)
Nous sommes embarrassé pour choisir les points les plus essentiels entre tout ce qui a été dit depuis des siècles sur les pyramides, la plus ancienne et la seule qui subsiste des sept merveilles du monde. Ces montagnes artificielles destinées à couvrir le cadavre d'un seul homme ont semblé, à l'esprit philosophique des modernes, un exemple si exorbitant de la vanité d'un despote et de l'obéissance passive d'un grand peuple, que l'on s'est ingénié de toute façon pour y découvrir un but utile, tel que l'observation des astres, quelques appareils hydrauliques, ou une digue pour arrêter les sables envahissants du désert. Mais les témoignages unanimes de l'antiquité, et les sarcophages trouvés de nos jours dans plusieurs pyramides, ne peuvent laisser de doute sur leur destination funéraire. Leur masse grandiose s'explique par les opinions religieuses que nous avons exposées plus haut, et par la soumission des Égyptiens à leurs princes. Toutefois, il paraît que la construction des grandes pyramides excéda la patience du peuple, et qu'il fallut cacher ailleurs les corps des tyrans qui les avaient fait élever.
Les trois pyramides les plus prodigieuses, celles de Gizeh, près de l'ancienne métropole de Memphis, ne sont pas les plus anciennes; Manéthon les rapportait à des princes de la quatrième dynastie, et il attribuait déjà la construction de pyramides au troisième roi de la première dynastie. On trouve encore dans la basse Égypte les restes de près de quarante pyramides, dont vingt-huit, par leurs dimensions, paraissent avoir appartenu à des rois, et que l'on peut répartir, par conjecture, entre les princes des anciennes dynasties memphites. Les plus remarquables de ces pyramides, après celles de Gizeh, sont celles de Sakkarah, dont la principale renferme plusieurs caveaux, et semble, par sa construction et par le défaut d'orientation, devoir être une des plus anciennes ; celles d'Abousir, de Dashour, dont une offre vers le milieu un changement d'inclinaison ; celle de Meidoun, qui forme comme deux étages ; et les pyramides en briques crues d'Illaoum et de Novara. Cette dernière est, à ce qu'on croit, la pyramide du Labyrinthe.
On a quelquefois conclu de l'absence de toute inscription sur les pyramides, qu'elles étaient antérieures à l'invention de l'écriture; mais cette opinion n'est pas fondée.
En effet, il est maintenant établi que les pyramides de Gizeh avaient jadis un revêtement, aujourd'hui détruit presque entièrement, et sur lequel durent être sculptées les inscriptions dont parle Hérodote. Les couloirs et les chambres intérieures. dans lesquels on a pénétré n'offrent à la vérité aucune sculpture, et les sarcophages dont on a trouvé des restes sont sans inscriptions ; mais quelques hiéroglyphes tracés au pinceau d'une manière cursive sur des blocs de pierres dans l'intérieur du monument, probablement par les architectes, suffisent pour constater l'usage de l'écriture. Le point avancé auquel elle était déjà arrivée est encore mieux constaté par l'inscription du cercueil trouvé dans la troisième pyramide, et certainement contemporaine du monument. Nous n'oserions pas également attester l'antiquité de quelques constructions voisines des pyramides, par exemple, du tombeau d'Eimaï, dans lequel on a trouvé le cartouche de Schoufou ou Chéops. Nous avons des preuves que ces lieux ont longtemps continué à servir de nécropole : dans un énorme puits près de la grande pyramide, ou a trouvé un sarcophage avec le cartouche de Psammétichus. Quant aux cartouches anciens, leur présence dans des tombeaux de particuliers ne suffit pas pour prouver que ces tombeaux sont contemporains des princes qu'ils rappellent. Ce sont quelquefois les sépultures de personnes attachées à ce culte funéraire des rois dont nous avons parlé, et qui se perpétuait pendant des siècles. On a des indices que les pyramides étaient, dans l'origine, précédées de portiques et d'enceintes où s'accomplissaient les cérémonies du culte (…)."
Autre note sur cet auteur : ICI
Un autre morceau choisi de cet auteur dans l'Égypte entre guillemets :
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